Après l'incendie de Lubrizol, l'Etat montré du doigt par le Sénat
Suivi sanitaire « problématique », « manque de volonté manifeste » : la commission d'enquête du Sénat sur le spectaculaire incendie de Lubrizol dénonce « des angles morts inacceptables » dans la prévention des risques industriels en France et épingle au passage le gouvernement et, en particulier, l'ex-ministre de la Santé, Agnès Buzyn, dans un rapport publié hier.
Suivi sanitaire « tardif et incomplet »
Le « suivi sanitaire » a été « à la fois tardif et incomplet », écrivent les rapporteurs, Christine Bonfanti-Dossat (LR) et Nicole Bonnefoy (PS), dans leurs conclusions sur cet « accident industriel majeur », sans victime « apparente », qui a fait l'objet de « 200 000 tweets en 24 heures ».
L'incendie, survenu le 26 septembre sur le site Seveso seuil haut, avait provoqué un immense nuage de fumée noire de 22 km de long avec des retombées de suie jusque dans les Hauts-de-France. Près de 9 505 tonnes de produits chimiques avaient brûlé dans cette usine de lubrifiants automobiles et sur le site voisin de Normandie Logistique.
Pour la commission, la « méthodologie » adoptée par le ministère de la Santé pour le suivi sanitaire est « problématique ». « Comme le résume Émilie Counil, chargée de recherche à l'Institut national d'études démographiques (Ined), Santé publique France, l'ARS et Agnès Buzyn défendent le point de vue selon lequel il faudrait savoir ce que l'on cherche pour chercher », écrivent les sénatrices.
« Sur le plan de la politique de santé, le manque de volonté est manifeste (...) Si on attend des certitudes spécifiques pour lancer des enquêtes de santé, on n'avancera pas », a commenté Christine Bonfanti-Dossat lors d'une audioconférence de presse, « la pollution est avérée et on hésite encore à assurer un véritable suivi ».
Résultat « l'enquête de santé commencera à peine en septembre, un an après l'incendie », a ajouté la sénatrice, admettant que la crise sanitaire due au covid-19 a aussi retardé le processus. Il y a des « questionnements sur la nature des produits et sur les interférences de ces produits entre eux qui peuvent générer des problématiques importantes en matière de santé. D'où l’intérêt d'un suivi sanitaire à moyen et long terme renforcé », a renchéri Nicole Bonnefoy.
Le président centriste de la commission, Hervé Maurey, est lui aussi « interpellé quant au sérieux et à la rigueur de tout cela » : Santé publique France a admis « il y a encore quelques jours seulement » que « des échantillons » de prélèvements de sol avaient été « perdus » et que d'autres étaient « inexploitables ». Un « grand nombre » d'échantillons sont concernés, selon Christine Bonfanti-Dossat.
Santé Publique France (SPF) a souligné, hier, n'avoir « pas perdu » ces prélèvements dont SPF n'est « pas en charge ». Selon les sénateurs c'est un laboratoire à qui Lubrizol avait confié des prélèvements qui les a perdus.
« Clairement pas sérieux »
Les sénatrices dénoncent en outre la décision du ministre de l'Agriculture « prise dans l'urgence le 11 octobre » de lever l'interdiction de vente du lait produit dans plus de 200 communes. Cette décision prise « trois jours avant la publication du premier avis de l’Anses (autorités sanitaires), paraît prématurée : elle n’a pas pu tenir compte des fortes réserves émises (...) confirmées dans les avis subséquents », selon le rapport. Le gouvernement a ensuite « fait fi du caractère incomplet de l'analyse des prélèvements d'air ».
La ministre de la Transition écologique et solidaire n'est pas en reste. Son objectif « d’augmentation de 50% des contrôles d’ici 2022 à effectifs constants » n'est « clairement pas sérieux », selon Hervé Maurey. Car « depuis quinze ans (...) le nombre de contrôles » des sites industriels classés « a pratiquement été divisé par deux », précise le rapport.
Pour les sénatrices, il faut « renforcer les moyens humains et financiers consacrés » à la prévention. Le gouvernement n'est ainsi pas le seul épinglé dans ce rapport. « La politique de prévention des risques industriels déployée depuis 40 ans en France laisse apparaître des angles morts importants et inacceptables », écrivent les rapporteurs.
Les élues du Sénat relèvent, en outre, « le nombre réduit de sanctions prononcées, leur faiblesse et le taux de classement sans suite plus élevé pour les infractions environnementales que pour la moyenne ».
Cela est « perçu par certains observateurs comme le signe d’une forme d’indulgence des pouvoirs publics vis-à-vis des industries », poursuivent-elles. Selon Nicole Bonnefoy, les « amendes doivent être révisées » à la hausse. Par ailleurs, elle affirment qu'il « est urgent de revoir la doctrine de communication de crise de l’État » consistant à « vouloir rassurer à tout prix ».
Elisabeth Borne, ministre de la Transition écologique et solidaire, « regrette le ton » employé à l'égard de l'Etat lors de la présentation du rapport sénatorial sur le spectaculaire incendie de l'usine Lubrizol à Rouen, a-t-elle réagi ce matin sur sur CNews. « Je regrette le ton de la présentation du rapport des sénateurs qui vise à créer des polémiques. Mieux prévenir les risques industriels, c'est un sujet qui doit nous rassembler, ça ne doit pas être un sujet de polémiques ».
(AFP/Chloé Coupeau)
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