Le Sénat et le gouvernement opposés à la proposition de loi Rousseau sur l'indemnisation du risque RGA
Par Franck Lemarc
Comment mieux indemniser les victimes du phénomène dit « RGA » (retrait et gonflement des argiles) ? C’est pour répondre à cette question que Sandrine Rousseau et plusieurs députés écologistes ont déposé une proposition de loi en février 2023. Les signataires de ce texte rappellent que ce phénomène est dû à des alternances de périodes de sécheresse, où les sols argileux se rétractent, et d’humidité, où ils se dilatent, avec parfois pour conséquence des dégâts majeurs sur les habitations, allant de fissures à, parfois, des effondrements. La France, du fait de la composition géologique de son sol, est particulièrement exposée à ce risque : la moitié des sols du pays est composée de sols argileux et, selon le Cerema, plus de 10 millions de maisons sont exposées à ce risque. « Dans 75 % des communes françaises, c’est plus de la moitié de leurs habitations qui sont exposées au risque de retrait et de gonflement des argiles » , rappellent les députés.
Faciliter l’indemnisation
Le risque RGA est couvert par le régime Catastrophes naturelles (CatNat). Mais, comme pour les autres risques, uniquement à partir du moment où la commune a été reconnue, par arrêté, en état de catastrophe naturelle, et s’il a été prouvé que le RGA « est la cause déterminante du dommage » . Ces conditions sont « rarement réunies » , explique Sandrine Rousseau, en particulier parce contrairement aux autres catastrophes naturelles, dont les effets sont immédiats, les effets du RGA apparaissent de façon décalée, bien après les épisodes de sécheresse. D’où la multiplication inquiétante de « propriétaires sans recours », dont les biens sont tellement dégradés qu’ils en deviennent parfois inhabitables, mais qui ne peuvent être indemnisés faute de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle.
La proposition de loi vise donc à « faciliter l’indemnisation des victimes », d’abord en modifiant les critères de reconnaissance de l’état de catastrophe « pour augmenter le nombre de communes reconnues en état de catastrophe naturelle » au titre de ce risque. Il est notamment proposé de mesurer non seulement la sécheresse mais également l’humidité des sols, ce que Météo France ne fait pas actuellement ; et « de comparer les épisodes de sécheresse à l’échelle d’une année (…) et non plus mois à mois, pour mieux prendre en considération la longueur qui peut caractériser les épisodes de sécheresse ».
Le second article du texte vise à « rendre la procédure d’expertise plus efficace ». Il dispose notamment que lorsqu’un assureur cherche la cause des dommages, il devrait « obligatoirement mener une analyse des sols prenant spécifiquement en compte le risque RGA ».
Texte enrichi
Lors de son examen par l’Assemblée nationale, ce texte a été enrichi de 13 articles supplémentaires. On retiendra, parmi les ajouts effectués par amendement, l’obligation d’inclure « deux maires de petites communes » dans la composition de la Commission nationale consultative des catastrophes naturelles parmi les 6 élus locaux qu’elle comprend ; ou encore l’obligation, pour le référent départemental à la gestion des catastrophes naturelles, d’élaborer « des supports de communication, afin de permettre aux élus locaux d’expliquer à leurs administrés les étapes de la procédure ».
Les députés ont aussi ajouté une disposition permettant que l’indemnité versée par le régime CatNat puisse permettre de faire construire ou acquérir un nouveau logement, si le précédent est inhabitable.
Dispositif « insoutenable »
Le texte ainsi modifié est arrivé au Sénat début avril, et les choses ont tout de suite mal commencé puisqu’il a été rejeté dès l’étape du passage en commission des finances. La commission a en effet jugé qu’une meilleure prise en compte du risque RGA risquerait de « menacer l’équilibre du régime CatNat » . Les sénateurs ont rappelé que dans l’état actuel des choses, où à peine la moitié des communes qui demandent une reconnaissance au titre de ce risque l’obtiennent, la facture est déjà exorbitante : les dégâts liés au risque sécheresse ont coûté 2,5 milliards d’euros au régime CatNat durant le seul été 2022. Et les choses ne vont faire qu’empirer du fait du réchauffement climatique : les experts estiment que la sinistralité « sécheresse » annuelle moyenne devrait augmenter, à l’horizon 2050, « entre 60 et 190 % ».
