Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du jeudi 30 janvier 2025
Assurances

Assurances des collectivités : un rapport met en lumière le problème du manque de concurrence dans le secteur

L'Autorité de la concurrence, saisie par le Sénat, a rendu cette semaine un avis sur « la situation concurrentielle dans le secteur de l'assurance aux dommages aux biens des collectivités territoriales ». Cet avis met le doigt sur ce qui apparaît comme le vrai problème : une trop faible concurrence dans ce secteur, notamment du fait d'une rentabilité insuffisante pour attirer d'autres acteurs. 

Par Franck Lemarc

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© D.R.

C’est la commission des finances du Sénat qui a demandé à l’Autorité de la concurrence, en mars dernier, de se pencher sur la question de l’assurance des collectivités locales, dans un contexte où de plus en plus de collectivités rencontrent de grandes difficultés pour s’assurer, voire ne peuvent plus s’assurer du tout. Entre contrats brutalement résiliés, primes qui explosent ou franchises qui crèvent les plafonds, la situation devient critique pour des milliers de collectivités. 

L’intérêt de l’avis rendu par l’Autorité de la concurrence est qu’il ne se prive pas de mettre le doigt là où cela fait mal, sans se contenter des réponses parfois un peu trop faciles données par les assureurs, à savoir : la multiplication des catastrophes naturelles oblige les assureurs à revoir primes et franchises à la hausse. En réalité, fait apparaître l’Autorité de la concurrence, les choses sont un peu plus compliquées que cela. 

« Faible intensité concurrentielle » 

L’Autorité fait d’abord un constat : non seulement de nombreuses collectivités sont confrontées à un durcissement des conditions de leur contrat d’assurance, avec des primes parfois multipliées par 6 et des franchises parfois multipliées par 13, mais de surcroît, de plus en plus de collectivités ne parviennent plus à s’assurer : comme l’a établi le Sénat, depuis le début de l’année 2023, un quart des collectivités qui ont lancé un appel d’offres n’ont reçu de réponse d’aucun assureur. 

L’Autorité fournit de multiples pistes pour comprendre les raisons de cette situation et, parmi elles, met en avant le problème du manque de concurrence dans ce secteur, largement dominé par deux acteurs seulement, la Smacl et Groupama. La Smacl, rappelle l’Autorité, assure « 15 900 collectivités », et les deux groupes monopolisent à eux seuls « 40 % du secteur ». Néanmoins, l'Autorité de la concurrence ne mentionne pas, comme l'a fait le récent rapport de la Cour des comptes de Bourgogne-Franche-Comté, le fait que certains assureurs, et en particulier la SMACL, ont « maintenu les prix à un niveau artificiellement bas »  pendant plusieurs années, la SMACL s'engageant dans une « course aux parts de marché »  qui a en partie tué la concurrence. 

De nombreux acteurs se sont peu à peu retirés du marché et un certain nombre de « freins »  existent à l’arrivée de nouveaux. En cause, notamment : la « faible rentabilité »  de ce marché, pour les assureurs, et les lourdeurs de la procédure de marchés publics. 

L’Autorité confirme, grâce aux chiffres fournis par les assureurs, que le secteur de l’assurance des biens des collectivités présente « de faibles perspectives de rentabilité », nettement plus faibles en tout cas que le reste du marché professionnel. Sur les dernières années, le ratio moyen « sinistres sur primes »  serait de 80 % pour l’assurance des collectivités (le montant dépensé pour rembourser les sinistres atteint 80 % du montant perçu via les primes), contre 68 % pour l’ensemble du marché professionnel. 

Par ailleurs, les procédures de réponse à des appels d’offres – expliquent les assureurs – sont trop lourdes administrativement et trop coûteuses, ce qui décourage certains acteurs de se lancer sur le marché. Mais le même problème se pose pour les collectivités elles-mêmes, dont beaucoup n’ont pas l’expertise ni les moyens nécessaires pour monter correctement leur dossier d’appel d’offres et qui de plus, souligne l’Autorité, ont une connaissance souvent « insuffisante »  de leur propre patrimoine assurable.

