ZAN : comprendre les enjeux du débat qui débute à l'Assemblée nationale
Par Franck Lemarc
Déjà un jour de retard. Le débat en séance publique sur la proposition de loi sénatoriale « visant à renforcer l’accompagnement des élus locaux dans la mise en œuvre de la lutte contre l’artificialisation des sols », devait commencer hier soir. Mais à presque minuit, la présidente de séance a reporté l’examen du texte à ce matin.
Ce petit retard ne devrait pas contrecarrer la volonté du gouvernement, réaffirmée hier, lors d’une conférence de presse, par Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, de voir ce texte définitivement adopté « à la mi-juillet ». Faute de quoi, interruption estivale et élections sénatoriales obligent, l’adoption du texte serait reportée au mois d’octobre, ce qui poserait de considérables problèmes eu égard au calendrier de mise en œuvre du ZAN.
Rappel des épisodes précédents
Le ministre hier, a joué la pédagogie, feutre à la main devant un paperboard, pour expliquer le dispositif aux journalistes en « essayant de ne pas les perdre ». Il a rappelé l’historique de cette problématique : d’abord, la loi Climat et Résilience d’août 2021 qui a fixé les grands objectifs – division par deux du rythme de l’artificialisation en 2030, et zéro artificialisation nette en 2050, c’est-à-dire équilibre entre les surfaces artificialisées et les surfaces « rendues à la nature ».
Étape suivante, en pleine campagne présidentielle : la parution de deux décrets d’application de la loi, qui ont, de l’aveu du ministre, provoqué « stupeur, agacement et énervement ». Un décret sur les Schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), qui donnait aux régions un pouvoir prescriptif démesuré et mettait, de fait, les communes sous la tutelle des régions en matière de ZAN. Et un décret « nomenclatures », chargé de définir les surfaces « devant être considérées comme artificialisées et non artificialisées » pour l’application de la loi. Ce dernier décret, véritable sommet de l’absurdité bureaucratique, appelait par exemple à considérer les espaces verts urbains… comme des espaces artificialisés.
L’AMF ayant attaqué ces deux décrets devant le Conseil d’État et, Christophe Béchu, à son arrivée au ministère de la Transition écologique, a appelé les préfets à « lever les crayons », c’est-à-dire à suspendre l’application de ces décrets, et les textes ont été remis sur le métier.
Deux propositions de loi ont ensuite été rédigées pour tenter de débloquer la situation, l’une au Sénat, venant de l’opposition, l’autre à l’Assemblée nationale, portée par des députés de la majorité. Le gouvernement a finalement choisi de se rallier à la proposition de loi sénatoriale, « pour avancer », et au prix de « quelques ajustements » pour rendre ce texte conforme aux vœux du gouvernement. Christophe Béchu a expliqué : « L’idée a été de couper le texte en deux », en supprimant les dispositions qui relèvent plutôt de la réglementation et qui ont vocation à être publiées par décret. Par souci de « transparence réglementaire », le gouvernement a décidé de rendre publics les projets de décrets au moment où l’examen du texte débutait à l’Assemblée nationale.
« Murs porteurs »
Le dispositif révisé s’appuie, a détaillé le ministre, sur « quatre murs porteurs ». Les deux premiers figurent dans les décrets : il s’agit du Sraddet et de la nomenclature. « Sur ces sujets nous avons fait droit aux demandes de l’AMF », a insisté l’ancien maire d’Angers.
Les deux autres « murs porteurs » sont la « garantie rurale » et les dispositions relatives aux « grands projets d’intérêt national ».
La « garantie rurale » consiste à laisser aux communes une enveloppe minimale de surface artificialisable, « pour ne pas laisser croire aux maires qu’on leur interdira de construire quoi que ce soit », a expliqué le ministre. Si tout le monde est d’accord sur le principe, il restait à fixer les modalités : le Sénat proposait un hectare par commune, pour toutes les communes. Les députés de la majorité souhaitaient, eux, 1 % de la surface urbanisée des communes en zone peu dense et très peu dense.
Un compromis a été trouvé en mélangeant les deux propositions : l’enveloppe minimale serait, si le texte actuel est maintenu en l’état, d’un hectare, mais seulement pour les communes classées peu ou très peu denses. Les communes pouvant choisir de mutualiser « entre elles ou à l’échelle intercommunale » ces surfaces. Environ 10 000 communes seraient concernées, selon Christophe Béchu.
