Ce que contient le plan du gouvernement pour ne pas voir « se reproduire les émeutes »
Par Franck Lemarc
Quatre mois tout juste après les émeutes qui ont embrasé des centaines de communes, fin juin, après la mort du jeune Nahel, tué par un policier à Nanterre, le gouvernement dévoile sa feuille de route. Le chef de l’État, au lendemain des émeutes, avait clairement annoncé qu’il n’était pas question de prendre des décisions « à chaud », mais qu’il entendait laisser son gouvernement prendre le temps de la réflexion.
100 millions pour la reconstruction
Élisabeth Borne, hier, a dévoilé le fruit de ces réflexions, en compagnie du plusieurs ministres (intérieur, justice, familles…) et devant un parterre de 500 personnes dont 250 maires environ.
Après avoir dressé le bilan matériel des émeutes, elle a rappelé la manière dont l’État a « accompagné les maires pour la reconstruction », avec notamment une ordonnance dérogeant aux règles habituelles du droit, en matière de marchés publics ou de subventions. Résultat, selon la Première ministre : « 60 % des bâtiments publics partiellement ou totalement détruits ont d’ores et déjà été remis en état » – ce qui paraît étonnant. Une annonce à ce sujet : le gouvernement va débloquer une enveloppe exceptionnelle de 100 millions d’euros pour aider les maires « à la réparation et à la reconstruction, en complément de l’indemnisation des assurances » . Il reste à attendre à présent les détails et le mécanisme qui sera mobilisé pour pouvoir accéder à ce fonds.
Polices municipales
Au-delà de la reconstruction, il faut maintenant « tout mettre en œuvre pour que [ces émeutes] ne se reproduisent pas », a martelé la cheffe du gouvernement. Ce qui passe, d’abord, par « un diagnostic précis et objectif » de ce qui s’est passé. Les émeutes ont touché des communes qui n’ont pas de quartier prioritaire de la politique de la ville. Elles ont surtout été le fait de jeunes, voire très jeunes gens : « un quart à peine des auteurs avait plus de 25 ans, un sur cinq était lycéen », a rappelé la Première ministre. « Ces constats (…) nous interrogent sur l’avenir de notre jeunesse et sur la force de notre pacte républicain. (…) Ils illustrent une crise de l’autorité. »
C’est donc bien sur le terrain de « l’autorité » que le gouvernement entend agir au premier chef. Élisabeth Borne a rappelé les mesures déjà prises (création de postes de policiers et de gendarmes, doublement de la présence de forces de l’ordre sur la voie publique d’ici 2030, création de 238 brigades de gendarmerie…). Mais au-delà, elle estime qu’il est désormais « indispensable de mieux reconnaître le rôle des polices municipales et de leur donner les moyens d’agir » – ce qui selon elle est une demande de nombreux maires. La Première ministre propose donc de « franchir une nouvelle étape dans le continuum de sécurité et de donner la possibilité aux polices municipales d’accomplir certains actes de police judiciaire », pour « les maires qui le souhaitent », a-t-elle précisé..
Le débat n’est pas nouveau : à plusieurs reprises, notamment en 2011 et en 2021, des gouvernements ont tenté de modifier la loi pour permettre aux polices municipales de pouvoir accomplir certaines tâches dévolues aux forces de l’ordre nationales. Mais à chaque fois, ils se sont heurtés à la censure du Conseil constitutionnel, qui a rappelé que la police judiciaire doit agir sous le contrôle de l’autorité judiciaire, c’est-à-dire du parquet. Or les polices municipales sont, elles, exclusivement sous le contrôle des maires. Élisabeth Borne a déclaré hier que ces nouveaux pouvoirs qu’elle envisage de donner aux polices municipales « s’exerceront naturellement sous le contrôle des parquets ». Cela signifie-t-il ôter aux maires une partie du contrôle sur les polices municipales ? Placer ceux-ci sous une tutelle conjointe maire/parquet ? Pas de réponse pour l’instant. La Première ministre a déclaré qu’une « concertation » allait être lancée avec les maires et les associations d’élus à ce sujet, « afin de bâtir un texte de loi ».
