Second tour : 48 heures pour se décider à se désister ou pas
Par Franck Lemarc
Alors que les précédentes élections législatives, du fait de l’abstention, n’avaient donné lieu qu’à peu de triangulaires (une seule en 2017 et 8 en 2022), le scrutin d’hier, 67 % de participation, change la donne : le ministère de l’Intérieur annonce 307 triangulaires possibles. Ce qui ne signifie pas qu’il y en aura autant demain soir.
La gauche se désistera face au RN
Le nombre de triangulaires augmente mécaniquement en même temps que la participation pour une raison simple : le nombre de voix permettant de se qualifier pour le second tour est calculé non sur le pourcentage de votants mais celui des inscrits : il faut obtenir 12,5 % des inscrits pour pouvoir se maintenir. Moins il y a de votants, plus cette barre est difficile à atteindre. C’est la raison pour laquelle en 2022, avec une participation de 20 points inférieure à celle d’hier, très peu de candidats arrivés troisième atteignaient la barre des 12,5 % des inscrits.
L’immense majorité des triangulaires possibles opposeraient un candidat RN, un candidat NFP et un candidat de la majorité présidentielle. Une trentaine mettraient aux prises des candidats RN, LR et NFP.
Si la statistique électorale permet 307 triangulaires, la suite va être affaire de stratégies politiques : les candidats qualifiés peuvent choisir de se maintenir ou de se désister.
Dès hier soir, le camp de la gauche a fait connaître sa décision : tous les candidats Nouveau front populaire arrivés troisièmes se désisteront si le Rassemblement national fait partie de l’équation. C’est l’Insoumis Jean-Luc Mélenchon qui a tiré le premier, hier soir, en annonçant que « nulle part nous ne permettrons au RN de l’emporter ». Là où le RN est arrivé en tête et où les Insoumis seraient en troisième position, « nous retirerons notre candidature », a clairement annoncé le leader Insoumis, précisant : « En toutes circonstances, où que ce soit, et dans quelque cas que ce soit ».
Marine Tondelier, pour Les écologistes, a pris la même position, affirmant que les candidats de son parti arrivés à troisième position se désisteront. Et Olivier Faure, pour le Parti socialiste, a fait de même dans la soirée.
Concrètement, cela va signifier que la gauche va se désister en faveur de candidats de la majorité présidentielle qu’elle a lourdement vilipendés ces dernières années. Les cas les plus marquants, en la matière, sont deux de l’ancienne Première ministre, Élisabeth Borne, pour qui la gauche va se désister dans le Calvados, ou le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, dans le Nord. Olivier Faure, hier soir, a dit clairement « assumer » cette position politique.
Il reste à savoir si leurs électeurs les suivront, tant ces personnalités, notamment après l’épisode de la réforme des retraites, sont rejetées à gauche.
Le camp présidentiel divisé
Du côté de la majorité présidentielle, les choses sont moins claires. Il semble se dessiner une fracture entre certains responsables de la majorité qui souhaitent jouer, eux aussi, la carte du désistement automatique contre le Rassemblement national, et d’autres qui restent sur la position du « ni-ni », ni Rassemblement national ni France insoumise. Avec, entre ces deux camps, un Premier ministre et un président de la République dont la position est peu claire.
Du côté des premiers, on compte par exemple la ministre Sabrina Agresti-Roubache, dans les Bouches-du-Rhône, qui s’est d’ores et déjà désistée. Dans la Somme, Albane Branlant (Ensemble), s’est elle aussi désistée pour ne pas prendre des voix à François Ruffin, en ballotage défavorable face au Rassemblement national.
Les deux têtes de l’exécutif, Emmanuel Macron et Gabriel Attal, ont été plus flous, appelant, pour le premier, à « un large rassemblement démocrate et républicain », sans en dire plus ; et appelant, pour le second au désistement des candidats « dont le maintien en troisième position ferait élire un député du Rassemblement national face à un autre candidat qui défend, comme nous, les valeurs de la République ». Dans la mesure où le Premier ministre a expliqué pendant toute la campagne que La France insoumise ne répondait pas à ce dernier critère, cette déclaration peut être comprise comme un refus de désistement en cas de présence d’un candidat insoumis.
Les choses ont été dites beaucoup plus clairement par les deux principaux alliés de Renaissance, François Bayrou (MoDem) et Édouard Philippe (Horizons). Le maire de Pau a évoqué des consignes « circonscription par circonscription » plutôt qu’une consigne générale, au motif que « beaucoup de Français seraient désespérés » de ne pouvoir choisir qu’entre le RN et LFI. Quant au maire du Havre, il a été plus clair encore : « Aucune voix ne doit se porter sur les candidats du Rassemblement national, ni sur ceux de la France insoumise. »
Du côté des Républicains
Les Républicains, enfin, ont choisi de ne pas donner de consigne de vote pour le second tour là où ils ne sont pas présents, refusant donc le « front républicain » auquel les appelait la gauche. Certaines figures du parti, dont François-Xavier Bellamy, ont même appelé à demi-mot à voter pour le Rassemblement national lorsque celui-ci est opposé à LFI, déclarant que « le danger qui guette notre pays aujourd’hui, c’est l’extrême gauche ».
Des négociations seraient toutefois en cours entre certains Républicains et certains candidats macronistes pour s’allier au second tour, ou contre le RN ou contre la gauche.
On saura demain, à 18 h au plus tard, combien de triangulaires se produiront effectivement. En sachant que, y compris à gauche, il peut y avoir une certaine distance entre les consignes des états-majors nationaux et la volonté de candidats locaux.
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