Début du parcours législatif de la proposition de loi contre le narcotrafic cette semaine au Sénat
Par Lucile Bonnin
Le Sénat étudie depuis mardi une proposition de loi « visant à faire sortir la France du narcotrafic ». Ce texte avait été déposé en novembre dernier par Étienne Blanc, sénateur du Rhône (LR), et Jérôme Durain, sénateur de la Saône-et-Loire (PS). Il a été rédigé à l’issue d’une commission d'enquête sénatoriale menée sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier.
Du port du Havre au département des Bouches-du-Rhône, en passant par la campagne vosgienne : de nombreux élus avaient alors pu témoigner du fait que le trafic de drogues n’est plus uniquement l’affaire des grandes villes. Le phénomène touche les villes moyennes, mais aussi les zones rurales. La thématique avait d’ailleurs été abordée pour la première fois lors du dernier Congrès des maires (lire Maires de France).
Le sujet est aussi largement porté par le gouvernement, notamment par le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, et le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, qui souhaitent faire de la lutte contre le narcotrafic une « priorité absolue » , comme l’a rappelé le garde des Sceaux dans une circulaire de politique pénale envoyée lundi à tous les procureurs.
Création d’un parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco)
L’article 2 du texte prévoit la création d’un parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco). Ce dernier, similaire aux parquets financier (PNF) ou antiterroriste (Pnat), serait chargé du « haut du spectre » des crimes en la matière et constituerait une « incarnation » de la lutte contre le narcotrafic, avec un rôle de coordination des parquets locaux.
Pour se donner les moyens de réussir ce nouveau dispositif, le ministre de la Justice a d’ores et déjà annoncé qu’il allait doubler en 2025 « les effectifs de magistrats dans les juridictions pénales spécialisées (Jirs), et la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) ».
Plusieurs amendements ont été votés sur cet article. Un sous-amendement du gouvernement précise par exemple que si le Pnaco sera « par défaut » à Paris, la localisation pourrait changer : « Les spécificités de la criminalité organisée, et sa particulière prégnance sur certains ressorts, et on peut tout particulièrement penser à celui de Marseille, même s’il n’est pas le seul, pourraient imposer de retenir des solutions différentes de celles qui avaient été retenues pour la création des deux précédents parquets nationaux. »
Un autre amendement introduit la création d’un « référent Jirs » pour pallier les difficultés de coordination entre les parquets locaux et les parquets Jirs. Le monopole qu’il était envisagé de confier au Pnaco a également été supprimé du texte notamment pour ne pas priver les Jirs et les parquets locaux « de toute possibilité de se saisir d’affaires graves ».
Ce dispositif est complété par l’article unique de la proposition de loi organique qui fixe le statut du procureur national anti-stupéfiants : comme le procureur national anti-terroriste (Pnat) et le procureur national financier (PNF), il verrait la durée de ses fonctions soumise à un maximum de sept ans.
Blanchiment : le rôle du maire élargi
Au-delà du fait que ce texte vise surtout une « amélioration de l’arsenal pénal » , la proposition de loi a aussi pour objet le renforcement de la lutte contre le blanchiment, et l’implication des élus locaux y a été débattue.
Parmi les dispositions qui intéressent directement les maires, l’article 3 prévoit des dispositifs qui devraient avoir un impact dans les communes touchées par le narcotrafic. Le texte créé notamment une mesure de fermeture administrative des commerces en lien avec le narcotrafic : « Tout établissement à l'égard duquel il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'il s'y commet de façon régulière une ou plusieurs infractions », peut sur proposition du maire de la commune faire l'objet d'un arrêté de fermeture administrative.
Un amendement précise que le maire est « systématiquement informé par le procureur de la République des classements sans suite, des mesures alternatives aux poursuites, des poursuites engagées, des jugements devenus définitifs ou des appels interjetés lorsque ces décisions concernent des infractions liées au trafic de stupéfiants » . De même, pour les fermetures administratives.
Par ailleurs, ce même amendement précise que le maire pourra « participer à la lutte contre le trafic de stupéfiants sur le territoire de sa commune en opérant des signalements à Tracfin » (acronyme de Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins). L’article 7 du texte consacre aussi les cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants au sein desquelles les maires peuvent être associés au niveau départemental.
Des dispositions qui risquent d’évoluer durant la navette parlementaire
Si dans l’ensemble, les discussions au Sénat se sont déroulées dans une entente cordiale, certaines dispositions ont pu mener à des débats plus musclés. Cela a notamment pu être le cas pour l’article 14 qui propose une réforme du statut de repenti, « aujourd’hui unanimement reconnu comme défaillant » . Créé en 2004 par la loi Perben II, ce statut avait déjà été mis en cause par l’ancien ministre de la Justice Éric Dupont-Moretti qui souhaitait en faciliter l’attribution, regrettant qu’il soit aujourd’hui trop peu utilisé.
Alors que le ministre de la Justice avait déposé un amendement pour supprimer la création d’une immunité de poursuites, la possibilité d’octroyer à une personne ayant collaboré avec la justice une immunité de poursuites a bel est bien été votée. Le gouvernement est, lui, plutôt favorable à une réduction de peine pour les repentis. Cette question va être retravaillée avec les auteurs du texte.
Autre sujet sensible examiné hier soir : l’article 16 qui instaure « un procès-verbal distinct sur lequel seraient inscrites les modalités de fonctionnement de certaines techniques spéciales d’enquête sensibles ou les éléments d’identification des infiltrés, des témoins menacés ou des informateurs » . Concrètement, ne serait accessible aux avocats que le résultat des investigations. Déjà plusieurs avocats estiment que la mesure est inconstitutionnelle. Le gouvernement y est cependant largement favorable. Le ministre de l’Intérieur n’a pas hésité à indiquer que tous les avocats « ne sont pas bien intentionnés, notamment ceux qui défendent les mafieux ».
Enfin, l’article 24 – qui a été entièrement récrit – ouvre la possibilité de prononcer des interdictions administratives de paraître sur les points de deal à l’encontre des dirigeants de réseaux de trafics de stupéfiants. Il permet par ailleurs de mettre l’intéressé en demeure de quitter son domicile lorsque celui-ci est situé dans la zone d’interdiction. Un amendement a été introduit pour « s'assurer que seules les activités ou agissements en lien avec le trafic de stupéfiant soient explicitement visées par les mesures de résiliation de bail ».
Le texte devrait être voté mardi prochain avant de poursuivre son parcours législatif à l’Assemblée nationale.
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