Risque terroriste à l'échelle communale : le rôle du maire dans la prévention et l'intervention
Par Lucile Bonnin
Alors que le procès des attentats de Trèbes et Carcassonne, qui avaient fait quatre morts en mars 2018, dont le gendarme Arnaud Beltrame, s'est ouvert il y a quelques jours devant la Cour d'assises spéciale de Paris, le sujet du terrorisme reste une préoccupation majeure des maires de France.
Hier, à l’occasion d’une réunion de la commission prévention de la délinquance et sécurité de l’association des maires des France, co-présidée par Frédéric Masquelier, maire de Saint-Raphaël, et Jean-Paul Jeandon, maire de Cergy, le risque terroriste à l’échelle communale a fait l’objet de plusieurs échanges entre les représentants des forces de l’ordre et les élus.
David Lisnard, président de l’AMF, a rappelé « l’intérêt majeur » de ce sujet, qui rejoint d’autres travaux menés au sein du groupe de travail dédié aux risques et crises, sous la co-présidence d’Éric Ménassi, maire de Trèbes et Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-La-Napoule. « Sur le risque terroriste, lorsque survient un phénomène de malveillance extrême, l’approche des pouvoirs publics locaux est similaire à celle qu’il faut suivre lorsqu’il y a un risque naturel majeur soudain » , explique David Lisnard. « Il faut être efficace sur les trois premières minutes » et pour cela, « la préparation des services et le développement d’un civisme est fondamental pour que les habitants aient les bons comportements » . Pour Éric Ménassi, les maires doivent « se préparer au pire », « avoir conscience du risque et en faire une force » .
« Toutes les communes sont concernées »
« L’actualité nous rappelle combien les communes sont vulnérables », indique le maire de Trèbes qui précise qu’aujourd’hui, le terrorisme frappe n’importe où : « il n’y a plus de situation géographique privilégiée » . Il prend l’exemple de sa ville qui compte 6 000 habitants, « nichée au cœur de l’Occitanie et que rien ne prédestinait à cette barbarie » (attentat du 23 mars 2018 dans le supermarché de Trèbes).
Le constat est largement confirmé du côté des forces de l’ordre et des forces spéciales. Mathieu Debatisse, commissaire divisionnaire et sous-directeur adjoint de la sous-direction anti-terroriste explique que « toutes les communes sont concernées » par le risque terroriste. Le commissaire divisionnaire observe une « émergence des extrémismes » avec notamment « une montée en puissance des mouvances d’ultra gauche et d’ultra droite marquée par une aggravation des phénomènes de violences ». Il cite aussi les phénomènes séparatistes qui touchent principalement les communes de Corse qui ont connu plusieurs attentats et tentatives d'attentats en octobre dernier. Enfin, il confirme que le risque d'attaque n'est pas corrélé au nombre d’habitant et que récemment, de plus en plus de petites communes semblent être des cibles privilégiées.
Le colonel Alexandre du GIGN ajoute que celui-ci est le « premier partenaire de la gendarmerie (qui couvre 90 % du territoire) » et qu'une réorganisation a été faite récemment au niveau de la répartition des effectifs, signe que le risque est bel et bien partout : 400 effectifs du GIGN sont répartis en 7 antennes métropolitaines et 250 opérateurs au sein de 7 antennes en outre-mer.
Le rôle pivot du maire
Philippe Tireloque, inspecteur général et directeur national adjoint de la Sécurité publique, a rappelé que les maires sont des « facilitateurs de proximité ». Au niveau de prévention d’abord, Mathieu Debatisse qualifie les maires de « premiers connaisseurs communaux et experts en charge de la détection des signaux faibles et des lieux qui peuvent faire l’objet d’une attaque ». Le maire doit pouvoir en effet identifier les lieux « à risques » et les porter à la connaissance des services de police. Une anticipation logistique est indispensable pour déterminer des hypothèses de crise (lieu d’accueil anticipé, association à mobiliser, etc). Philippe Tireloque attire l’attention des élus sur l’importance de mener une sensibilisation sur le long terme auprès des citoyens. Il prend notamment l’exemple des établissements scolaires, où selon lui, il est « indispensable d’organiser des exercices » pour les personnels et les élèves en cas d’attaque terroriste, et ce dès l’école élémentaire.
