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Édition du mercredi 2 octobre 2024
Social

Politique d'hébergement des sans-abri : un rapport de la Cour des comptes pointe les manquements de l'État

Dans une publication dévoilée hier, la Cour des comptes alerte sur la nécessité pour l'État de renforcer le pilotage des structures d'hébergement. Elle dénonce aussi une « stratégie de court terme » qui détériore la qualité de l'offre pour les sans-abri.

Par Lucile Bonnin

En 2022, le nombre de personnes sans domicile fixe était de 330 000 – il a été multiplié par deux en dix ans. Pour faire face à cette « croissance continue » , en dix ans, les crédits de l’État attribués à l’hébergement de ces personnes ont triplé, s’élevant à 3,2 milliards d’euros en 2023. 

Le parc d’hébergement atteint désormais 334 000 places et a, comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport, « vocation à assurer le droit à un hébergement d’urgence pour "toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale" ».

La politique publique liée à ces questions « se subdivise en un hébergement d’urgence de droit commun, qui comprend les deux tiers des places, et est piloté par la délégation à l’hébergement et à l’accès au logement - Dihal ; et l’hébergement spécifique aux demandeurs d’asile pour le dernier tiers, piloté par la direction générale des étrangers en France - DGEF. » 

Malgré ces augmentations budgétaires et matérielles, la Cour des comptes estime que l’État mène une politique « sur le mode de la gestion d’urgences temporaires », « comme si les flux pouvaient s’inverser ou se tarir, alors qu’ils n’ont fait que se consolider et s’intensifier ». 

Dysfonctionnements financiers 

L’État « a privilégié le recours à la subvention annuelle plutôt qu’à la contractualisation pluriannuelle ou à l’autorisation d’établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) de nature plus pérenne ; le recours à des modes d’hébergement incluant moins d’accompagnement social ; et enfin des pratiques de sous-évaluation et de gel de crédits, systématiquement corrigées en fin de gestion faute de pouvoir véritablement maîtriser les déterminants de cette dépense. » 

La Cour dénonce aussi un dégel tardif des dotations, en particulier concernant l’hébergement d’urgence, qui a notamment pour conséquence « un report de la charge de trésorerie sur les organismes du secteur de l’hébergement. De manière récurrente, les subventions sont en effet versées aux organismes gestionnaires en toute fin d’année, et ce de manière plus marquée encore que ne le sont les délégations de crédits. Le versement des crédits aux ESSMS, bien que strictement encadré par les textes, connaît un léger déport vers la fin d’année. » 

Aussi, « l’insuffisance de la budgétisation initiale »  mène à une « pratique récurrente de mobilisation par l’État de la trésorerie des organismes partenaires ». Cette inadéquation entre moyens et dépenses effectives est dénoncée chaque année par les associations. 

Les magistrats de la rue Cambon recommandent « d’inscrire et mettre à disposition, dès la loi de finances initiale, les crédits correspondant aux engagements d’hébergement de l’État »  et d’ « appliquer le taux de réserve de 0,5 % aux crédits du programme 177 destinés au financement des structures d’hébergement d’urgence ». 

Un contrôle par l’État des gestionnaires à renforcer 

En dehors du cadre budgétaire, et « compte tenu de l’ampleur prise par cette politique », la Cour insiste sur le fait que les services de l’État doivent investir davantage dans la relation avec les organismes qui la mettent en œuvre cette politique « qu’il s’agisse de la stratégie, du pilotage budgétaire, des relations contractuelles ou du contrôle. » 

Concrètement, l’État « ne s’est pas donné les moyens de suffisamment connaître la solidité et la qualité des prestations des organismes auquel il faisait appel et dont il a alimenté la forte croissance. Le paysage associatif qui assure l’hébergement pour son compte est partagé entre une multitude de petits acteurs locaux, et quelques grands organismes présents sur l’ensemble du territoire, et les contrôles organiques menés par la Cour révèlent, parmi ces grands organismes, un degré de maturité variable ». 

Le rapport soutient par exemple que la Dihal ne dispose « pas des outils de pilotage permettant de financer les établissements en s’étant assuré de leur efficience, l’administration a donc recouru à des modes assez frustes de gestion budgétaire, assumant une dégradation de la qualité de l’offre d’accompagnement social. » 

En plus de s’engager en début d’année auprès des organismes sur un calendrier ferme de versement des subventions, les magistrats proposent de déployer une stratégie nationale de contrôle de ces derniers et de leurs établissements. Par ailleurs, la Cour estime qu’il serait opportun d’engager pour 2025 « une démarche de conventionnement triennal généralisée de ces établissements d’hébergement d’urgence »  et de systématiser « le recours aux règles de la commande publique pour l’achat »  de nuitées d’hôtel.

Enfin, selon la Cour des comptes, « l’action prioritaire à mener est la transformation, d’une grande partie des établissements d’hébergement d’urgence en établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) ». Rappelons que la loi Élan a facilité la transformation de places d'hébergement d'urgence subventionnées en places de CHRS, sous condition de signature d’un contrat pluriannuel d’objectif et de moyens (CPOM). 

Consulter le rapport. 

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