Grands projets « hors ZAN » : une première liste publiée
Par Franck Lemarc
Lutter contre l’artificialisation des sols tout en ne remettant pas en question les grands projets industriels ou d’infrastructures de transport… Cette difficile équation est un véritable casse-tête pour le gouvernement depuis que le principe du ZAN (réduction de moitié des nouvelles surfaces artificialisées en 2030) a été adopté dans la loi Climat et résilience.
Pour la résoudre, l’idée d’un « forfait national » a été élaborée : les grands projets qualifiés d’envergure nationale ou européenne seront comptés à part. Chaque région disposera, en effet, d’un « quota » de surface artificialisable. Mais si, dans cette région, l’État décide d’implanter une infrastructure, il ne serait pas juste que la surface de celle-ci soit prise sur le quota de la région.
Il a donc été acté qu’une surface totale de 12 500 hectares serait réservée aux « grands projets d’envergure nationale ou européenne » et ne serait pas décomptée aux régions.
Un forfait extensible
Restait à connaître la liste de ces grands projets, qui fera l’objet d’un arrêté ministériel. Elle a été présentée, de façon provisoire, par le ministère de Christophe Béchu cette semaine. Pour mémoire, la loi du 20 juillet 2023 « visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols et à renforcer l'accompagnement des élus locaux » a précisément défini les projets qui peuvent entrer dans ce champ : opérations déclarées d’utilité publique, lignes à grande vitesse, projets industriels « d’intérêt majeur », opérations réalisées dans le cadre d’un grand port maritime ou fluvio-maritime, opérations intéressant la défense, prisons, constructions ou aménagements réalisés dans le cadre d’une OIN (opération d’intérêt national), réalisation d’une centrale nucléaire, construction de postes électriques de plus de 220 kV.
Le ministère a présenté, mercredi, non pas une mais deux listes. La première, comportant 167 projets, recense les projets définitivement actés, avec une surface précisément définie. La seconde (257 projets) est moins précise : elle fournit simplement la liste des projets sans donner leur surface. Il s’agit, expliquent les services de Christophe Béchu, de projets « a priori éligibles mais non encore aboutis ».
Problème : la seule première liste représente un total de 11 900 hectares. Ce qui, a priori, ne laisserait que 600 hectares pour l’ensemble des 257 projets restants ! Il est donc évident que, si le gouvernement ne veut pas abandonner ces projets en rase campagne, il devra faire évoluer le forfait au-delà des 12 500 hectares. Ce qui ne pose aucun problème à Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique, comme il l’explique ce matin dans le quotidien Les Échos : « Je l'ai toujours dit, le forfait de 12.500 hectares pourra être dépassé. Il est évolutif, et sera remis à jour chaque année pour intégrer les nouveaux projets. » En effet, l’article 3 de la loi du 20 juillet 2023 précise bien qu’« en cas de dépassement du forfait (…), le surcroît de consommation ne peut être imputé sur l'enveloppe des collectivités territoriales ou de leurs groupements ».Le ministre répond, en l’occurrence, aux craintes exprimées par plusieurs parlementaires, comme par exemple le député de la Haute-Garonne Jean-François Portarrieu, qui a interrogé l’exécutif sur ce sujet lors de la séance de questions au gouvernement du 27 février. Évoquant les carnets de commande particulièrement pleins de la société Airbus, le député a regretté que l’entreprise soit confrontée « à un manque de foncier disponible pour se développer ». Constatant qu’à ce stade, les projets de développement de la filière aéronautique « ne figurent pas » dans les projets de listes de projets d’intérêt national qui circulaient, le député a demandé au gouvernement qu’ils le soient.
Christophe Béchu semble donc ouvert à une évolution du « forfait » pour permettre « la réindustrialisation de la France, qui est bonne pour l’économie mais aussi pour l’écologie ». Quitte même à ne pas atteindre les objectifs du ZAN : « Si finalement on ne réduit pas les surfaces artificialisées de 50 % sur la décennie, mais de 47 % ou 48 %, et bien j'assume ! », déclare le ministre dans Les Échos.
Zoom sur les grands projets
Si l’on se penche sur la première liste – les projets définitivement actés –, on constate que c’est bien l’industrie qui tient le haut du pavé, avec 35 projets sur les 167. Parmi les projets emblématiques, l’usine STMicroelectronic de Crolles dans l’Isère, une usine Framatome en Normandie, ou encore la « gigafactory » Genvia à Béziers. Les craintes du député Portarrieu ont apparemment été entendues, puisque cette liste inclut bien l’extension de 54 ha des sites industriels d’Airbus à Toulouse.
Derrière les projets industriels viennent ceux de constructions de prisons (27 projets), dont plusieurs de grande taille : Crisenoy en Seine-et-Marne (24 ha), ou encore Angers, Rivesaltes ou Saint-Saulve, tous trois de 20 ha.
Viennent ensuite les 29 projets déclarés d’utilité publique, dont beaucoup sont des infrastructures autoroutières et dont certains sont particulièrement gourmands en termes d’espace, comme les aménagements A154/A120, entre la région Centre-Val-de-Loire et Normandie, qui consommeront 576 ha à eux seuls.
Le Canal Seine-Nord-Europe figure naturellement dans cette liste, et c’est le plus consommateur d’espace (855 ha), suivi du GPSO (grand projet ferroviaire du Sud-ouest, 740 ha), de l’extension du Centre spatial de Kourou, en Guyane (730 ha) et du Grand port maritime de Dunkerque (718 ha).
Pour ce qui est de la répartition géographique de ces projets, il faut noter que 18 d’entre eux seulement concernent les Outre-mer (2 en Guadeloupe et 2 en Martinique, 3 à La Réunion, 6 en Guyane et 5 à Mayotte, dont une caserne, une gendarmerie et une prison…).
En termes de surface, ce sont les Hauts-de-France qui sont le mieux lotis (ou le moins bien, selon le point de vue), avec 2 127 ha de projets, suivis de la Guyane (1 316 ha) et de la Normandie (1 236). La Guadeloupe, la Corse et la Martinique sont, de loin, les moins concernés, avec moins de 20 ha de grands projets prévus (9 en Corse et 6 en Martinique).
Cette liste va incessamment être mise en consultation publique et soumise au Conseil national d’évaluation des normes, avant d’être validée et publiée par arrêté.
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