Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 18 novembre 2024
Ruralité

Pourquoi les agriculteurs se remettent en mouvement contre l'accord avec le Mercosur

La mobilisation des agriculteurs a repris hier et devrait s'amplifier cette semaine, mais sans réels blocages, ont promis les organisations syndicales. Explications sur une colère qui ne faiblit pas.

Par Franck Lemarc

Ce sont plus de 80 points d’actions qui sont prévus entre aujourd’hui et mercredi dans tout le pays : filtrages de la circulation, occupation de ronds-points (notamment ceux qui portent un nom lié à l’Europe), manifestation devant les préfectures… Les agriculteurs ont promis qu’ils ne bloqueraient pas les routes – heureusement pour la tenue du congrès des maires qui débute demain à Paris – mais certaines opérations de filtrage, comme celle qui a débuté dimanche soir sur la RN 118 en banlieue parisienne, auront des répercussions évidentes sur la circulation.

Il est à noter que le ministère de l’Intérieur a changé de ton par rapport au mouvement survenu l’an dernier, lors duquel il s’était montré assez tolérant face aux blocages. Cette fois, le ministre Bruno Retailleau a indiqué que ce serait « tolérance zéro »  et qu’il n’hésiterait pas à faire intervenir les forces de l’ordre en cas de « blocage durable ».

Panneaux bâchés

Une fois encore, ce sont les panneaux d’entrée de commune qui sont visés pour exprimer la colère des agriculteurs. Après les milliers de panneaux retournés l’an dernier, l’action prend cette fois d’autres formes. Tout le mois d’octobre, dans plusieurs départements, les agriculteurs ont carrément retiré des panneaux, qu’ils déposent aujourd’hui devant les préfectures, voire inversé les panneaux de plusieurs communes, en ajoutant un panneau « Vous êtes perdus ? Nous aussi. » 

Ces actions ne rencontrent pas forcément l’assentiment des maires, pourtant globalement solidaires des agriculteurs. Mais le fait d’enlever un panneau d’entrée de ville n’est pas sans conséquence et peut même être dangereux, ceux-ci symbolisant un endroit où il est nécessaire de réduire la vitesse.

Depuis hier, une nouvelle forme d’action est privilégiée : le bâchage des panneaux, ce qui permet de les « renommer »  sans les dégrader, expliquent ce matin des agriculteurs dans la presse. Dans de nombreuses communes, les panneaux d’entrée ont été recouverts d’une bâche où a été peint le nom d’une ville ou d’un pays d’Amérique du sud : dans le nord, Boulogne-sur-Mer a été « rebaptisée »  Brésil, Wimeureux est devenue « Uruguay ». Dans la Sarthe, La Suze-sur-Sarthe est devenue « Sao Paulo »  tandis que Parcé-sur-Sarthe a été rebaptisée « Copacabana ».

Il s’agit évidemment de dénoncer le projet d’accord avec le Mercosur, qui cristallise toutes les colères.

L’accord UE-Mercosur, qu’est-ce que c’est ?

La date de cette nouvelle mobilisation a été choisie du fait de l’ouverture du G20, au Brésil, où va être à nouveau évoqué l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur (union économique entre le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay et la Bolivie).

Il s’agit d’un accord qui est en cours de négociations depuis plus de 20 ans, et qui vise à abaisser les barrières douanières entre les deux blocs que sont l’UE et le Mercosur. S’il était signé, l’accord instaurerait le libre-échange entre ces deux énormes marchés représentant 780 millions de personnes en tout. Il est prévu de définir des quotas d’exportation et d’importation qui ne seraient pas soumis à des droits de douane – ou bien soumis à des droits de douane très faibles. Il est à noter que l’accord ne concerne pas que les produits agricoles : il touche aussi les produits industriels manufacturés et même les marchés publics, permettant à chaque partie de candidater aux marchés publics de l’autre.

