Vie chère dans les Outre-mer : le Sénat donne ses pistes pour remédier à la crise
Par Lucile Bonnin
Ce rapport élaboré par la délégation sénatoriale aux Outre-mer a pour objectif de contribuer au projet de loi annoncé par le gouvernement contre la vie chère dans les Outre-mer et qui sera présenté d'ici à l'été, comme l’a indiqué il y a quelques jours Manuel Valls.
Les six rapporteurs ont observé un écart de prix « considérable » par rapport à l'Hexagone, en particulier en matière d’alimentation et de dépenses automobiles.
Concrètement, les écarts de prix varient entre 30 % et 41 % en moyenne pour l’alimentation – en mars 2025 le prix d’un paquet de riz, par exemple, est de 1,74 euro en métropole contre 3,14 euros en Martinique. Côté achats de véhicules neufs, l’écart de prix serait de 10 % à 15 % en moyenne. Ces prix plus élevés sont « couplés à des revenus plus faibles » créant ainsi « une double peine » : les 5 départements d’outre-mer représentent 3 % de la population française et concentrent 24 % des personnes en grande pauvreté.
Les sénateurs alertent et dénoncent ce qu’ils considèrent comme des « écueils qui empêchent de sortir du cycle infernal des crises récurrentes : chercher un coupable, courir après le mirage hexagonal, alourdir la dépense publique, négliger la faiblesse des revenus ou encore suradministrer. » Les sénateurs proposent donc un « plan global et structurel » composé de douze recommandations principales.
Rétablir la confiance et atténuer l’impact de l’éloignement
Pour les sénateurs, la priorité est de « dissiper le climat de suspicion qui s’est installé dans certains territoires » . Cela peut passer notamment par le fait de « dissuader la non-publication des comptes des entreprises en permettant la saisine du tribunal de commerce en référé par le préfet ou le président de l'Observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR) avec astreinte dissuasive » et par le renforcement des moyens financiers attribués à l’OPMR.
L’éloignement peut également être « atténué par diverses stratégies ». Les sénateurs proposent par exemple « d’arrêter un plan de mise à niveau aux meilleurs standards de l’ensemble des installations portuaires, aéroportuaires et douanières outre-mer ».
Il apparaît également opportun pour les sénateurs de « découpler l’aide au fret "nationale" de l’aide au fret "européenne" pour faire de la première une aide "anti-vie chère" ciblée sur les produits de première nécessité et d’étendre le bénéfice de cette aide aux collectivités du Pacifique au titre de la continuité territoriale ».
Rappelons que cette politique de continuité territoriale a été initialement prévue pour répondre aux problématiques de desserte aérienne et maritime en Corse depuis 1976 et a été étendue aux Outre-mer très tardivement, en 2003. Le sujet avait d’ailleurs fait l’objet d’un rapport d’information au Sénat il y a deux ans. Les sénateurs estimaient déjà que les aides au fret « ne répondent absolument pas à l’enjeu de la vie chère, en particulier dans les contextes de double ou triple insularité, et sont avant tout des soutiens au développement de filières locales de production. »
De plus, le rapport appelait à une « refonte systémique de l’aide à la continuité territoriale » où les différences sont aujourd’hui colossales entre les moyens de l'État mis à disposition de la Corse et ceux des Outre-mer.
Transformer le modèle économique
Le rapport démontre que « des marges de progrès importantes existent pour réduire » les effets pervers de certaines taxes néanmoins « indispensables au financement des services publics, à l’autonomie financière des collectivités ultramarines et à la protection des productions locales ».
Par exemple, il serait opportun du point de vue des auteurs du rapport d’ « atténuer l’impact de l’octroi de mer sur la vie chère en le rendant déductible sur les biens importés sans équivalent local, en réduisant le nombre de taux différents et en abaissant fortement les taux sur les produits de première nécessité ». De même, les sénateurs proposent d’écarter les départements d’outre-mer de l’application de la réforme des certificats d’économies d’énergies et de réviser au passage la directive sur la « taxe carbone européenne » pour en exclure le secteur du transport routier dans les régions ultrapériphériques.
Enfin, les sénateurs soutiennent que l’intégration économique régionale, le développement de la production locale et le soutien aux revenus sont « trois axes à privilégier pour sortir par le haut de la tragédie de la vie chère ». Ainsi, ils recommandent notamment de revaloriser le montant de la prime d’activité dans les outre-mer.
Concurrence
L’incontournable problématique structurelle de la concurrence a aussi été étudiée par les sénateurs. Pour mémoire, l’insuffisance de la concurrence dans ces territoires contribue au maintien de prix élevés et bénéficie aux quelques entreprises qui contrôlent le marché (grande distribution, carburant, télécommunications, etc.). Une proposition de loi a d’ailleurs été adoptée au Sénat en mars dernier pour renforcer le droit de la concurrence et de la régulation économique outre-mer.
Le rapport présenté hier rapport recommande, sur cette question, de compléter le collège de l’Autorité de la concurrence par 6 membres délibérant sur les questions relatives aux Outre-mer et de créer un service d’instruction spécialisé pour les Outre-mer. Les sénateurs sont aussi favorables à « interdire l’exclusion des Outre-mer du champ d’application territorial des conditions générales de vente des contrats entre centrales d’achat hexagonales et fournisseurs. »
La délégation aux Outre-mer demande enfin « un moratoire de 3 ans sur la création d’hypermarchés » , ce qui « laisserait du temps à l’Autorité de la concurrence pour approfondir ses contrôles et aux territoires pour définir le modèle de distribution commerciale souhaité. » En effet la situation de la grande distribution dans les Outre-mer est également très complexe : les territoires ultramarins doivent faire face au gel des octrois de permis d’extension et de création d’hypermarchés mais aussi à la difficulté de trouver des franchiseurs.
En janvier dernier, le ministre Manuel Valls semblait bien déterminé à remédier à cette situation, pointant du doigt les « grands groupes » ayant « des monopoles [qui faussent] la concurrence », « étouffent l’économie » et « les populations » . « Nous avons besoin de grandes entreprises qui créent de l’emploi » , avait-il ajouté. Reste à voir ce que comportera précisément ce projet de loi annoncé d’ici l’été et qui sera à l’étude après le projet de loi Mayotte qui va être discuté au Sénat en mai puis à l’Assemblée en juin.
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