Maire-info
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Édition du vendredi 10 mars 2023
Social

L'aide à domicile ne veut plus de « bouts de ficelles »

« Nous sommes dans une situation très grave à l'heure où la demande va s'accentuer du fait du vieillissement, de demandes plus fortes d'accompagnement à domicile de personnes handicapées, de malades de longue durée et de familles en difficulté », alerte l'UNA.

Par Emmanuelle Stroesser

« Nous l’avons échappé belle, cela aurait pu avoir lieu au mois d’août ». L'ironie de la présidente de l'UNA (Union nationale de l'aide, des soins et des services aux domiciles), Marie-Reine Tillon, à propos de la première journée nationale des aides à domicile, le 17 mars, témoigne du niveau de colère des professionnels de ce secteur. Non qu'ils remettent en cause l'intérêt de cette journée voulue par le gouvernement pour « les remercier pour leur engagement et reconnaître la place essentielle qu'ils et elles tiennent dans notre société »  selon le communiqué du ministère. Mais ils contestent en revanche que le « virage domiciliaire », défini comme l'objectif poursuivi, soit une réalité… 

Car tout ne va pas mieux dans le secteur, alerte une nouvelle fois l'UNA, qui fédère près de 630 structures du secteur non lucratif (dont des CCAS). Depuis 2018, chaque année, à cette même période, la fédération publie un sondage Opinion Way réalisé auprès des directeurs des services d'aide et de soins à domicile du réseau de l'UNA, permettant de faire un point sur la situation des aides à domicile, tous secteurs confondus (personnes âgées, handicapées, familles). D'année en année, les signaux se dégradent. Cette année encore, les indicateurs déjà rouges virent à l’écarlate. 

Toujours plus de demandes d'aide refusées

Les refus de prise en charge augmentent. C'est le cas en 2022 d'une demande sur dix (+ 20 % par rapport à 2020) (2). Une demande sur quatre ne peut être prise en charge que partiellement (le ratio était d'une demande sur cinq en 2020), et c'est particulièrement le cas dans les services de soins à domicile (SSIAD) et davantage en province qu'en région parisienne. Sept directeurs sur dix témoignent de ruptures dans la prise en charge, toutes régions et tailles de structures confondues.

La principale raison est la même que depuis des années, mais là encore aggravée faute de réponses adéquates, selon les professionnels : le manque de personnel. Celui-ci fait défaut soit en raison de l'absentéisme – le secteur de l'aide à domicile reste l'un des métiers le plus risqués en termes d'accidents du travail – mais aussi, et surtout, parce qu'il est de plus en plus difficile de recruter du personnel : plus d'un poste sur deux ouverts au recrutement en 2022 (52 %) n'a pas été pourvu. Le pourcentage était de 31 % en 2020, de 19 % en 2018. Dans la majorité des cas, ce sont des postes dits opérationnels, autrement dit des auxiliaires de vie et des aides-soignants. 

Tandis que le personnel en place vieillit, les départs vers la concurrence (notamment les Ehpad) augmentent, tout comme les besoins (en raison notamment du vieillissement de la population). Ce qui fragilise un peu plus les structures, déjà pour certaines exsangues. 

L'UNA assure « balayer devant sa porte ». « Nous travaillons sur l'amélioration des conditions de travail », explique Marie-Reine Tillon. Le témoignage de la directrice d'UNArtois, une structure dotée d'un service polyvalent d'aide à domicile (SPASSAD), de 280 salariés, vient à propos pour démontrer les pistes internes mises en œuvre pour améliorer les conditions de travail (offre de CDI et non des CDD renouvelables, nouvelle politique de prévention des risques professionnels, nouvelles méthodes de recrutement, etc.). Le résultat est tangible avec notamment « la réduction de moitié l’an dernier de nos accidents, de 20 à 10 par an. On constate aussi que le nombre de jours d’arrêt est moins important. On ne peut plus faire l’impasse sur le fait de prévenir ces risques et, forcément, d’y investir argent et formation », explique sa directrice Magalie Westrelin. « Mais j'ai un tarif contraint depuis six ans, qui me fait perdre 2 euros de l’heure !  Ce n'est pas entendable qu’une structure qui a un impact social comme la nôtre, qui accompagne 1 400 personnes, perde deux euros de l’heure ! », ajoute la directrice. Les salaires continuent, eux, de rester le maillon très faible de ces métiers mal reconnus.

« Cela fait des années que nous fonctionnons avec des bouts de ficelle, nous sommes au bout du système », réagit Marie-Reine Tillon. Les professionnels réclament donc des moyens. Pour financer « le tutorat de l'apprentissage »  (en développement dans ce secteur aussi), « pour accompagner les reconversions », pour réformer la tarification des services et éviter que certaines structures ne ferment (« un quart des structures sont en très grandes difficultés avec le risque de disparition d'un certain nombre d'entre elles » ). Et en urgence « un plan de sauvetage de l'aide à domicile ». L'UNA en évalue le coût à 100 millions d'euros, « immédiatement, sur un an ».

 
(1) Enquête menée du 25 octobre 2022 au 10 janvier 2023 auprès d'un échantillon de 131 directeurs de structures adhérentes à l'UNA. 
(2) La comparaison avec 2021 n'est pas possible faute d'enquête cette année-là en raison du covid-19.

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