L’Autorité constate également un véritable fossé entre le ressenti des assureurs et celui des collectivités sur la question des négociations. D’un côté, elle cite des assureurs qui estiment que les collectivités ont tout loisir « d’imposer l’ensemble des clauses du contrat »  et qui se plaignent de ne pas disposer de suffisamment de marge de manœuvre dans les négociations. De l’autre, les associations d’élus qui constatent exactement le contraire : « Les collectivités n’ont (…) que très peu de latitude pour négocier avec des assureurs qui leur ont fait supporter des augmentations tarifaires exclusivement liées aux dysfonctionnements du marché ; et incidemment totalement décorrélées de leur sinistralité », témoigne une association d’élu auprès de l’Autorité. « Force est de constater qu’actuellement, les communes sont tenues d’accepter des négociations déséquilibrées au risque de ne plus du tout être assurées », témoigne une autre. 

Quelles solutions ?

L’Autorité de la concurrence fait un certain nombre de recommandations pour tenter de sortir de cette situation. 

Il est à noter qu’elle pose la question – essentielle – de la « segmentation »  du marché. Aujourd’hui, l’assurance des biens des collectivités n’est pas séparée du reste du marché professionnel – à la différence près qu’elle est soumise au Code des marchés publics. Or comme ne cessent de le rappeler les associations d’élus, les biens des collectivités ne sont pas des biens comme les autres, dans la mesure notamment où celles-ci ont la charge d’assurer le service public. L’Autorité établit que « quatre associations d’élus sur cinq »  sont favorables à une « segmentation »  du marché, visant à séparer le marché de l’assurance des collectivités du reste du marché professionnel. France assureurs, de son côté, juge également une telle segmentation « pertinente ». L’Autorité ne se prononce pas sur ce sujet mais estime qu’il doit être posé. 

Elle fait en revanche plusieurs recommandations. Certaines sont connues et recoupent celles du récent rapport Chrétien-Dagès, en particulier celles qui invitent les communes à davantage mutualiser (par exemple avec leur EPCI de rattachement). L’Autorité estime également nécessaire que les collectivités « renforcent la connaissance de leur patrimoine et l’ensemble des risques auxquels elles sont confrontées ». 

Mais elle fait également des propositions plus précises et spécifiques. Par exemple, « allonger le délai de réponse des assureurs aux appels d’offres » : les collectivités s’appuient en général sur le délai minimum prévu par la loi (30 jours), alors qu’elles ont la possibilité d’aller jusqu’à 90 jours. Un délai trop court, rappelle l’Autorité, peut décourager un assureur de répondre à l’appel d’offres. L’Autorité invite également les collectivités à étaler les appels d’offres sur des périodes plus longues, plutôt que de concentrer les appels d’offres « à l’automne pour une conclusion en début d’année suivante », ce qui représente une charge accrue pour les assureurs au même moment de l’année et place certains dans l’impossibilité de répondre. 

L’Autorité recommande enfin aux collectivités de ne pas hésiter à recourir à l’allotissement, c’est-à-dire à séparer le marché en plusieurs lots distincts (par biens ou par risques), ce qui peut permettre de « partager les risques entre plusieurs assureurs »  et d’inciter « les assureurs, qui ne sont pas en mesure de formuler une offre globale, à proposer une offre à la collectivité pour certains lots spécifiques à un type de risque ou à un type de bien ». 

On ne peut toutefois que remarquer que les recommandations de l'Autorité ne s'adressent qu'aux collectivités, et pas aux assureurs, comme si ceux-ci n'avaient pas de responsabilité dans la situation – à rebours de qui est écrit dans le reste du rapport. 

Au-delà de ces préconisations de l’Autorité de la concurrence, il ne faut pas oublier les solutions proposées dans le rapport Chrétien-Dagès (lire Maire info du 25 septembre). Le gouvernement a indiqué à l'AMF qu'il allait présenter, dans les semaines à venir, un « plan d'action ».

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