Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du jeudi 7 septembre 2023
Eau et assainissement

Réutilisation des eaux usées traitées et des eaux de pluie : une première avancée concrète

Le gouvernement a publié au mois d'août un décret simplifiant (un peu) les procédures pour la réutilisation des eaux dites « non-conventionnelles », c'est-à-dire les eaux usées traitées et les eaux  de pluie. Objectif : multiplier par dix le volume des eaux usées traitées réutilisées d'ici 2030.  

Par Franck Lemarc

« La saison juin-juillet août 2023 a été de loin la plus chaude jamais enregistrée dans le monde », a annoncé hier le secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, qui a accompagné ce constat d’une sombre déclaration : « L’effondrement climatique a commencé. »  Dans ce contexte, la question de l’accès à l’eau va devenir de plus en plus cruciale, y compris dans des pays tempérés comme la France, où les trois quarts des nappes phréatiques sont en déficit depuis le début du printemps. 

Il apparaît toujours aussi surprenant, face à une telle situation, que de l’eau potable soit utilisée de façon massive pour des usages tels que le nettoiement des voiries ou l’arrosage des espaces verts. Mais la réglementation extrêmement stricte sur ce sujet – pour des raisons sanitaires – empêche souvent les collectivités d’avancer sur ce sujet. Résultat : à peine 1 % des eaux usées traitées sont réutilisées en France, contre presque 15 % en Espagne et… 80 % en Israël. 

Les eaux de pluie intégrées

Conformément au souhait du chef de l’État qui a demandé de porter ce chiffre à 10 % en France d’ici 2030, le gouvernement a publié, le 23 août, un décret « relatif aux usages et aux conditions d'utilisation des eaux de pluie et des eaux usées traitées » , dont l’objet est de simplifier les procédures d’autorisation et de définir « les conditions d'utilisation des eaux de pluie pour les usages non domestiques ». Il y a en effet une différence essentielle entre la réutilisation des eaux usées traitées, sortant de stations d’épuration, et les eaux de pluie : la réutilisation des premières nécessite une autorisation, alors que celle des secondes « est possible sans procédure d’autorisation ». 

Le décret précise que le terme « eaux de pluie »  doit être pris dans une acception très précise : « Les eaux issues des précipitations atmosphériques collectées à l'aval de surfaces inaccessibles aux personnes en dehors des opérations d'entretien et de maintenance. » 

Usages possibles et usages interdits

Qu’il s’agisse d’eaux usées traitées ou d’eaux de pluie, leur usage reste strictement réglementé : le décret indique que leur réutilisation est interdite dans les locaux à usage d’habitation, dans les établissements sociaux et médico-sociaux, de santé et les Ehpad, les cabinets médicaux, les crèches, écoles maternelles et élémentaires, ainsi que les autres établissements recevant du public « aux heures d’ouverture ». Par ailleurs, la réutilisation reste impossible pour les usages alimentaires (boisson, préparation et cuisson des aliments, vaisselle), pour les douches et le lavage du linge, ou encore pour alimenter « les piscines, les brumisateurs, les jeux d’eau, les fontaines décoratives accessibles au public et l’arrosage des espaces verts de bâtiments ». 

Autrement dit, l'usage de la réutilisation restera assez limité, comprenant notamment le nettoyage des voiries et l’arrosage des espaces verts publics. 

Fin de la barrière des cinq ans

Une large partie du décret est consacrée à l’instruction des demandes d’autorisation, qui se fait auprès du préfet du département « où les eaux usées sont produites ». Si le gouvernement parle bien de « simplification », la procédure reste assez lourde. Le porteur de projet – très fréquemment une commune  – doit déposer un dossier comprenant, outre la description du projet, « la description du milieu recevant les eaux usées traitées antérieurement au projet », une évaluation des risques sanitaires et environnementaux « et des propositions de mesures préventives pour maîtriser et gérer ces risques », la description « détaillée »  des mesures de surveillance et de contrôle, etc. 

Ce dossier sera transmis pour avis au conseil départemental et à l’Agence régionale de santé, qui ont respectivement deux et six mois pour rendre leur avis. Il s’agit, pour l’ARS, d’un avis simple et non plus d’un avis conforme, ce qui constitue une des mesures de simplification. 

Lorsque le préfet délivre son avis, il doit assortir son arrêté de prescriptions très précises sur le niveau de qualité des eaux réutilisées, les débits et volumes autorisés, les modalités de contrôle, etc. 

L’évolution la plus marquante entre ce décret et celui du 10 mars 2022 (à présent abrogé), est que le nouveau texte ne fixe pas de durée de validité de l’autorisation. Dans la précédente version, aucun projet ne pouvait excéder cinq ans, ce qui représentait un véritable frein pour les collectivités, vu les investissements que représentent ces projets. La suppression du délai de cinq ans permettra de nettement mieux amortir ces investissements. 

Enfin, le décret va permettre d’augmenter le volume des eaux réutilisables, puisqu’il devient possible d’utiliser les eaux traitées par de petites stations, ce qui n’était pas le cas avant. Par ailleurs, les eaux usées traitées « produites dans un département pourront être employées sur un département voisin ». 

Évolutions

Le gouvernement a indiqué que ce décret n’est que le premier d’une série d’évolutions réglementaires : plusieurs arrêtés vont venir compléter ce texte, notamment pour préciser « les conditions d’utilisation pour l’arrosage des espaces verts ». Deux autres paquets de textes sont « en cours de finalisation », l’un consacré aux usages domestiques, l’autre à l’industrie agro-alimentaire. 

Le gouvernement indique qu'il souhaite essentiellement développer les projets de Reut (réutilisation des eaux usées traitées) dans les communes littorales, où les eaux traitées sont en général rejetées dans la mer. La ville de Cannes est pionnière dans ce domaine et son maire, David Lisnard, par ailleurs président de l'AMF, a mené une longue bataille pour obtenir l'autorisation pour la commune de nettoyer les voiries et arroser les espaces verts et équipements sportifs avec des eaux usées traitées. Après la publication du décret, David Lisnard s'est dit, sur le site de la ville de Cannes, « fier d’avoir convaincu l’État du bienfondé de la réutilisation des eaux usées traitées et de la nécessité de débloquer et d’accélérer la mise en œuvre des milliers de projets liés à la réutilisation des eaux usées traitées en France ».

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