Pendant la crise, le maire va « être à la croisée des chemins pour répondre aux sollicitations », selon Mathieu Debatisse. « La crise terroriste a une spécificité que n’a pas les autres crises : l’historien nous apprend que la neutralisation d’un auteur ne neutralise pas la menace qu’il représente », indique le commissaire divisionnaire. Ainsi, le maire comme les agents, doivent pouvoir coopérer de manière fluide et organisée.
Enfin, en post-crise, les maires doivent notamment s’occuper de la prise en charge des impliqués résidant ou non de la commune. Une démarche de retour d'expérience sera aussi à engager. Le maire a surtout « un rôle de communication fondamental auprès de la population ». Pour le maire de Trèbes, « cette prise de parole doit être réfléchie et mesurée ».
Police municipale et PCS
Quelques points d’insatisfactions ont été soulevés hier. Dans les faits, les polices municipales sont très souvent les équipes primo-intervenantes en cas d’attaque terroriste. Jean-Paul Jeandon confirme : lors de l’attaque de Conflans-Sainte-Honorine (assassinant de Samuel Paty), les premiers arrivants ont été les policiers municipaux. Cependant, dans les petites communes par exemple, elles ne sont pas toujours en en capacité d’apporter le premier niveau de riposte aux terroristes notamment d’un point de vue matériel ou encore au niveau de leur formation. Julien Smati, maire de Rillieux-la-Pape, insiste notamment sur ce besoin de former davantage les policiers municipaux au risque terroriste. Noemie Angel, directrice générale adjointe en charge du développement et de la qualité de la formation du Centre National de la Fonction Publique Territoriale (CNFPT), a rappelé que des formations sont proposées à destination des policiers municipaux en ce sens.
Autre sujet : les Plans communaux de sauvegarde. Jean-Michel Fauvergue, ancien chef du Raid et ancien député de la majorité, désormais consultant en sécurité, a précisé qu’un travail était en train d’être réalisé pour intégrer la prise en compte des risques liés aux actes de terrorisme dans les PCS et les plans intercommunaux de sauvegarde (PICS). Une évolution est donc attendue, confirme Philippe Tireloque.
Enfin, la relation déséquilibrée entre le maire et les forces de sécurité a aussi été reconnue et reste regrettée par certains maires qui aimeraient avoir accès à des informations comme par exemple les fichés S ou encore les suivis d’enquête. Philippe Tireloque rappelle qu’une circulaire datant de 2018 a renforcé l’échange d’informations en matière de prévention de la radication de la violence qui cadre strictement les informations auxquelles le maire peut avoir accès (lire Maire info du 30 mai 2018).
Jeux olympiques et paralympiques 2024
La réunion a aussi été l’occasion d’évoquer la situation particulière que le pays va connaître au niveau de sa sécurité cet été 2024. « L’installation des sites olympiques en juin va demander beaucoup d’effectifs et donc de transferts de renforts nationaux vers Paris, explique Philippe Tireloque. Certaines journées importantes des Jeux nécessiteront le déplacement de plus de 40 000 fonctionnaires certains jours. En plus de cela, il y aura le Tour de France, le championnat d’Europe de football 2024 dont la finale est prévue pour le 14 juillet, les fêtes locales, les férias, etc… On va massivement utiliser les forces mobiles pour éviter de trop déplacer les policiers de province vers Paris ».
La situation est donc tendue et le défi sera de maintenir un niveau de sécurité élevé dans toutes les communes de France, aussi bien pour préserver la vie culturelle des communes (lire Maire info du 18 janvier) que pour contrer d’éventuelles attaques terroristes. Pour cela, il faut que les élus locaux « se préparent en amont avec les services de l’État » afin de réussir « ce défi majeur » , conclu Philippe Tireloque.
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