Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du mercredi 3 avril 2024
Éducation

Écoles en Seine-Saint-Denis : 12 maires mettent l'État en demeure de leur garantir des moyens suffisants

S'appuyant sur un arrêt du Conseil d'État sur le « respect de la dignité de la personne humaine », ces élus ont pris des arrêtés ordonnant à l'État de débloquer des postes supplémentaires d'enseignants et d'AESH, sous peine d'astreinte de 500 euros par jour. La préfecture conteste cette démarche. 

Par A.W.

Un manque d’enseignants récurrent, des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) en nombre insuffisant, un bâti scolaire dégradé… Les maires de 12 communes de Seine-Saint-Denis ont mis, hier, en demeure l'État afin qu’il « garanti[sse] dans les plus brefs délais l’égalité devant le service public d’éducation »  et qu’il applique le « plan d'urgence »  réclamé par l’intersyndicale des enseignants du département mobilisés depuis plusieurs semaines. 

Respect de la « dignité humaine » 

Les maires de Bagnolet, Bobigny, L’Île-Saint-Denis, La Courneuve, Le Pré-Saint-Gervais, Les Lilas, Montreuil, Noisy-le-Sec, Pantin, Romainville, Sevran et Stains déplorent ainsi que leur département reste « le parent pauvre de l’égalité », citant plusieurs « rapports parlementaires »  (dont celui de Stéphane Peu et Christine Decodts, en 2023, et celui de François Cornut-Gentille et Rodrigue Kokouendo, cinq ans plus tôt) qui font état de « la discrimination territoriale que subit la Seine-Saint-Denis en matière de dotations générales et de moyens alloués à l’éducation ».

S'appuyant sur une décision du Conseil d'Etat de 1995 sur le « respect de la dignité de la personne humaine [comme] composante de l’ordre public »  et sur la Déclaration universelle des droits de l’Homme et l’Unesco - notamment - qui « consacrent régulièrement l’accès à l’éducation comme une des conditions essentielles à la dignité de la personne humaine », ces élus de gauche ou sans étiquette ont chacun pris un arrêté qui ordonne à l'État à leur payer une astreinte de 500 euros par jour de retard jusqu'à ce qu'il débloque « des moyens à la hauteur des besoins éducatifs »  et mette ainsi fin au « trouble à l’ordre public constitué par ces manquements à la dignité humaine ».

Car, selon eux, « la dignité de la personne humaine n’est pas respectée »  lorsque « les enfants de Seine-Saint-Denis perdent 15 % de leurs heures de cours pour cause de professeurs non remplacés »  et lorsque ceux en situation de handicap n’ont « pas accès à l’éducation par manque de 2 500 AESH ».

Cela produit « des situations douloureuses », a expliqué François Dechy, maire divers gauche de Romainville, hier sur BFMTV, estimant en être « arrivé à un tel point, aujourd’hui, que l’on estime que c’est une question de dignité humaine qui est en jeu »  et qu’il y a donc « un trouble grave à l’ordre public lié à l’éducation sur nos communes ».

Dans ce cadre, chacun de ces arrêtés (comme celui de Romainville) précise le nombre de postes supplémentaires d'enseignants, de psychologues scolaires ou d'AESH demandés à l'État dans chacune des communes concernées.

Des « arrêtés politiques » 

Si ces arrêtés permettent aux maires séquano-dionysiens de mettre en avant les graves problèmes qu’ils rencontrent dans leurs établissements scolaires, il reste à savoir quelle est la solidité juridique de leur démarche puisque l’arrêt du Conseil d’État du 27 octobre 1995 sur lequel ils se fondent paraît, à première vue, bien éloigné de leur démarche : il a en effet été rendu dans le cadre d’une affaire d’interdiction de « lancer de nains »  dans des discothèques des communes de Morsang-sur-Orge (Essonne) et d’Aix-en-Provence au début des années 1990. 

Les maires de l’époque avaient ainsi produit chacun un arrêté prohibant ces spectacles dégradants avant que les tribunaux administratifs de Versailles et de Marseille ne les invalident puis, in fine, que le Conseil d’État ne donne définitivement raison aux élus en jugeant que « le respect de la dignité de la personne humaine est une composante de l’ordre public ». 

Si les 12 maires estiment que cette décision du Conseil d’État peut les aider dans leur démarche, la préfecture de Seine-Saint-Denis a réagi rapidement en annonçant auprès de l'AFP qu'elle allait contester les arrêtés auprès du tribunal administratif plutôt que de payer l’astreinte de 500 euros par jour et par commune.

Le préfet du département, Jacques Witkowski, a ainsi dénoncé des « arrêtés politiques, totalement en décalage avec la réalité de ce qui est fait dans le département ». « L'État ne rougit pas de ce qu'il fait pour ses fonctionnaires en Seine-Saint-Denis et se bat aux côtés de tous pour que les missions de service public soient assumées dans de bonnes conditions », a ainsi réagi le préfet.

Mobilisations 

On peut néanmoins rappeler que, depuis la fin février, un mouvement de contestation s’est formé et demande davantage de moyens pour l'école en Seine-Saint-Denis.

Des manifestations (sous les fenêtres de Matignon notamment), des opérations « école déserte »  ou encore des grèves se sont multipliées depuis un mois dans le département. Tout en dénonçant la vétusté de certains bâtis, les syndicats du département réclament la création de 5 000 postes d'enseignants, de 2 200 postes d’AESH, 175 postes de CPE ou encore « des personnels des pôles psycho-médico-sociaux en nombre suffisant ». « Sans réponses de la part du gouvernement à la hauteur des revendications », ils préviennent qu’il « n’y aura pas de rentrée le 22 avril prochain »  dans les établissements du département.

Dans ce cadre, la ministre de l'Education nationale Nicole Belloubet a reçu, vendredi, certains députés du département qui ont laissé entendre que les besoins en vie scolaire seraient examinés, mais que le « plan d’urgence »  voulu par les syndicats était pour l’heure écarté.

En parallèle, s’ajoutent d’autres revendications, nationales celles-là, visant à s’opposer à la réforme du « choc des savoirs »  décidée par le gouvernement. Ainsi, des centaines d'enseignants sont descendus dans la rue hier pour protester contre ces groupes de niveau et défendre l'école publique alors que, dans le même temps, l’Assemblée examinait un rapport parlementaire particulièrement critique à l’égard du financement de l'enseignement privé. Celui-ci serait peu transparent et mal contrôlé, selon ses auteurs qui réclament une réforme.

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