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Édition du jeudi 5 septembre 2024
Services publics

La Cour des comptes juge le programme France services « hautement positif »Â 

Dans un rapport présenté à la presse le 4 septembre, le Premier président de l'organe de contrôle, Pierre Moscovici, a estimé que le programme France services répondait en partie au sentiment d'abandon éprouvé par de nombreux concitoyens, ainsi qu'à la fracture territoriale. La Cour recommande de pérenniser et de renforcer cette politique publique. Une position rarissime.

Par Bénédicte Rallu

[Cet article est initialement paru sur le site de Maires de France.]

À l’accoutumée plutôt critique quant à l’efficacité des dépenses publiques, la Cour des comptes a, en cette rentrée, salué la pertinence du programme France services, développé par l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT). Lors de la présentation à la presse du rapport consacré à cette politique publique le 4 septembre, son Premier président, Pierre Moscovici, a qualifié le programme de « hautement positif ». 

Le réseau France Services, avec ses 2 840 points de contact et les onze opérateurs associés [La Poste, France Travail, Cnam, Cnav, Cnaf, Mutualité agricole, etc.], « participe à une réduction indispensable du sentiment d’abandon de certains territoires ainsi qu’à la fracture territoriale », estime Pierre Moscovici. La raison ? « Près de 100 % des espaces se situent à moins de 30 minutes de transport pour les usagers. Le nombre de demandes traitées par les espaces France services a augmenté de manière continue depuis la mise en place du réseau, passant de 1,17 million en 2020 à près de 9 millions à la fin de l’année 2023 » .  Les usagers se disent satisfaits à « 90% » .

Réponse aux besoins des usagers

Ce réseau, selon la Cour, répond à une demande des usagers d’avoir un contact direct et personnalisé avec un conseiller, des réponses, une écoute et un accompagnement. Elle relève que 58 % des usagers ont plus de 55 ans. La majorité d’entre eux sont des femmes (56 %). Les jeunes sont faiblement représentés (6 % des usagers ont moins de 26 ans). Près de 82 % des demandes sont traitées sur place. 

Dans les territoires dans lesquels les services traditionnels de l’État ont peu à peu disparu, les espaces France services ont permis de « retrouver de la présence de l’État » , constate Pierre Moscovici. Désormais, « 14 % de l’accueil physique [des administrations] est assuré par le réseau France services ».

L’expérience s’avère plus « réussie »  que celle des maisons de services au public (MSAP), qui était pourtant « jusqu’alors le mécanisme de services mutualisés et polyvalents de proximité le plus abouti » . La Cour voit dans la « labellisation exigeante du réseau »  le moyen qui a permis de « faire émerger une offre étoffée et une qualité de prise en charge homogène sur le territoire ».

Coût « modeste »  pour les finances de l’État

Or le coût pour les finances de l’État reste « modeste ». Pour 2024, les crédits du réseau France services (que l’on retrouve dans le programme 112 de la mission Cohésion des territoires) sont de 113 millions d’euros et « représentent 29 % de l’ensemble du programme 112 et 0,57 % des crédits de paiement de la mission Cohésion des territoires.  Au regard des premiers résultats obtenus par le dispositif, son efficience est à souligner » , peut-on lire en page 75 du rapport. Et ce, malgré une augmentation substantielle des crédits alloués entre 2020 et 2024, passés de 48 millions d’euros  à 129 millions.  

Ces crédits ne couvrent cependant pas tous les coûts du réseau, co-financé par l’ANCT, La Poste, la Banque des territoires, les collectivités territoriales, les associations, etc. La Cour des comptes (avec les chambres régionales des comptes qui ont fortement participé au travail d’évaluation) a donc fait ses calculs pour évaluer le coût global en prenant en compte les coûts de fonctionnement, la masse salariale des divers conseillers intervenants (France services, numériques), les frais de structures, les coûts de formation des conseillers, etc. Montant estimé pour 2024 : plus de 350 M€. 

Inquiétudes

Les rapporteurs de la Cour se disent ainsi « inquiets »  du « reste à charge pour l’ensemble des porteurs des structures, notamment les collectivités et les associations » . Déduction faite de la subvention pour financer un espace France services (forfait de 30 000 € pris comme base de calcul), le reste à charge moyen est estimé à environ 70 000 €. Qui plus est, ce reste à charge « progresse car les coûts d’exploitation augmentent, depuis 2020, plus ou moins fortement selon les structures. Les charges de personnel sont les plus impactées du fait de l’intensification de l’activité et d’un glissement vieillesse technicité (GVT) positif » . Sans compter les charges indirectes, difficiles à déterminer au regard de l’enchevêtrement des missions France services avec celles du porteur (personnel d’accueil mutualisé).

Or « 15 % à 20 % des espaces France services sont déjà saturés », notamment ceux situés en quartiers politique de la ville (QPV), soulignent les rapporteurs, et « 3 % à 4 % sont même sursaturés » . Les rapporteurs estiment qu’il faudrait « renforcer ces structures avec au moins un demi, voir un équivalent temps plein »  minimum par espace pour amplifier les horaires d’ouverture et pouvoir absorber la demande… Or il faut compter environ 35 000 € pour un ETP supplémentaire.

L’autre sujet d’inquiétude de la Cour concerne les ressources humaines. « Ce beau métier »  de conseiller France services, selon les mots de Pierre Moscovici, connaît un taux de rotation élevé (15 %, soit deux fois plus élevé que dans les collectivités). Si 42 % des 7 000 conseillers sont fonctionnaires et 26 % sont en CDI, 32 % sont CDD. Or la mission est « complexe, demande de l’expertise et de la formation. La spécificité de ce métier n’est pas assez valorisée. Et les conseillers manquent de perspectives professionnelles » , a déploré le Premier président de la Cour des comptes.

Dépenser plus

« La pérennité du programme n’est pas assurée » , constate l’institution de la rue Cambon. Fait exceptionnel :  elle recommande de… dépenser plus ! En consolidant « le budget du programme France services, incluant l’ensemble des crédits engagés par l’État ainsi que les coûts estimatifs supportés par les porteurs d’espaces », en instaurant « une subvention complémentaire, financée par l’État et les opérateurs, pour les espaces France services ayant une fréquentation supérieure à trois accompagnements par heure et par agent », et de « fidéliser les ressources humaines ».

La Cour recommande également de clarifier la stratégie et la gouvernance du réseau par « la définition des étapes ultérieures de développement du programme » , en prenant « en compte le réseau des espaces France services dans la définition des schémas départementaux d’amélioration de l’accessibilité des services au public et en identifiant, au sein de chaque opérateur, des référents métiers en mesure d’être contactés directement par les conseillers France services et de prendre en charge leurs questions » . Il s’agit d’améliorer la coordination aussi bien au niveau national que local.

Pour Pierre Moscovici, tout l’enjeu dorénavant est de « réussir le dernier kilomètre du service public »  en allant vers les personnes qui ne viennent pas dans les espaces France service. L’effort devrait ainsi être porté, selon les magistrats financiers, sur l’inclusion numérique et sur une accentuation de la visibilité du réseau (qui reste encore méconnu). Un peu à l’image de ce que font la Finlande (inclusion numérique) et le Portugal (stratégie intégrée avec une Maison du citoyen comme point unique d’entrée, interopérabilité entre opérateurs, identité numérique unique…), deux pays cités en exemple par le rapport.

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