Des chercheurs défendent l'idée d'une compétence santé pour les communes et intercommunalités
Par Franck Lemarc
C’est une tribune parue dans Le Monde daté du 19 octobre et signée par deux sociologues (Daniel Benamouzig et Renaud Epstein) et un chercheur en sciences politiques (Patrick Hassenteufel). Pour eux, il est indispensable de « renforcer les compétences des communes et intercommunalités dans le domaine de la santé ».
La « faiblesse criante » des échelons locaux
Les chercheurs rappellent que « les épidémies ont souvent renforcé les compétences sanitaires des pouvoirs locaux ». Celle que nous venons de vivre a, à la fois, montré le rôle crucial joué par les communes notamment et « les limites » de leurs possibilités d’action.
Tout au long de la crise qui dure depuis le mois de mars 2020, les maires ont en effet été en première ligne pour gérer la situation – comme Maire info a eu l’occasion de le montrer depuis 18 mois : sur les aspects directement sanitaires, ils ont notamment géré, souvent à la place de l’État, la distribution de masque, la mise en place de capacités de tests, et surtout celle des centres de vaccination. Faut-il rappeler qu’au tout début de la campagne de vaccination, le gouvernement tablait sur 600 centres de vaccination – soit six par département – et qu’il a fallu l’action résolue des maires pour que le nombre passe à plus de 1500 dès la fin février ?
Les auteurs de la tribune rappellent les relations compliquées qui se sont mises en place entre les communes, d’un côté, et les Agences régionales de santé : « Il aura fallu que les élus et les acteurs locaux multiplient les interpellations et les propositions en direction de ces agences étatiques, (…) avec des succès divers. » Malgré tout, « l’épidémie a révélé une faiblesse criante des échelons locaux : les opérateurs territoriaux de santé publique ont manqué à des moments critiques ». La carence de ces « opérateurs locaux », écrivent encore les chercheurs, a été un handicap lorsqu’il a fallu faire du « tracing » à une échelle très fine ou « pour prendre en charge la vaccination des personnes âgées ou précaires ». Résultat : « La France s’est tournée vers les acteurs du soin : médecins, infirmiers libéraux ou organismes de Sécurité sociale – chargés du remboursement des soins de ville – se sont ainsi transformés en acteurs de santé publique. »
Investissement local dans les politiques de santé
Les auteurs pointent très justement un certain nombre de questions soulevées depuis des mois par les associations d’élus. S’ils saluent l’engagement « de milliers de professionnels et d’agents publics », ils notent que cet engagement « ne pourra se poursuivre sans perturber leurs missions habituelles ». On pourrait ici citer l’exemple des centres de vaccination, qui mobilisent, dans de nombreuses communes, des locaux, des moyens et des agents qui, de facto, ne peuvent plus depuis des mois être affectés à leurs missions normales. Dans combien de communes l’activité associative est-elle pour partie paralysée parce que la salle polyvalente est mobilisée depuis le mois de février pour servir de centre de vaccination ?
Les auteurs de la tribune énumèrent les différents biais – au-delà de l’épidémie elle-même – à travers lesquels les acteurs locaux « s’investissent dans les politiques de santé », mais « sans que le droit leur reconnaisse une compétence explicite » : contrats locaux de santé, actions permettant de favoriser l’installation de professionnels de santé libéraux, « création de maisons de santé pluriprofessionnelles ». Ou encore, de façon plus transversale et préventive, développement des mobilités actives ou projets alimentaires territoriaux.
« Démocratie sanitaire de proximité »
Les chercheurs plaident donc clairement pour qu’une compétence « élargie en santé » soit confiée aux communes ou à leurs groupements, en profitant par exemple de l’opportunité qu’offre le débat sur le projet de loi 3DS – qui, en l’état, ne propose que « de timides mesures visant à renforcer la participation des communes et des départements à la sécurité sanitaire territoriale ». « Il faut donner [aux communes et aux EPCI] les compétences sanitaires du futur, qui débouchent sur d’autres politiques, écrivent les trois chercheurs. Les compétences juridiques ne se substituent pas aux choix politiques, mais elles les rendent possibles. »
Si elles devenaient réalité, ces nouvelles compétences pourraient « être débattues localement avec la population », favorisant une « démocratie sanitaire de proximité favorisant une réappropriation partagée des décisions publiques ». Les trois signataires demandent aussi que l’État ne se contente pas de transférer la compétence mais « accompagne les territoires les moins dotés par des soutiens financiers et en expertise ». « Il est temps, concluent-ils, que de nouvelles compétences locales en santé soient reconnues légalement, accompagnées financièrement et développées à hauteur des enjeux et des besoins actuels de nos concitoyens. »
Ces propositions, qui rejoignent celles que défend, depuis deux ans, Territoires unis (qui regroupe l’AMF, l’ADF et Régions de France), seront-elles entendues par le gouvernement, qui semble – c’est le moins que l’on puisse dire – très réticent à confier aux collectivités de nouvelles responsabilités en la matière ? Quoi qu’il en soit, le débat continuera certainement au congrès de l’AMF, lors duquel, le jeudi 18 novembre à 9 h 30, un forum sera consacré au thème : « Agir pour la santé des habitants ».
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