Recrutements dans la fonction publique : les difficultés se confirment
Par Bénédicte Rallu

[Article initialement paru sur le site de Maires de France.]
« Contrairement à la tendance continue depuis 2018, les intentions de recrutement régressent fortement : seulement 43,4 % des collectivités et intercommunalités répondantes envisagent de recruter prochainement », indique le Baromètre HoRHizons, présenté le 28 janvier à l’AMF (enquête Qualitest réalisé par téléphone du 07/10 au 03/12/2024, auprès d’un échantillon de 1 000 collectivités représentatives), par les associations d’élus réunies dans la Coordination des employeurs territoriaux (CET). C’est 7,6 % de moins que l’édition précédente. À l’inverse, ce sont 55 % qui ne prévoient pas de recruter. Les collectivités n’avaient, il est vrai, lors du sondage, aucune visibilité sur leur budget. Mais même si l’étau financier s’est, depuis, un peu desserré sur les collectivités, celles-ci seront tout de même fortement contributrices au redressement des comptes publics.
« Il y a urgence à agir. Nous ne pouvons plus attendre, prévient Murielle Fabre, maire de Lampertheim (67), secrétaire générale de l'AMF et co-présidente de la commission FPT RH de l'association. Nous n'avons pas aujourd'hui suffisamment la possibilité de recruter. Nous n'arrivons pas à fidéliser nos agents et nous n'avons plus la capacité de pouvoir le faire. C'est quelque chose que l'on dit et que l'on répète à l'envi depuis quelques années. Je pense qu'on est sur le véritable moment crucial pour l'avenir des collectivités territoriales. 2025 sera à mon sens une année charnière ».
La hausse de la cotisation CNRACL, l'éventuelle baisse de 10% dans l'indemnisation des arrêts maladie augmentent également les charges pour les employeurs, ce qui n'aide pas à recruter. « Le contexte d'incertitudes oblige à ralentir sur les recrutements », appuie Thomas Fromentin, président de l'agglomération de Foix Varilhes, pour Intercommunalités de France.
Remplacer les départs en retraite
« Il est en effet préoccupant de voir que les perspectives de recrutements régressent car nous arrivons à la fin du baby-boom au profit du papy-boom » , ajoute Vincent Le Meaux, maire de Plouec-du-Trieux (22), vice-président de la Fédération nationale des centres de gestion. Les collectivités envisagent de recruter essentiellement pour remplacer les départs, pour près de deux tiers d'entre elles (65,2%). Un chiffre en augmentation quasi constante depuis 2017. Rappelons que 3 % des effectifs de la FPT sont partis en retraite en 2022, selon la 13e édition 2024 du Panorama de l'emploi public territorial FNCDG/ANDCDG.
De moins en moins de collectivités envisagent de créer des postes (seuls 8,7% des répondants), maîtrise ou réduction des dépenses de fonctionnement obligent. Et lorsqu'elles ont l'intention d'en créer, elles imaginent le faire majoritairement dans le domaine des services techniques (55,1%).
Problèmes d'attractivité
Le manque d’attractivité de la fonction publique territoriale est en effet de plus en plus mis en avant, encore dernièrement par France Stratégies. Le baromètre confirme cette tendance : 52,7 % des collectivités répondantes ont des problèmes pour recruter et fidéliser les agents.
Selon les strates des collectivités, les difficultés pour recruter et/ou fidéliser peuvent « varier du simple au double », fait remarquer Igor Semo, maire de Saint-Maurice (94), vice-président de l'APVF : 42 % dans les communes de moins de 3 500 habitants, 81,5% dans les villes jusqu'à 20 000 habitants... « Dans nos petites communes rurales, cela pose la question du maintien des services publics de proximité, voire l'existence même de nos communes », alerte Chantal Gantsch, maire de Savignac-sur-L'Isle (33) représentant l'AMRF.
Le régime indemnitaire reste plus que jamais le premier et principal levier pour pallier cette faiblesse, selon 59,7 % des répondants (+ 8 points par rapport à la précédente édition). Les communes, surtout les plus petites (60,8 % des moins de 3 500 habitants), le citent.
Les employeurs territoriaux apparaissent conscients des faibles rémunérations de leurs agents puisque 69,8% des répondants disent avoir versé une prime en faveur du pouvoir d'achat. Et quand ils ne l'ont pas versée, c'est en raison essentiellement d'un manque de ressources financières. La Coordination des employeurs territoriaux alerte d'ailleurs depuis longtemps sur cette question des moyens et souhaite que soit mise en place une négociation nationale annuelle obligatoire sur la rémunération des agents publics à laquelle ils puissent participer.
La protection sociale complémentaire (PSC) apparaît comme le second levier « pour quasiment une collectivité sur deux ». L’obligation de participer au volet prévention depuis le 1er janvier 2025 et le développement des conventions de participation dans les centres de gestion et les structures intercommunales en 2024 peuvent expliquer en partie ce résultat, selon les auteurs du baromètre, notamment, là encore, dans les petites communes. En effet, 54,4 % des collectivités de moins de 3 500 habitants désignent la PSC comme le second levier d’attractivité.
