Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du vendredi 28 juin 2024
Santé publique

Soins de premier recours : parution des premiers décrets, les suivants se font toujours attendre

Maires et professionnels de santé sont inquiets du retard pris dans la publication de textes réglementaires jugés déterminants pour améliorer l'accès aux soins dans tous les territoires. Notamment concernant les infirmiers et les pharmacies, largement répartis dans tous les départements.  

Par Emmanuelle Stroesser

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Tous les matins, les syndicats d'infirmiers en pratiques avancées (IPA) et le Conseil de l'ordre des infirmiers lisent avidement le Journal officiel, dans l’espoir d’y trouver les textes d'application de la loi Rist d'amélioration de l'accès aux soins « par la confiance aux professionnels de santé ». 

Ce matin, ils auront au moins trouvé deux décrets signés le 27 juin qui concernent justement deux d'entre elles. Le premier porte sur la possibilité – à titre expérimental – pour les masseurs-kinésithérapeutes de recevoir des patients sans prescription médicale, sous certaines conditions. L'autre concerne les opticiens-lunetiers, autorisés, là encore sous conditions, à adapter la prescription de verres correcteurs ou de lentilles de contact. 

Rien donc pour les infirmiers qui devront attendre encore les deux décrets les concernant. L'un porte sur la primo-prescription, autrement dit ce que les infirmiers en pratique avancée pourront prescrire directement. L'autre définit les modalités d'accès direct des patients à un IPA. « Cela permettra par exemple de recevoir directement des patients en santé mentale, pour le suivi de pathologies chroniques des patients sans médecin traitant », explique Laurent Salsac, secrétaire adjoint de l'Union nationale des IPA (UNIPA). 

Le soutien insistant de maires

L'AMF est intervenue à plusieurs reprises ces derniers mois pour obtenir la publication de ces décrets en attente depuis septembre. Et avec plus d'insistance encore depuis l'annonce de la dissolution de l'Assemblée. Ce mercredi, le président de l'AMF, David Lisnard, a adressé un nouveau courrier au ministre délégué, Frédéric Valletoux, pour le presser de les publier « dans les prochains jours ».  L’AMF demande également la levée des freins administratifs concernant notamment la prise en charge, par la Cnam, des actes assurés par les IPA par exemple le week-end. 

Ce sujet est essentiel dans tous les territoires, pour pallier les difficultés d'accès aux soins liées au manque de praticiens (délais de rendez-vous, patients sans médecins référents, etc.) comme en ont encore débattu les maires lors de la commission santé de l'AMF la semaine dernière. 

Or, comme le rappelle l'Unipa, ces aménagements visent à dégager encore davantage de temps médical. « La caisse nationale d'assurance maladie a évalué le gain d'un IPA entre 5 à 10 patients par jour pour un généraliste. Les IPA sont des professionnels qui ont fait deux ans de formation supplémentaire. Ils travaillent en coordination avec les médecins », détaille Laurent Salsac, inquiet et désemparé que le gouvernement ne manifeste pas plus d'entrain à soutenir le développement de cette profession. 

Les réticences des médecins eux-mêmes sont un frein évident. Les médecins avaient d'ailleurs manifesté contre la proposition de loi Rist, en février 2023, pour dire leur « vive préoccupation à l'égard des risques de désorganisation des soins », et revendiquer la seule « compétence des médecins » pour la stratégique thérapeutique.  

Cela se vérifie dans l'exercice quotidien. Très peu de médecins de ville s'appuient sur des IPA, qui très majoritairement travaillent avec des médecins hospitaliers. « Cela se ressent sur leurs revenus pour un IPA en libéral, en moyenne de 900 euros net par mois, ce qui est insuffisant si l'on veut rendre attractif ce métier », se désole Laurent Salsac. 

On compte aujourd'hui 2 300 infirmiers en pratique avancée quand il en faudrait 40 000, selon l'Unipa, qui s'appuie sur les exemples de pays plus avancés. « Cela réglerait beaucoup de problèmes d'accès aux soins mais trop peu est fait pour valoriser et faire connaître cette pratique », souligne-t-il. 

Risque sur les pharmacies 

Pour les pharmacies, dont on se souvient qu'elles avaient massivement protesté en baissant leur rideau le 30 mai, une partie des réponses a été apportée début juin après l'accélération de la négociation d'un avenant à la convention nationale pharmaceutique, qui trainait depuis plusieurs mois, négociée au pas de charge pour pouvoir être signée au lendemain des élections européennes (le 10 juin). 

Celle-ci entérine notamment la création d'une aide financière (pouvant aller jusqu'à 20 000 euros) pour les pharmacies fragiles, le but étant d'éviter qu'elles ne ferment. Car toute fermeture est irrémédiable, rappelle la fédération (1). Or si l'on regarde la répartition de l'ensemble des officines dans les communes, il apparaît clairement que le risque est élevé que de plus en plus de petites communes qui n'ont plus qu'une officine n'en aient finalement plus du tout. Un risque estimé à 10 % du réseau selon la fédération des syndicats de pharmacies.

Là encore, les textes d'application sont attendus en urgence. Un sujet très sensible pour les maires, très attachés au maintien d’un maillage de proximité des officines de pharmacies – l'AMF est « quotidiennement interpellée par ses adhérents »  sur ce sujet, rappelle David Lisnard dans sa lettre au ministre délégué à la Santé. 

(1) Depuis 2007, le nombre de pharmacie est gelé : des pharmacies ferment (environ 25 par mois) mais ne peuvent rouvrir. On compte aujourd'hui  20 500 officines en France. Elles sont réparties dans 8 500 communes. Certaines en ont donc plusieurs, mais 5 000 n'en ont qu'une. Sur ces 5 000, plus des trois quart (4 000) ont moins de 2 500 habitants. Autrement dit, la fermeture d'une pharmacie sera pour elle irrémédiable, sauf évolution de la loi. Une proposition de loi tendant à préserver l’accès aux pharmacies dans les communes rurales a été adoptée en première lecture par le Sénat le 12 avril 2024.  


 

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