Les dérives sectaires prolifèrent de façon inquiétante
Par Bénédicte Rallu
Le ministère de l’Intérieur, ministère de tutelle, juge les chiffres présentés dans le rapport de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), publié ce 3 novembre, « alarmants » . Les phénomènes sectaires se développent fortement en France.
Le nombre de signalements à la Miviludes a crû de 33,6 % entre 2020 et 2021. La Mission a comptabilisé 4 020 signalements en 2021, ce qui constitue « un record » . Cela représente une augmentation de plus de 44 % entre 2018 et 2021 et de 86,1 % par rapport à 2015. Et il ne s’agit là, pour la Miviludes, que de la partie visible de l’iceberg « dont l’ampleur n’est pas connue » , tant ces phénomènes sont difficiles à repérer en dehors des signalements…
La santé la plus visée
La majorité de saisines de la Miviludes en 2021 étaient en rapport avec le champ de la santé, soit 744 dossiers dont 70 % relèvent de pratiques de thérapies non conventionnelles (naturopathie, reiki, nouvelle médecine germanique…) ; 10 % des saisines concernent des mineurs, directement ou indirectement (396 dossiers). Presque 4 % des saisines ont trait au complotisme et au mouvement antivax (148 dossiers). Ces saisines ont donné lieu à une vingtaine de signalements au procureur de la République au titre de l’article 40 du Code de procédure pénale.
Pourquoi une telle expansion ? Plusieurs raisons l’expliquent : contexte anxiogène, perte de repères, atomisation des mouvances sectaires, réseaux sociaux (facilitant l’accès notamment aux plus jeunes), développement de pseudo-thérapies alternatives à la médecine, interdépendance avec la croissance des thèses complotistes, etc. L’apparition du covid-19, les confinements, la crise sociale ont joué le rôle de catalyseurs.
« Il est indéniable que la crise engendrée par le covid-19 a déstabilisé de nombreuses personnes en perte de repères dans une société complexe, interconnectée où l’information côtoie la désinformation. La Miviludes s’est retrouvée confrontée à des saisines, reflet d’une véritable crise sociale teintée d’isolement, de questionnements, de colères et de craintes. Des manipulateurs isolés et parfaitement autonomes ont pu aisément exploiter ce contexte pour propager leur doctrine sur les réseaux sociaux » , explique le rapport qui qualifie ces derniers de « gourous 2.0 ».
Mouvements connus, gourous autonomes
Si des mouvements connus, tels l’Église de scientologie ou les Témoins de Jéhovah, perdurent et continuent de faire l’objet de nombreux signalements, de petits groupes, voire des « gourous autonomes » prolifèrent également. Le mode de recrutement a lui aussi évolué : les démarchages à domicile sont moins fréquents, mais se font dorénavant davantage par téléphone, mail, courrier, réseaux sociaux. Les dérives sectaires n’épargnent aucun territoire et aucune couche sociale.
« L’offre sectaire s’est considérablement accrue », constate la Miviludes. Le paysage est « plus vaste, plus segmenté et plus mouvant » . Donc plus difficile à explorer. Il touche différents secteurs (santé, éducation, formation, spiritualité…). Un point commun tout de même à tous ces phénomènes : l’opposition à l’ordre établi.
Le rapport dresse un panorama (non exhaustif) de dérives sectaires actuelles qui l’inquiètent plus particulièrement : « les multinationales de la spiritualité » comme l’Église de la scientologie ou les Témoins de Jéhovah, des mouvements moins connus comme La Famille ou les Frères de Plymouth, l’anthroposophisme, les éco-villages, le néo-chamanisme, le féminin sacré, le masculinisme, virilisme et anti-féminisme.
La multiplication de pseudo-guérisseurs devient un enjeu de santé publique, pour la Miviludes, tant ils peuvent détourner leurs victimes de leurs traitements thérapeutiques ou mettre en danger les personnes concernées. La Mission interministérielle émet quelques points de vigilance qui peuvent mettre la puce à l’oreille (dénigrement de la médecine conventionnelle, incitation à l’arrêt d’un traitement, incitation à se couper de l’entourage…). Le rapport attire aussi l’attention sur les domaines de la formation, du développement personnel, du coaching, de la méditation (en particulier de pleine conscience) qui peuvent être de véritables portes d’entrée vers des pratiques déviantes.
« Changer d’échelle » pour combattre le fléau
Face à ces constats, Sonia Backès, la secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté, a annoncé la tenue d’assises des dérives sectaires et du complotisme. La première édition se tiendra au début de l’année 2023. « Ces assises réuniront les services de l’État, des responsables politiques, des scientifiques, des experts ainsi que les associations engagées dans la lutte contre les dérives sectaires et le complotisme. Cet événement poursuivra trois objectifs : sensibiliser l’opinion publique aux dérives sectaires ; créer des modalités de coopération renouvelées favorisant l’identification et le signalement des dérives sectaires ; élaborer un plan d’action pluriannuel permettant d’adapter notre organisation ainsi que notre arsenal juridique à l’évolution du phénomène » , précise le communiqué de la secrétaire d’État. Pour Sonia Backès, personnellement touchée puisque sa propre mère appartenait à l’Église de scientologie, il faut clairement « changer d’échelle si nous voulons proposer des solutions efficaces. J’entends donc adapter l’action de l’État afin de pouvoir bénéficier de tous les outils nécessaires pour combattre efficacement ce fléau » .
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