Qualité de vie au travail
« Nous avons besoin de rendre la FPT plus attractive car nous sommes en concurrence avec les autres fonctions publiques et avec le secteur privé, explique Vincent Le Meaux. Les collectivités ont des budgets en équilibre et nous n'avons pas les moyens de mieux reconnaître le travail des agents. Le régime indemnitaire, la protection complémentaires sont de petits ajustements. Il ne font pas basculer une décision lors des recrutements. Il nous faut davantage innover dans nos négociations avec les agents, dans le management des équipes car nous avons besoin de davantage de souplesse et d'agilité ».
La qualité de vie au travail (38,7 % contre 38,4 % dans l’édition 2024 du baromètre) et l’action sociale (26,7 % contre 20,7 %) constituent deux autres leviers importants d’attractivité, devant le télétravail qui semble devenir de moins en moins un outil distinctif (23,5 % contre 25,9 %).
À rebours des récents discours désobligeants sur l'absentéisme des agents publics, 79,3% des collectivités répondantes n'ont pas constaté d'augmentation du taux d'absentéisme dans leurs effectifs.
Dans leur stratégie RH, les employeurs territoriaux misent avant tout sur la formation (83,2%) et l'amélioration de la prévention, de la santé et de la sécurité au travail (81,1%). Olivier Richefou, président du département de la Mayenne et vice-président de Départements de France, se « réjouit de l'organisation très efficace en France via le CNFPT. Il est normal et essentiel que les compétences des agents soient les plus optimales possibles pour rendre le meilleur service public à la population ». Yohann Nédélec, président du CNFPT et co-président de la commission FPT-RH de l'AMF ne peut qu'acquiescer en rappelant que la cotisation versée par les collectivités est « importante pour financer les formations du CNFPT qui reste deux à trois fois moins cher que les organismes de formation privés ».
Le président du CNFPT souhaite aussi lancer le débat de la formation des policiers municipaux: « 30 000 agents employés par seulement 4000 collectivités, mais dont la formation est financée par la cotisation de l'ensemble des collectivités. On peut se poser la question de l'équilibre financier. »
Le contrat prend sa place
Lorsqu'elles comptent embaucher, les collectivités préfèrent porter leur choix sur les fonctionnaires (pour 57,4 % des répondants) plutôt que des contractuels. Mais près d'un tiers ont envie de recourir prioritairement à des contractuels. L'idée fait de plus en plus son chemin dans les petites communes de moins de 3 500 habitants (46 %). Cette tendance serait essentiellement due à l'absence de candidat titulaire sur les offres d'emploi (48,9 %) ou pour faire face à des vacances d'emploi temporaire (44,8 %). L'explication idéologique (volonté d'ouvrir les recrutements contractuels) arrive très loin dans les raisons invoquées (13,8 %).
La Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), dans une note sur l'emploi contractuel dans la fonction publique publiée le 23 janvier, relève toutefois que les agents sous contrats représentent dorénavant 23 % des effectifs de la FPT en 2022 et que les collectivités titularisent de moins en moins (en baisse de 6 % entre 2011 et 2022). Dans la FPT, les effectifs de contractuels ont augmenté de 26,1 % et ceux de fonctionnaires de 1,6 % entre 2011 et 2022, constate aussi la DGAFP. Un résultat qui nuance donc les intentions des recruteurs.
Mais il faut aussi souligner que l'étude de la DGAFP porte sur l'année 2022 quand le Baromètre HoRHizons porte sur des intentions de recrutements. Quoi qu'il en soit, le modèle du recrutement sous contrat s'est pleinement installé dans le paysage des ressources humaines territoriales.
En revanche, contrairement à l'ambition initiale, le contrat de projet (c'est-à-dire un emploi dont le temps est limité à la durée d'un projet) fait très peu recette: 82,9 % des répondants n'y ont pas eu recours en 2024. Par ailleurs, le recours aux contrats aidés comme aux contrats d'apprentissage diminue parallèlement à l'extinction des cofinancements.
Avec le retrait annoncé du soutien de l'État et de France Compétences, le CNFPT a également décidé de réduire la voilure. L'établissement finance l'apprentissage par une cotisation de 0,1 %n ce qui représente 45 M€ et 5000 contrats pour 2025. Isabelle Rastoul, adjointe au maire d'Orléans, au nom de France urbaine, souhaite d'ailleurs « réinterpeller le gouvernement sur l'accord qui avait été passé avec l'Etat et qui devait être un système pérenne » , contrairement à ce qu'a indiqué Catherine Vautrin, ministre du Travail lors des voeux du CSFPT début janvier (lire notre article). « Pour les collectivités, l'apprentissage n'est pas seulement une voie de pré-recrutement, rappelle Isabelle Rastoul. Il permet aussi aux collectivités de confronter l'employabilité des jeunes sur un territoire, ce qui n'est pas sufficamment relevé ».
Le Coordination des employeurs territoriaux a rencontré le ministre de Fonction publique, Laurent Marcangeli, qui leur a annoncé vouloir travailler sur le court terme, faute de visibilité sur le long terme. Le seul sujet qui semble avancer reste la transposition de l'accord PSC de juillet 2023.
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