« Encadrement militaire »
Pour ce qui concerne les autres mesures sécuritaires, la cheffe du gouvernement a annoncé « un nouveau plan national de lutte contre les stupéfiants », prochainement, et un « renforcement de la réponse pénale » pour « un refus total de l’impunité ». L’amende pour non-respect d’un couvre-feu va être quintuplée, pour être portée à 750 euros. Un projet de loi va être proposé pour « placer les jeunes délinquants de manière obligatoire dans des unités éducatives de protection judiciaire de la jeunesse ». L’entourage de la Première ministre a précisé que le non-respect de ce placement entraînerait le placement en centre éducatif fermé ou en détention.
Élisabeth Borne a également annoncé que le gouvernement souhaite pouvoir recourir à « un encadrement des jeunes délinquants par des militaires ». Là encore, certains détails ont été livrés en amont du discours par le cabinet de la Première ministre. Il est prévu de mettre en place des « classes de défense » dans les centres éducatifs fermés, de créer des « mesures d’encadrement militaire dans toutes les régions » ou encore de permettre la réalisation de TIG (travaux d’intérêt général) au sein d’unités militaires. Le tout, a précisé la Première ministre, pour que les jeunes délinquants apprennent « la discipline et le dépassement de soi ».
Pour les parents, répression et soutien
Les parents ne sont pas oubliés : la cheffe du gouvernement a évoqué, pour « responsabiliser » ceux-ci, « des stages de responsabilité parentale ou des peines de travaux d’intérêt général », et surtout la création d’une « contribution financière citoyenne et familiale que les mineurs et leurs parents devront payer à des associations de victimes ». « Quand un mineur a causé des dégradations, nous allons nous assurer que les deux parents, qu’ils soient séparés ou non, qu’ils vivent avec leur enfant ou non, soient responsables financièrement des dommages causés. »
Le gouvernement ne compte toutefois pas uniquement sur la répression. Il souhaite améliorer les dispositifs de « soutien aux parents » portés par l’État, les collectivités et les Caf, afin de mieux les faire connaître, « favoriser les synergies et (leur) donner de la visibilité ». Quant aux jeunes eux-mêmes, la Première ministre compte sur le développement des activités périscolaires pour « limiter les temps pendant lesquels les enfants sont livrés à eux-mêmes ». Il a été annoncé que les Caf vont « donner aux communes les moyens nécessaires pour étendre les horaires d’accueil en centres de loisirs le matin ou le soir ».
FAR
Enfin, au-delà d’autres mesures qui ont été listées (nouvelle stratégie nationale de prévention de la délinquance en 2024, doublement des heures d’enseignement moral et civique au collège…), Élisabeth Borne a annoncé la création imminente de la « FAR », ou Force d’action républicaine.
Apparemment dédiée aux quartiers prioritaires de la politique de la ville (ces quartiers où « tous les défis sécuritaires, sociaux, familiaux ou éducatifs, semblent s’additionner » ), cette FAR sera, a expliqué hier l’entourage de la Première ministre, « une équipe pluridisciplinaire, composée sur mesure pour répondre aux besoins spécifiques d’un quartier ». Au-delà des forces de l’ordre, elle serait composée de magistrats, d’éducateurs, de médiateurs, de personnels sociaux… L’idée serait, apparemment, de déployer une « FAR » dans un quartier sur un temps donné, pour une action « coup de poing » visant à non seulement à rétablir l’ordre public mais à traiter « à la racine » les problèmes de délinquance, de décrochage, d’insertion, « d’ouvrir l’accès à la culture, au sport, aux loisirs ». Ce qui, soit dit en passant, ressemble furieusement à un contrat de ville… mais sur un temps court.
D’après nos informations, les FAR seraient déployées en accord avec les acteurs locaux, et seraient pilotées à la fois par le maire, le préfet et le procureur de la République. Le tout constituant, selon la Première ministre, « des solutions à la carte et adaptées aux territoires ».
Les premières FAR seront déployées « d’ici la fin de l’année » à Besançon, Valence et Maubeuge. Pour connaître les détails de ce nouvel outil, il faudra maintenant attendre, certainement, une circulaire gouvernementale.
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