Maire-info
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Édition du mercredi 29 janvier 2025
Urbanisme

Cadastres défectueux : les députés prolongent de dix ans les mesures visant à résorber le « désordre de la propriét頻 

Le « désordre juridique foncier » touche particulièrement la Corse où seulement 70 % des parcelles disposent d'un titre foncier régulier, contre 99 % au niveau national. Mais les territoires ultramarins et certains départements ruraux en sont également victimes. Pour les pouvoirs publics, la perte sur la taxe foncière est évaluée à 20 millions d'euros.

Par A.W.

Des progrès, mais le compte n’y est pas. Afin de résorber le « désordre de la propriété »  foncière qui frappe certains territoires, l’Assemblée nationale vient de prolonger jusqu’en 2037 les mesures spécifiques déployées depuis 2017 (et qui devaient s’éteindre dans deux ans). Une situation problématique causée principalement par l'absence de titres de propriété réguliers.

À l’unanimité, les députés ont donc définitivement adopté, hier, une proposition de loi prorogeant la loi relative à « l’assainissement cadastral et à la résorption du désordre de la propriété », dont les dispositions « transitoires »  doivent permettre de « tendre »  vers « une normalisation foncière ». Un texte qui avait déjà été approuvé par l’ensemble des sénateurs en avril dernier, sous l’impulsion de Jean-Jacques Panunzi (Corse-du-Sud, LR) et soutenu par le gouvernement. 

Parcelles non délimitées, propriétaires présumés décédés…

« Ce prolongement permettra de consolider les acquis et de continuer à réduire les désordres fonciers qui, au-delà de leurs implications administratives, alimentent – n’en doutons pas – la spéculation immobilière »  (en Corse notamment), a ainsi défendu, hier, le ministre de l’Aménagement du territoire, François Rebsamen, devant les députés.

Quel est le problème ? Certains départements français doivent faire face à de nombreuses absences de titres de propriété, à l’imprécision du cadastre avec des biens non délimités ou encore à l'existence de parcelles appartenant à des personnes décédées. Pour résoudre ces difficultés, la loi de 2017 a ainsi facilité l’usage des « actes de propriété acquisitive »  et simplifié la sortie des indivisions grâce à des mesures fiscales incitatives.

Mais si « le travail de reconstitution des titres a connu une progression fulgurante depuis [sa] promulgation, on est encore loin d'atteindre l'objectif de normalisation », estimait ainsi Jean-Jacques Panunzi, dans l’exposé des motifs de son texte, pour justifier la prorogation des mesures dérogatoires en cours. 

Un délai assez long qui s’explique par le fait que la reconstitution d’un titre de propriété peut prendre « jusqu'à plusieurs années »  et « les usagers ont besoin de visibilité avant d'engager la procédure pour s'assurer de pouvoir bénéficier des dispositions fiscales incitatives », expliquait ainsi l’élu corse.

Corse, territoires ultramarins et ruraux

Reste que si cette situation est présente dans toute la France, elle touche particulièrement certaines régions, et surtout la Corse, dont le droit spécifique qui l’a régie de 1801 à 2012 a « favorisé ce désordre ». 

Sur l’Île de beauté, ce sont ainsi « 6,4 % des parcelles »  qui ne sont toujours pas délimitées (représentant 16 % de la surface de l’île) et « 30 % qui sont encore détenues par des personnes présumées décédées », a rappelé hier François Rebsamen. Pourquoi « présumées » ? Car ces parcelles sont aujourd’hui « enregistrées comme appartenant à une personne née avant 1910 »  (elles seraient près de 79 000), a expliqué le rapporteur de la commission des lois à l’Assemblée, Xavier Albertini.

En dépit du fait que « 15 000 parcelles ont été titrées »  et que « près de 100 000 parcelles ne sont plus enregistrées au nom de propriétaires présumés décédés »  depuis 2009, « seulement 70 % des parcelles corses disposent, à l’heure actuelle, d’un titre foncier régulier, contre 99 % au niveau national », a souligné le ministre.

Principale victime, la Corse n’est, toutefois, pas la seule à connaître ces problèmes. « Dans la plupart des départements et territoires ultramarins, en Ardèche, en Lozère, etc., ces phénomènes […] sont prégnants et ont des conséquences négatives », rappelle le sénateur corse, en soulignant que cette situation « nécessit[e] des mesures législatives »  en vue d’une « normalisation ».

Lourdes conséquences pour les collectivités

Une nécessité d’autant plus pressante que cette situation est génératrice « d'insécurité juridique »  et provoque « des effets économiques néfastes », pour les particuliers comme pour les pouvoirs publics.

Pour les particuliers, le désordre foncier « limite l’exercice de leur droit de propriété, complique les successions, les donations et l’accès au crédit »  et rend également « coûteuse la sortie des indivisions », a souligné hier François Rebsamen.

« Autant d'éléments qui participent au délabrement du patrimoine immobilier et alimentent des contentieux abondants dans les familles », déplore, de son côté, Jean-Jacques Panunzi en reprenant mot pour mot l’exposé des motifs de la proposition de loi transpartisane déposée en 2016 à l’Assemblée.

Les pouvoirs publics doivent, eux, faire face à un autre problème majeur : « le recouvrement de l'impôt, foncier, d'habitation et surtout de transmission, relève du parcours du combattant ». Ce qui entraîne de lourdes conséquences et un manque à gagner pour l'État et les collectivités territoriales évalué par le ministre à « environ 20 millions d’euros sur la taxe foncière ». 

Plus globalement, « la perte de recettes fiscales liées au niveau moindre de déclaration des successions par rapport à la moyenne nationale était estimée par l’Inspection générale des finances (IGF) à 50 millions d’euros par an », a pour sa part souligné Xavier Albertini qui a observé « une hausse de la perception des droits de succession »  en Corse depuis l’entrée en vigueur de la loi avec des rentrées fiscales atteignant 59 millions d’euros en 2023, contre 6 millions d’euros en 2013 (ou encore 30 millions en 2019 et 43 millions en 2022). 

François Rebsamen a, par ailleurs, rappelé que le désordre foncier « entrave la mise en œuvre de législations déterminantes, comme en matière de sécurité des personnes et des biens, de vétusté des bâtiments ou de prévention des incendies »  pour le débroussaillement. 

Sans compter que « les mairies se trouvent en difficulté pour faire appliquer la réglementation environnementale, pour recourir à la législation des biens vacants et sans maître, ou encore celle des immeubles menaçant ruine ». Les communes n'ayant alors « d'autre choix que de laisser le patrimoine immobilier se dégrader sans avoir la possibilité d'intervenir efficacement », dénonce Jean-Jacques Panunzi.

Consulter le texte adopté.

 

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