Attention, cette garantie rurale ne s’appliquerait qu’aux communes dotées d’un document d’urbanisme (PLU, PLUi, carte communale) en cours ou prescrit.
Grands projets
Enfin, le ministre s’est longuement attardé sur les « grands projets ». Explications : il paraît évident qu’il faut soustraire les grands projets d’envergure nationale du calcul de la surface artificialisée. Il serait en effet parfaitement injuste que, lorsque l’État décide de construire une infrastructure, sa surface soit décomptée sur le territoire des communes concernées… qui ne pourraient plus construire. Christophe Béchu a pris l’exemple de la région Hauts-de-France : entre le canal Seine-Nord et les projets de giga-usines de batterie, à peu près tout l’espace artificialisable selon les termes de la loi Climat et résilience seront consommés. Il est donc indispensable de « sortir » ces grands projets du décompte.
Le texte, dans sa version actuelle, fixe le principe d’un « forfait national » de 15 000 hectares dédié à ces « grands projets d’envergure nationale ou européenne ». Cette surface totale de 15 000 hectares sera répartie entre les régions selon un « coefficient de péréquation ». Il restera à se mettre d’accord sur ce qui entre, ou pas, dans ces « grands projets d’envergure nationale », ce qui risque de faire l’objet d’âpres débats dans l’hémicycle. Christophe Béchu a confirmé, hier, certaines « lignes rouges » du gouvernement : les établissements pénitentiaires feront bien partie de ces grands projets, mais ni les écoles, ni les casernes de gendarmerie.
Points d’attention
Place maintenant au débat à l’Assemblée nationale. Quelque 800 amendements ont été déposés sur ce texte, ce qui promet des débats passionnés – et, peut-être, des évolutions encore importantes.
Il faudra notamment être particulièrement attentif à la question des délais. Sur la mise en conformité des Sraddet avec les objectifs du ZAN, le délai actuel fixé par la loi est de « 30 mois » à compter de la publication de la loi du 22 août 2021, ce qui amène à février 2024. Le texte du Sénat proposait de donner un an de plus, soit février 2025. Après passage en commission, à l’Assemblée nationale, le délai de grâce est passé à six mois, soit août 2024. Ce délai ne semble guère réaliste, et plusieurs amendements ont été déposés pour le prolonger, jusqu’à quatre ans pour certains.
Par ailleurs, la loi fixe un délai pour la mise en conformité des SCoT et des PLU (2026 pour les SCoT et 2027 pour les PLU et les cartes communales). Le Sénat avait adopté la prolongation de ces délais d’un an, conformément au souhait de l’AMF. Le texte issu des commissions de l’Assemblée nationale a supprimé cette marge pourtant indispensable selon les élus. Là encore, des amendements tenteront de la rétablir.
Enfin, il est à noter que le texte de la commission a supprimé une grande partie de l’article 12 de la proposition de loi sénatoriale, qui instaurait une extension du droit de préemption pour les communes et EPCI dans les espaces propices à la renaturation ou au recyclage foncier – ce afin d’éviter des phénomènes de spéculation, là encore outil demandé de longue date par les élus locaux. En commission, les députés ont supprimé ces dispositions, préférant s’en tenir à un simple « sursis à statuer sur les demandes d’autorisation d’urbanisme ».
Interrogé par Maire info, hier, sur ce sujet, un conseiller de Christophe Béchu a indiqué que ce sujet ne constituait pas une « ligne rouge » pour le gouvernement, ce qui veut dire que celui-ci ne se battra pas contre cette extension du droit de préemption si elle devait être rétablie à un moment ou un autre du débat. Plusieurs amendements, là encore, permettront de débattre de ce sujet. « Nous ne quitterons pas cet hémicycle sans accord », a déclaré Christophe Béchu, ce matin, en lançant le débat sur ce texte.
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2
Inflation : les modalités d'application du « filet de sécurité » détaillées par décret
Transport urbain : l'AMF inquiète d'une disposition européenne particulièrement coûteuse
Festivals : une situation qui reste « fragile » et « contrastée »