Maire-info
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Édition du mardi 19 mars 2024
Santé publique

« Dette de santé publique », désertification médicale : les données alarmantes de la Fédération hospitalière de France

La Fédération hospitalière de France a publié hier une enquête alarmante sur l'état de l'hôpital public, qui montre que celui-ci peine à se remettre de la crise du covid-19 et à solder la « dette » de soins contractée au plus fort de la crise. Elle demande aux pouvoirs publics de prendre enfin le problème à bras-le-corps. 

Par Franck Lemarc

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© APHP

Après la « bombe à retardement du logement » , la « bombe à retardement de la santé publique »  ? L’expression est en tout cas employée par Arnaud Robinet, maire de Reims et président de la Fédération hospitalière de France, pour dire ses craintes au vu des résultats de l’enquête publiée hier, qui fait état d’un taux de sous-recours inquiétant dans plusieurs spécialités de l’hôpital public. 

« Rien n’a été purgé » 

La FHF, en partenariat avec France info, a souhaité faire le point sur l’état de l’hôpital quatre ans tout juste après le début du premier confinement. La crise du covid-19 a provoqué une saturation des services hospitaliers et le report de très nombreuses consultations, diagnostics et opérations, dont il était clair, déjà à l’époque, que l’addition se payerait dans les années suivantes. C’est cette « dette de santé publique »  qu’a cherché à mesurer la FHF. 

La Fédération s’est appuyée sur les données et projections existant avant l’épidémie sur les séjours hospitaliers, et les a comparées avec ceux qui ont réellement eu lieu entre 2020 et 2023. Résultat : un « déficit »  de plus de 3,5 millions de séjours pendant la période. En 2020 par exemple, près de 16 millions de séjours hospitaliers auraient dû avoir lieu – il n’y en a eu qu’à peine 14 millions. Autrement dit, comme l’exprimait Arnaud Robinet hier, « quatre ans après la crise, rien n’a été purgé ». 

Le sous-recours est particulièrement marqué dans certaines spécialités pourtant cruciales : - 11 % pour les pathologies digestives, - 13 % en cardiologie, - 12 % en rhumatologie. « En chirurgie, constate la FHF, les niveaux de recours pour plusieurs chirurgies lourdes semblent diminuer significativement, en particulier les greffes en recul de 7,5 % par rapport au niveau attendu en 2023 » 

La tranche d’âge des 45 ans et plus sont particulièrement concernés par cette situation, « avec un sous-recours de - 8,4 % » , soit 428 000 séjours en moins. 

Sur-recours aux urgences

Pour la fédération, les explications sont multiples, mais tiennent en particulier à deux causes : d’abord le « renoncement aux soins »  qui devient de plus en plus fréquent chez les Français ; face aux difficultés pour trouver un rdv, aux distances qu’il faut parfois parcourir pour s’y rendre et au reste à charge financier, « 63 % des Français ont déjà renoncé à au moins un acte de soin au cours des cinq dernières années », indique la FHF sur la base d’un sondage réalisé pour elle par Ipsos et présenté en même temps que l’enquête. 

Deuxièmement, il semble que « les tensions que connaît l’hôpital public en termes d’effectifs »  jouent à plein dans cette situation, rendant la prise de rendez-vous plus difficile et retardant d’autant certaines opérations et séjours. Sur l’année 2023, la FHF révèle que « 7 % des capacités d’hospitalisation en MCO [médecine, chirurgie, obstrétrique] étaient fermées » . Résultat, comme le montre le sondage : « Un Français sur deux a déjà vécu un retard de soins à l’hôpital au cours des cinq dernières années ou la difficulté à y prendre un rendez-vous, pour lui ou un proche ». Quant aux malades chroniques, ils sont 40 % à estimer que « leur prise en charge médicale s’est détériorée depuis 2019 ». 

Il faut ajouter à cela le problème de plus en plus prégnant du recours « non optimal »  aux urgences : derrière cet euphémisme, la FHF désigne les patients qui se rendent aux urgences pour des raisons « ne relevant pas d’une urgence médicale ». 54 % des Français disent s’être trouvés dans cette situation au moins une fois en 2023 – c’est 12 points de plus qu’en 2019. Dans 30 % des cas, ces personnes se rendent aux urgences « à la suite d’un refus de prise en charge non programmée par un médecin généraliste ou spécialiste de ville ». 

Des conséquences potentiellement graves

Ces constats font craindre à la FHF « des risques importants pour certaines prises en charge » . Par exemple, la diminution du nombre d’endoscopies digestives (« 260 000 endoscopies diagnostiques n’ont pas pu être réalisées depuis 2020 » ) risque de se traduire par une moindre détection des cancers. La baisse des prises en charge des personnes diabétiques a déjà pour conséquence une hausse des comas et « acidocétoses diabétiques ».

Depuis 2020, ce sont également « 600 000 séjours en chirurgie qui n’ont pas été réalisés » , en particulier sur la pose de prothèses de hanche ou les arthroscopies. L’activité de greffe est en baisse de 7,5 % par rapport au niveau attendu – notamment les transplantations cardiaques, pulmonaires et rénales. 

Renoncement aux soins

Enfin, les données fournies par le sondage révélé par la FHF ne sont pas plus réjouissantes. Elles révèlent que les Français ont fini par « intégrer »  la désertification médicale et se montrent « de plus en plus conciliants sur la distance qu’ils jugent acceptable entre leur domicile et les différentes infrastructures de santé ». 

La fracture reste néanmoins clairement marquée entre territoires ruraux et urbains, avec, dans les premiers, « des distances aux différents professionnels nettement plus importantes et bien au-delà du temps jugé ‘’acceptable’’ » .  En moyenne, le temps d’accès aux soins est supérieur de 52 %, dans les territoires ruraux, à celui que connaissent les urbains. 

« Tous territoires confondus, écrit la FHF, le temps d’attente pour obtenir un rendez-vous a presque doublé en cinq ans sur la majorité des spécialités. »  Il est aujourd’hui de 10 jours en moyenne pour un généraliste (4 en 2019), de 2 mois pour un gynécologue (1 mois et 3 semaines en 2019), de 2 mois et 2 semaines pour un cardiologue (1 mois et 3 semaines en 2019). 

Conséquence : le renoncement aux soins ne fait que grandir. Alors que 60 % des personnes interrogées disent avec déjà renoncé à des soins, le tiers de ces 60 % « déclarent que ces reports de soin ont eu des conséquences graves pour eux ». 

Le terme de « bombe à retardement »  employé par le président de la FHF ne semble donc pas exagéré. Le maire de Reims appelle donc l’État « à ne pas prendre ces données à la légère ». « Il est temps de lancer un débat démocratique et scientifique approfondi sur ce sujet et donner à l’hôpital public, et aux CHU notamment, les moyens pour assurer leur rôle irremplaçable sur les filières essentielles, main dans la main avec les autres acteurs du système de santé ». 

Sur cette question des moyens, on sait que le gouvernement ne semble pas décidé à répondre par l’affirmative. Depuis la rentrée de septembre dernier, la FHF comme les associations d’élus ne cessent de sonner l’alerte sur le déficit de plus en plus grave des hôpitaux publics et d’affirmer la nécessité d’une rallonge budgétaire d’au moins un milliard d’euros. Le gouvernement et la majorité parlementaire sont restés sourds à cette demande. 

Les éléments révélés par la FHF recoupent en grande partie, signalons-le, ceux obtenus par l'AMF et la Mutualité sociale, dans le Baromètre santé social dévoilé lors du congrès des maires de 2023. 

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