Comme c’est souvent le cas dans les traités de libre-échange, si chaque partie voit d’un bon œil le fait de pouvoir accéder plus facilement au marché de l’autre, la réciproque n’est pas vraie. Et c’est là que le bât blesse chez les agriculteurs : l’accord permettrait l’entrée massive sur le marché européen de produits agricoles sud-américains. Les droits de douane seraient ainsi supprimés pour 45 000 tonnes de miel, 60 000 tonnes de riz, 180 000 tonnes de sucre, 60 000 tonnes de bœuf et 180 000 tonnes de volaille.

Selon les agriculteurs français, ces importations représentent une concurrence déloyale du fait des coûts de production très inférieurs en Amérique du sud, notamment dans les immenses propriétés du Brésil et d’Argentine. Par ailleurs, ils pointent le fait que les normes sanitaires environnementales ne sont pas les mêmes dans le Mercosur – la signature de l’accord permettant par exemple, expliquent-ils, le retour en Europe du « bœuf aux hormones ».

Les syndicats agricoles, toutes tendances politiques confondues, sont unanimes à dénoncer l’accord. Ils trouvent, pour une fois, le soutien des écologistes, et de la plupart des partis politiques français – comme en témoigne une tribune parue dans Le Monde le 12 novembre et signée par pas moins de 622 parlementaires de gauche comme de droite.

Le gouvernement lui-même, par la voix du Premier ministre, a dit sa détermination à ne pas signer l’accord « en l’état », alors que la présidente de la Commission européenne, Ursula von des Leyen, plaide pour une signature avant la fin de l’année. L’exécutif français plaide pour une renégociation de l’accord, avec intégration de clauses dites « miroir », c’est-à-dire imposant aux deux parties les mêmes normes sanitaires et environnementales.

Et maintenant ?

On ignore si l’accord va être ou non signé, ou à l’occasion du G20, aujourd’hui et demain, ou à l’occasion du « sommet Mercosur », début décembre. Mais même si c’était le cas, cela ne signifierait pas une application définitive, puisqu’un tel accord devrait encore être ratifié par l’Union européenne. En attendant cette ratification, l'accord pourrait toutefois s'appliquer à titre provisoire.

Et c’est là que les choses se compliquent : en l’état, dans la mesure où cet accord ne comprend pas que des clauses commerciales mais aussi un volet « coopération »  empiétant sur les compétences des États membres, il doit être ratifié à l’unanimité des 27 États membres puis approuvé par les Parlements nationaux de ceux-ci. Ce qui permettrait à la France ou aux autres États opposés à l’accord (Pologne, Autriche, Pays-Bas…) d’opposer leur véto.

Mais un autre scénario est possible : la Commission pourrait choisir de scinder l’accord en deux, afin de séparer la partie strictement commerciale de l’autre. Pour un accord commercial, le vote à l’unanimité n’est plus nécessaire, la majorité qualifiée étant suffisante. Les pays opposés à l’accord ne sont aujourd’hui pas assez nombreux, dans ce scénario, pour empêcher ce vote.

Autant dire que – signature ou pas de l’accord – le feuilleton n’est pas terminé et risque de se prolonger encore de longs mois. D’ailleurs, les agriculteurs ont d’ores et déjà prévu des actions au long cours, qui pourraient durer au moins jusqu’au Salon de l’agriculture, fin février prochain.

Reste qu’une signature de l’accord à l’occasion du G20 pourrait bien mettre le feu aux poudres et transformer un mouvement jusqu’à présent pacifique en mouvement plus violent. C’est en tout cas ce que promet la Coordination rurale, qui annonce dans ce cas son intention de passer à un mouvement de blocage du fret alimentaire – gare des frets, centrales d’achats et ports. Ce qui pourrait provoquer des tensions avec les forces de l’ordre, mais pas seulement : la fédération CGT des ports et docks, par exemple, a appelé dans un communiqué publié en fin de semaine dernière ses adhérents à s’opposer à ce que les agriculteurs « prennent les ports en otage ».

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