Les propositions du Sénat pour réduire les fractures médicales entre les territoires
Par Lucile Bonnin
1,6 million de Français renoncent chaque année à des soins médicaux. La situation est critique dans certains territoires où les délais d’attente et le manque de professionnel « obligent à envisager des solutions innovantes » en urgence.
Frédéric Chéreau, maire de Douai et coprésident de la commission santé de l’AMF le rappelait en janvier dernier au Sénat : malgré la suppression du numerus clausus, il y aura des pénuries de médecins généralistes « encore pendant au moins 5 à 10 ans » . (lire Maire info du 28 janvier)
C’est notamment pour pallier cette trop lente progression que le sénateur Bruno Rojouan a remis, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, un rapport intitulé Rétablir l'équité territoriale en matière d'accès aux soins : agir avant qu'il ne soit trop tard, le 29 mars dernier.
Concrètement, « la commission propose d’agir pour faire face à l’urgence, favoriser l’exercice médical dans les zones sous-denses et renforcer les capacités de formation de l’Université, afin de garantir l’équité territoriale en matière d’accès aux soins ».
« Libérer et accroître le temps médical dans les zones sous tension »
Selon l'enquête Soigner demain menée par le Conseil national de l'Ordre des médecins, « les médecins considèrent que le temps médical, sous toutes ses facettes, est cannibalisé par le poids du temps administratif » . Plus de 8 médecins sur 10 estiment que la répartition entre temps médical et temps administratif s'est détériorée ces dernières années.
Le rapporteur préconise donc de « réduire le temps administratif qui gaspille du temps médical, accompagner de manière bien plus volontariste la montée en puissance des assistants médicaux, prioritairement dans les territoires sous-dotés, afin d'accroître le temps-médecin consacré aux soins. »
Parmi les 10 propositions formulées en faveur de l’optimisation du temps médical disponible au bénéfice des patients, le rapporteur propose notamment que le recrutement d’un assistant médical soit possible dans les zones sous denses « en levant la condition d'exercice regroupée pour le versement de l'aide au recrutement par la CNAM » et en accompagnant financièrement l'aménagement du cabinet pour accueillir l'assistant médical dans de bonnes conditions.
D’autres mesures incitatives sont proposées comme celle de « rendre plus avantageuse la poursuite de l'activité médicale par les médecins retraités dans les zones sous-denses, en les exonérant du paiement des cotisations retraite, afin de lisser les baisses de temps médical occasionnées par les départs à la retraite »
Les collectivités territoriales peuvent déployer des solutions
Le deuxième point du rapport insiste sur la nécessité de promouvoir et faciliter l’exercice des médecins dans les zones sous-denses. Le rapport s’intéresse ici particulièrement aux zones d’intervention prioritaire (ZIP) et aux zones d’action complémentaire (ZAC).
Les collectivités ont un rôle à jouer en la matière, selon la commission. Il est établi dans le rapport que « après une décennie d’aides à l’installation qui n’ont pas produit les résultats escomptés, les élus locaux éprouvent une forme de lassitude devant les difficultés à attirer et retenir les professions de santé. »
Il est rappelé que pour les jeunes médecins, « le bien-être et la qualité de vie » sont les critères les plus importants en vue d’une installation. Ainsi, « les collectivités territoriales seraient particulièrement indiquées pour donner de la lisibilité territoriale à un projet d’installation et apporter une aide individualisée aux professionnels de santé ainsi qu’aux étudiants. » Il serait donc opportun pour les collectivités de favoriser la création de guichets uniques pour travailler sur l’attractivité du territoire et accompagner les installations des médecins.
Autre mesure dont les collectivités peuvent se saisir : « renforcer les incitations à exercer dans les zones sous-denses, accompagner le regroupement des médecins et l’exercice en plusieurs lieux. » Le rapporteur explique que les collectivités territoriales pourraient mettre à disposition des lieux d’exercice adaptés à la pratique ponctuelle de la médecine. Mais pour ce faire, une dotation spécifique pourrait être créée à destination des collectivités « afin de ne pas faire peser sur elles la charge d’une politique publique dont la responsabilité incombe à l’État. »
Déconcentrer les processus de décision
Un rapport publié en octobre dernier et intitulé Les collectivités à l'épreuve des déserts médicaux : l'innovation territoriale en action, fait au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, pointait déjà la nécessité de mettre en place une concertation entre tous les acteurs de la santé et notamment entre l’État et les collectivités. (lire Maire info du 22 octobre)
Ce nouveau rapport partage ce constat et déplore même l’échec de l’État qui doit assurer « la continuité, l’accessibilité, la qualité, la sécurité et l’efficience de la prise en charge de la population, en tenant compte des spécificités géographiques, démographiques et saisonnières de chaque territoire, afin de concourir à l’équité territoriale » (code de la santé publique). Ce dernier laisse ainsi les collectivités « démunies ».
C’est pourquoi la commission plaide en faveur d’un renforcement des moyens juridiques et financiers des collectivités, « dans la continuité des avancées de la loi 3DS du 21 février 2022, afin que l’échelon territorial puisse contribuer à la vision stratégique et à l’élaboration des mesures pour répondre aux inégalités d’accès aux soins. »
Les trois dernières propositions du rapport (30, 31 et 32) encouragent à repenser la gouvernance des politiques sanitaires. D’abord, il s’agirait de « réaffirmer la mission de service public du système de santé en rappelant la nécessité de mécanismes correctifs en faveur de l’équité territoriale et développer la notion de responsabilité populationnelle territoriale » ; puis il faudrait « mieux associer les élus locaux dans l’organisation de proximité des soins, dans une logique de subsidiarité et de connaissance territoriale plus fine et renforcer la place des maires au sein de la gouvernance des hôpitaux, réduite depuis la suppression des conseils d’administration » ; et enfin il serait important de « renforcer les moyens alloués aux délégations départementales des agences régionales de santé et leur octroyer des compétences décisionnelles au niveau territorial. »
Les propositions du rapport rejoignent celles formulées par l’AMF lors de son audition par le Sénat en particulier sur la place des élus locaux dans la gouvernance des politiques de santé, sur le nécessaire soutien à apporter à la médecine de ville et enfin sur l’ouverture d’une réflexion portant sur la mise en place d’une forme de régulation à l’installation des médecins.
Télécharger la contribution santé de l’AMF.
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