Un rapport sénatorial pointe les difficultés auxquelles est confronté l'hébergement d'urgenceÂ
Par Franck Lemarc
L’année 2020 a, forcément, été exceptionnelle en matière d’hébergement d’urgence. Dès le 27 mars 2020, dix jours après le début du premier confinement, une instruction ministérielle définissait l’hébergement des personnes à la rue comme « la première priorité ». Des centres d’hébergement spécialisé (CHS) étaient ouverts pour les sans-domiciles malades du covid-19 (40 000 places environ) et les hôtels étaient mobilisés de façon massive. Résultat : « Les demandes d’hébergement formulées au 115 ont pu être satisfaites à un niveau beaucoup plus élevé que d’habitude », note Philippe Dallier.
Sous-budgétisation
Indépendamment de la crise épidémique, le sénateur note que « l’écart entre le budget de la politique d’hébergement et les crédits réellement alloués » s’accroît de plus en plus, ce qui oblige, systématiquement, à des ouvertures de crédits en cours d’année. En 2017, la loi de finances avait prévu 1,7 milliard d’euros de crédits ; il en a été consommé presque 2 milliards. En 2020, l’écart s’est creusé bien davantage encore : 1,99 milliard budgetés, 2,4 milliards dépensés. Et surtout, alors que les règles des lois de finances devraient imposer que les crédits alloués pour une année soient ajustés en fonction des besoins réels constatés l’année précédente, il n’en va jamais ainsi : « Le budget alloué pour une année est systématiquement inférieur aux dépenses réalisées l’année précédente. »
Cette situation met les associations et les autres acteurs de l’hébergement d’urgence en grande difficulté : « En 2020, souligne Philippe Dallier, l’État n’a pas pu régler 100 millions d’euros environ dus à ces organismes, qui ont été contraints de faire appel à leur trésorerie ou de solliciter des prêts bancaires. » L’ancien maire de Pavillons-sous-Bois demande donc que le prochain collectif budgétaire ouvre enfin « les crédits nécessaires afin d’éviter que les organismes se retrouvent dans les mêmes difficultés en fin d’année ».
« Dysfonctionnements majeurs » des SIAO
Le rapport détaille les difficultés auxquelles se heurte la création de nouvelles places d’hébergement : coût du foncier, identification et mobilisation des locaux existants et « difficultés croissantes de recruter des travailleurs sociaux ». Le nombre de personnes qu’il faut héberger est en hausse croissante et les publics se diversifient, avec notamment une augmentation de 70 % depuis 2015 des places dédiées aux femmes victimes de violences.
Un chiffre donne à lui seul l’ampleur du phénomène : il y avait 9 000 personnes hébergées en places d’urgences en 2009 ; et 25 900 en 2017 – soit bien avant la crise sanitaire, qui a aggravé la situation.
Face à cette dégradation, l’État a réagi en 2014 en mettant en place les SIAO (services intégrés d’accueil et d’orientation), au nombre d’un par département, chargés de recenser les places disponibles à un instant T et d’y orienter les demandeurs. C’est ce que l’on appelle couramment « le 115 ». La mise en place de ce système n'a toutefois pas permis de faire diminuer suffisamment significativement le nombre de demandes non pourvues. De plus, au cours de l’année 2020, la mise en place d’un nouveau système informatique unifié pour les SIAO a conduit à des « dysfonctionnements majeurs » – toujours pas résolus à cette heure, et jugés « incompréhensibles » par le rapporteur. « Le nouveau système ne permet pas aux opérateurs d’avoir une vision exacte des places d’hébergement disponibles » et, pire, « aurait causé des pertes de dossiers ». Un « audit » a été engagé en mars sur cette question par le ministère chargé du Logement, indique Philippe Dallier, qui constate néanmoins « une absence manifeste et très préoccupante de pilotage de ce projet » et s’interroge sur « la disponibilité des compétences de gestion de projet au sein des administrations centrales ».
74 000 personnes logées en hôtel
Philippe Dallier souligne également, dans son rapport, la place de plus en plus importante prise par l’hébergement en hôtel : « Une population équivalente à celle de villes comme Cannes ou Calais [74 000 personnes] est actuellement hébergée dans des hôtels ». Là encore, les chiffres sont impressionnants : en 2007, il n’y avait que 9 800 personnes hébergées en hôtel – chiffre qui a donc été multiplié par presque huit en un peu plus de 10 ans. Avec, à la clé, les difficultés déjà identifiées depuis longtemps par les acteurs du secteur : pas de lieu pour cuisiner, localisation des hôtels dans des lieux souvent « trop périphériques » …
Le rapporteur pose la question de l’éventuelle reconversion, à l’issue de la crise sanitaire, de certains hôtels en lieux d’hébergement pérennes, ce qui pourrait passer par le rachat d’hôtels par l’État ou les associations. Cette solution pourrait être intéressante non seulement du point de vue des personnes hébergées, mais également de celui de certains hôteliers qui pourraient être très affectés par la réduction prévue – et durable – du tourisme d’affaires.
Logement social
Philippe Dallier conclut son rapport par le constat que le seul moyen de désengorger l’hébergement d’urgence est l’amélioration de l’accès au logement social. Ce qui ne semble pas être à l’ordre du jour, puisque le sénateur a constaté, entre septembre 2019 et septembre 2020, une baisse de plus de 8 % du nombre de personnes sans abri ou en hébergement ayant obtenu un logement social.
La solution est, évidemment, « une relance de la construction de logements sociaux ». Mais celle-ci, constate Philippe Dallier, est « loin d’être acquise à l’heure actuelle ». Bien au contraire : on sait que les mesures prises en la matière par le gouvernement, sur les APL notamment, vont plutôt avoir pour conséquence une réduction de la capacité de construction de logements sociaux, comme les associations d’élus le dénoncent depuis trois ans.
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2
Les collectivités locales ont bien fini l'année 2020 « à l'équilibre », confirme l'Insee
Congés familiaux : de nouveaux droits accordés aux agents dès le 1er juillet
La MSA refuse l'injonction de l'État de supprimer 1 500 postes