Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mercredi 29 septembre 2021
Éducation

La lutte contre le cyberharcèlement et le harcèlement scolaire, future grande cause nationale ?

Les sénatrices Sabine Van Hegue (Pas-de-Calais, PS) et Colette Mélot (Seine-et-Marne, Les Indépendants) proposent d'associer « pleinement les collectivités » dans la lutte contre ce fléau qui « n'épargne personne ». 800 000 à 1 million d'enfants sont victimes d'harcèlement scolaire chaque année.

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Tout un chacun garde en mémoire un souvenir de son passage de l’école élémentaire au collège, du monde de l’enfance à celui de l’adolescence. Naturellement difficile à appréhender, les aînés de l’école en juin deviennent les benjamins du collège en septembre, ce cap s’est, cette année, révélé particulièrement douloureux pour nombre d’élèves de la génération 2010. 

Avec la viralité du #Anti2010, né il y a plus d’un an sur le réseau social TikTok (en référence notamment au conflit qui sévit entre les générations sur les règles éthiques du jeu en ligne Fortnite, un clip diffusé sur YouTube en serait aussi l'origine), les néo-collégiens ont subi de leurs aînés brimades, insultes et humiliations.

« Le bizutage n'est pas nouveau, mais le bizutage à grande échelle si, s’inquiète le psychanalyste Jean-Pierre Winter dans les colonnes du Figaro. Jadis, ce bizutage se déroulait à l'entrée en école de commerce, en médecine, etc. C'est-à-dire beaucoup plus tard. Je constate qu'on est descendu dans l'échelle des âges de façon extraordinaire ». 

Un harcèlement scolaire « démultiplié par les réseaux sociaux » 

Une question est donc sur la table : comment agir contre le harcèlement scolaire quand il est « démultiplié par les réseaux sociaux » ? Dans un rapport, étayé de 35 recommandations, les sénatrices Sabine Van Hegue (Pas-de-Calais, Socialiste, écologiste et républicain) et Colette Mélot (Seine-et-Marne, Les Indépendants - République et territoires) sonnent « la mobilisation générale »  et veulent « faire de la lutte contre le harcèlement et le cyberharcèlement, la grande cause nationale dès 2022/2023 ».

Elles confirment que les situations de harcèlement trouvent leur origine à l’école et s’exposent de plus en plus sur les réseaux sociaux. « Se crée ainsi un continuum de violence entre l’école et la sphère familiale privée, sans que les parents et les éducateurs n’en mesurent toujours la gravité, faute de ''savoir-faire'' technique – il se crée en permanence de nouveaux réseaux et de nouvelles messageries privées protégées par le secret des correspondances dont le siège n’est pas situé en France, ni même en Europe », décrivent les sénatrices, qui mettent ici le doigt sur l’impuissance de l’arsenal juridique face au cyberharcèlement.

Un triptyque « Prévenir, détecter, traiter » 

La présidente et la rapporteure de la mission d’information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement regrettent, par ailleurs, que la panoplie des instruments de lutte contre le harcèlement (numéros d’appel, 3020 et 3018, site public dédié, concours national, « élèves ambassadeurs », opérations locales de sensibilisation…) ne soient « pas assez connus »  des élèves et de leurs parents. Une partie de la réponse au « phénomène »  se situerait donc dans l’accélération de « la prise de conscience et la mise en place de nouvelles réponses mieux adaptées à un environnement cyber, difficilement saisissable ».

Le volet « prévention »  est longuement développé : « Il faut promouvoir le maintien ou la construction d’un climat scolaire de qualité autour de la notion d’empathie ou de fraternité. Par ailleurs, chaque enfant doit connaître précisément ses droits et devoirs : un flyer d’information, dont le contenu doit être annexé au projet d’établissement, doit donc être distribué chaque année au moment de la rentrée, pour rappeler le droit existant, les numéros d’appel et les sanctions encourues ».

Les collectivités pleinement associées à la lutte

Parce qu’elles « distribuent au collège et au lycée du matériel informatique personnel pour les élèves », les collectivités, départements et régions en tête, sont invitées dès la rentrée 2022/2023 à « mettre d’office [dans les ordinateurs, les tablettes, etc.] des fichiers de sensibilisation à la prévention du harcèlement scolaire et du cyberharcèlement ».

Elles sont aussi sollicitées par les sénatrices afin de populariser le concours « Non au harcèlement », qui se concrétise chaque année par la réalisation d’une affiche ou d’une vidéo de sensibilisation au harcèlement. 46 000 élèves et 2 500 personnels ont apporté leur contribution à cette initiative, ouverte à toutes les classes du CP à la terminale, ainsi qu’aux structures péri et extrascolaires et aux élus des conseils des enfants et des jeunes des collectivités de 8 à 18 ans, en 2020.

Pour mieux prévenir ces situations qui peuvent virer au drame, les sénatrices recommandent encore « d’intégrer dans la formation initiale et continue des enseignants une sensibilisation à l’empathie et à la détection des situations de harcèlement ». Mais c’est bien l’ensemble des personnels des établissements scolaires, y compris en primaire, qui doit être en mesure de donner l’alerte : « Cela peut être une personne qui sert à la cantine et constate qu’un enfant mange seul. Ou un chauffeur de bus qui voit que chaque jour, un jeune s’assoit au fond ou fait l’objet de moqueries », illustre Colette Mélot, dans La Gazette des communes. 23 % des personnes harcelées à l’école déclarent l’avoir été en primaire, et 1 % à l’école maternelle. Ce sont près d’un quart des enfants harcelés qui l’ont été avant leur entrée au collège. » 

Généraliser les travaux d’intérêt général

Les sénatrices insistent, en deuxième lieu, sur le volet « détection »  de la situation de harcèlement. Elles proposent de « remonter systématiquement au niveau de l’académie les faits de harcèlement et en présenter les suites devant le conseil d’administration de l’établissement »  et annoncent qu’elles suivront avec attention, en ce sens, les modalités de la généralisation au sein de l’Éducation nationale du programme pHARe (programme de lutte contre le harcèlement à l’école) annoncée par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, pour la rentrée 2021.

Sabine Van Hegue et Colette Mélot en appellent, enfin, à « traiter »  tous les cas de harcèlement, en généralisant les partenariats déjà conclus dans plusieurs académies entre l’Éducation nationale et la police/gendarmerie ainsi que la justice. « Toujours dans une visée éducative, il faut alors combiner justice restaurative (en généralisant les travaux d’intérêt général) et sanction des harceleurs, en évitant que, comme trop souvent, ce soit l’élève harcelé qui doive quitter l’établissement et soit ainsi victime d’une « double peine ». » 

Et les sénatrices de conclure : « L’occasion de la présidence française de l’Union européenne, dès le 1er janvier 2022, doit être saisie pour faire avancer deux dossiers : la mise en place de ''stress tests'' pour vérifier que les objectifs assignés aux réseaux sociaux en matière de suppression des contenus litigieux sont bien atteints ; le ''name and shame'' pour favoriser la ''dissuasion par la publicité'' en stigmatisant les ''mauvais élèves du monde cyber''. » 

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