Langues régionales à l'école : le Conseil constitutionnel retoque l'enseignement immersif
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Elle a été votée contre l’avis du ministre de l’Education nationale. La loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion a été partiellement censurée, vendredi, par le Conseil constitutionnel, qui a été saisi par une soixantaine de députés le mois dernier. Deux articles de la loi ont finalement été retoqués par les Sages, celui sur l’enseignement immersif, cher au député Paul Molac, auteur du texte de loi, et celui sur l'usage des signes diacritiques des langues régionales dans les actes de l'état civil. Le forfait scolaire, en revanche, a bien été validé.
L’enseignement immersif censuré
Le député Libertés et Territoires du Morbihan misait pourtant sur « le développement de l’enseignement immersif en langue régionale » pour « appuyer sur l’accélérateur ». Pour défendre son texte, il insistait sur le fait qu’il « dépasse la stricte parité horaire d’un enseignement dispensé pour moitié en langue régionale et pour moitié en français et a pour objet, bien évidemment, la maîtrise des deux langues ». Et anticipait déjà la saisie de l’institution de la rue de Montpensier : « Le Conseil constitutionnel n’a jamais considéré que l’enseignement immersif en langue régionale porte atteinte au principe d’égalité devant la loi, ni au principe selon lequel le français est la langue de la République. Jamais ! ».
Le Conseil constitutionnel n’a vraisemblablement pas la même interprétation des choses. Les Sages estiment, en effet, que l’enseignement immersif en langue régionale est contraire à l’article 2 de la Constitution. Celui-ci fait valoir que « l'usage du français s'impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public » (…) « Or, il résulte notamment des travaux préparatoires de la loi déférée que l'enseignement immersif d'une langue régionale est une méthode qui ne se borne pas à enseigner cette langue [régionale, ndlr] mais consiste à l'utiliser comme langue principale d'enseignement et comme langue de communication au sein de l'établissement ». « Incompréhensible », s’indigne l'association d'élus Régions de France. Arrêtons d’avoir peur de nos langues régionales, protégeons-les, valorisons-les, sauvons-les ! L’unité de notre République n’est en rien menacée par l’enseignement des langues régionales. C’est au contraire la diversité linguistique qui est un enrichissement et un facteur de réussite pour nos élèves ».
Une réalité pour 3 700 élèves basques
D’autant plus, selon les défenseurs du texte, que l’enseignement immersif en langue régionale est une réalité pour 3 700 élèves basques. « 41 % des élèves du premier degré suivent un enseignement de basque et en basque, soit dans le système bilingue, soit dans le système immersif, grâce aux moyens mis à la disposition du ministère de l’Education nationale », rappelait le mois dernier le député Michel Castellani (Haute-Corse, Libertés et Territoires). Quid de leur avenir ? Au micro de France Bleu Bayonne, le docteur en droit Eneritz Zabaleta souligne que les écoles associatives comme les ikastola, diwan ou calandretas sont plongées « dans une grande insécurité juridique, c'est à dire que, soit pour sécuriser leur contrat d'association, la pédagogie de l'immersion sera remise en question, soit elles continuent avec l'immersion, avec le danger que leur contrat d'association et leur financement soit remis en cause et soit tout simplement annulé ».
Pour censurer l’article 9, autre article de la loi qui prévoyait, quant à lui, que des mentions des actes de l'état civil puissent être rédigées avec des signes diacritiques autres que ceux employés pour l'écriture de la langue française, les Sages convoquent la même référence. « Ces dispositions reconnaissent aux particuliers un droit à l'usage d'une langue autre que le français dans leurs relations avec les administrations et les services publics. Dès lors, elles méconnaissent les exigences précitées de l'article 2 de la Constitution ».
Le forfait scolaire validé
L’article 6, quant à lui, a bien été validé par les Sages. Il prévoit que la participation financière à la scolarisation des enfants dans les établissements privés du premier degré sous contrat d'association dispensant un enseignement de langue régionale fait l'objet d'un accord entre la commune de résidence et l'établissement d'enseignement situé sur le territoire d'une autre commune, à la condition que la commune de résidence ne dispose pas d'école dispensant un enseignement de langue régionale. « Les députés requérants considèrent que cet article impose à une commune de participer au financement de la scolarisation d'un enfant résidant sur son territoire dans un établissement privé situé sur le territoire d'une autre commune afin de pouvoir suivre un enseignement de langues régionales », expliquent-ils. Or, justifie le Conseil constitutionnel, « d'une part, les dispositions contestées n'ont pas pour effet d'imposer l'usage d'une langue autre que le français à une personne morale de droit public ou à une personne de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public. Elles n'ont pas non plus pour effet de permettre à des particuliers de se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d'un droit à l'usage d'une langue autre que le français, ni de les contraindre à un tel usage. »
A défaut d'accord, l’article L. 442-5-1 du code de l’éducation prévoit que le représentant de l'Etat dans le département réunit le maire de la commune de résidence et le responsable de l'établissement concerné afin de permettre la résolution du différend en matière de participation financière, dans l'intérêt de la scolarisation des enfants concernés. Une incertitude juridique demeure toutefois quant à la possibilité permise au préfet d’imposer la participation financière à la commune de résidence en cas de désaccord, au-delà de la résolution du différend, eu égard au principe de parité avec les écoles publiques. En effet, pour ces dernières, la DGCL avait indiqué à l’AMF que l’article L. 212-8 du code de l’éducation ne semblait pas prévoir une telle possibilité. L’AMF, apprend-on ce matin, va donc ressaisir les services de l’Etat pour éclaircir ce point.
Colère de certains élus
Certains élus ont réagi ce week-end et contestent la décision du Conseil constitutionnel. Certains en appelaient, samedi encore, à Emmanuel Macron. « Je demande que le président de la République utilise l'article 10 alinéa 2 de la Constitution et demande au Parlement une nouvelle délibération de la loi Molac. Nous pouvons sortir par le haut de cette situation déplorable », tweetait ainsi le président de la région Bretagne, Loïg Chesnais-Girard. La publication de la loi au Journal officiel de dimanche a mis fin à ses espoirs d’amender le texte.
L’ancien maire de Liffré (Ille-et-Vilaine), qui espère à présent, une « indispensable » révision constitutionnelle, n’est pas le seul à être monté au créneau. Le président du MoDem, François Bayrou, allié de La République en marche au Parlement, demandait, lui aussi, hier à Emmanuel Macron de se saisir du sujet dans les colonnes de L’Express après avoir dénoncé une situation « explosive ». « La République ne doit jamais être une entreprise d'éradication linguistique ! », gronde-t-il. Dans un entretien accordé à Ouest France, Jean-Michel Blanquer, lui, se félicite que « le Conseil constitutionnel rejette le mot « immersif » mais consacre le bilinguisme. Le bilinguisme, qui consiste à travailler deux langues en même temps, est plus bénéfique que l’apprentissage en une seule langue. Plus de 85 % des élèves qui pratiquent une langue régionale aujourd’hui le font d’ailleurs sous cette forme. » Une manifestation pour les langues régionales est organisée dans plusieurs villes de France, dont Bayonne et Guinguamp, samedi 29 mai.
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