Dans ce contexte, la commission des finances a calculé que la proposition de loi Rousseau, si elle était adoptée, coûterait « entre 800 millions et un milliard d’euros par an » au régime CatNat, « sans qu’aucune solution de financement » soit proposée. Au risque, jugent les sénateurs, de remettre en cause le fragile équilibre du système : devenu « insoutenable », le régime CatNat pourrait « perdre son autonomie » – façon élégante de dire que les assureurs s’en dégageraient. L’État serait alors « contraint à financer directement l’indemnisation de l’ensemble des catastrophes naturelles » , écrivent les sénateurs, ce qui serait « désastreux non seulement au regard des finances publiques mais aussi des intérêts des assurés ».
Par ailleurs, les sénateurs ont jugé que le dispositif prévu par la proposition de loi conduirait à « une très forte augmentation du délai des expertises », qui pourrait passer « d’un à trois ans », ce qui serait « insoutenable pour les sinistrés ».
Rejet en séance
Après le rejet par la commission des finances, le texte a été examiné par les sénateurs en séance publique, et les résultats ont été les mêmes. Le gouvernement, dès le début des débats, s’est dit « défavorable à ce texte sur le fond », pour deux raisons : premièrement, il estime que les mesures qu’il contient sont d’ordre réglementaire et non législatif ; ensuite, que ces mesures « n’ont pas été chiffrées ni a fortiori financées ». « Il faut être clair, a déclaré Marie Lebec, ministre chargée des Relations avec le Parlement : ce sont les assurés qui, collectivement, payeront. » La ministre a dit pleinement partager les conclusions de la commission des finances.
Christine Lavarde, rapporteure de la commission des finances, a répété les mêmes arguments, notamment sur la « soutenabilité » du dispositif : « Je ne suis pas professeure d’économie, contrairement à [Sandrine Rousseau], mais mes connaissances en la matière me font dire que nous ne pouvons pas adopter une telle proposition de loi si l'on est attentif aux finances publiques. »
De leur côté, les sénateurs favorables au texte ont jugé « inentendables » pour les sinistrés, « dont les assurances refusent de prendre en charge l'indemnisation, et qui vont devoir payer le passage à 20 % de la surprime CatNat sur leur contrat d'assurance à compter du 1er janvier 2025 ». « Nous affirmons que les assureurs doivent prendre toute leur part à ce financement », a lancé un autre sénateur : « L'heure est non pas aux tergiversations, mais à l'action. Les associations d'élus locaux et de sinistrés nous interpellent et nous demandent de prendre des mesures concrètes. Ce texte est un premier pas nécessaire. »
Les sénateurs LR ont répété leur opposition à ce texte, mettant en avant une autre proposition de loi sur le sujet du régime CatNat, qui sera défendu par Christine Lavarde (lire Maire info du 21 mai). Un par un, les articles de la proposition de loi ont été rejetés – y compris l’article proposant d’intégrer des maires de petites communes dans la Commission nationale consultative, pourtant de bon sens. Comme l’a constaté le président du Sénat en fin de débats, « tous les articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés ou étant devenus sans objet, un vote sur l'ensemble n'est pas nécessaire puisqu'il n'y a plus de texte ».
Le texte va maintenant revenir en deuxième lecture à l’Assemblée nationale. Si l’opposition formelle des LR et de la majorité gouvernementale se confirme, il pourrait y être, également, rejeté. Quant au gouvernement, il ne se dit pas fermé à de nouvelles adaptations réglementaires ou législatives, comme l'a indiquée Marie Lebec au Sénat : « Le gouvernement se tient bien entendu à la disposition des parlementaires pour identifier, de manière concertée, des adaptations utiles, pragmatiques et finançables du régime CatNat, comme cela a déjà été le cas avec succès dans le passé, notamment lors de l'élaboration de la loi relative à l'indemnisation des catastrophes naturelles, adoptée en 2021. »
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