Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du vendredi 3 mars 2023
Réforme territoriale

Conseiller territorial : le gouvernement empêtré dans la promesse d'Emmanuel Macron

Plusieurs parlementaires ont interpellé le gouvernement pour savoir où en est la réforme, promise par Emmanuel Macron, instaurant le conseiller territorial. Le gouvernement semble, aujourd'hui, quelque peu embarrassé par cette promesse.

Par Franck Lemarc

Cela avait été une des surprises de la campagne d’Emmanuel Macron, l’année dernière : son programme ressuscitait feu le « conseiller territorial ». Le président sortant évoquait alors – sans beaucoup de précisions – une réforme territoriale devant aboutir à ce que « les élus départementaux (soient) les mêmes que les conseillers régionaux, avec un seul conseiller territorial. Les compétences seront clarifiées : une mission, un responsable. » 

Rappelons que le « conseiller territorial »  avait été créé en 2010 – sur le papier – par François Fillon, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, avant d’être presque aussitôt supprimé, avant même sa mise en place, sous le gouvernement Hollande, en 2012.

Les pro et les antis

Le moins que l’on puisse dire est que le chef de l’État n’a pas spécialement mis en avant cette proposition lors de sa campagne, ni après. Mais les sénateurs ont la mémoire longue, et plusieurs d’entre eux, depuis, ont demandé au gouvernement où en était cette idée. 

C’est par exemple ce qu’ont fait Jean-Marie Mizzon, sénateur centriste de la Moselle, ou Jean-Louis Masson, du même département. Le premier rappelle que la réforme de 2010, qui prévoyait la mise en place de 3 500 conseillers territoriaux, est intervenue avant la création des « super régions »  (2013). Le même dispositif créé aujourd’hui donnerait lieu « à des assemblées pléthoriques », qui pourraient atteindre les « 400 élus », selon les calculs du Sénat. Pour le sénateur, c’est « mission impossible ». Il relève par ailleurs que la recréation du conseiller territorial pourrait conduire à la disparition des cantons, « et par voie de conséquence, à la mort du département ». C’est pourquoi il juge la réforme « bien peu pertinente ».

Jean-Louis Masson, lui, dit tout l’inverse – d’autant qu’il est l’auteur d’une proposition de loi, en 2019, rétablissant un conseiller territorial « qui assumerait à la fois les fonctions de conseiller départemental et de conseiller régional ». 

Pour Jean-Louis Masson, l’actuel système d’élection des conseillers régionaux, via une liste unique sur l’ensemble de la région, n’est pas satisfaisant : « C'est incompatible avec la représentation des particularités des différents départements car les pseudo-sections départementales sur ces listes ne sont qu'un artifice de présentation », juge le sénateur. 

Sa proposition de loi suggérait non pas de revenir au système voulu par François Fillon, mais d’organiser « un scrutin de liste proportionnel dans chaque département ». Selon les projections de Jean-Louis Masson, cette réforme aboutirait à l’élection de 1 941 conseillers (contre 1 783 conseillers régionaux et 4 056 conseillers départementaux aujourd’hui). Ce qui permettrait de « générer des économies »  tout en assurant « le respect de la parité et en préservant la spécificité des départements ». 

« Équilibres démographiques » 

Le ministère de l’Intérieur a fait la même réponse aux deux questions écrites des sénateurs. Et il démontre qu’il est lui aussi, pour le moment, dans le flou le plus complet.

Le ministère commence par défendre le mode d’élection actuel des conseillers régionaux, qui « présente le double avantage d'assurer une juste représentation des territoires au sein de la région, grâce au système des sections électorales, et de dégager une majorité de gouvernance ». 

Il répond ensuite à la proposition de Jean-Louis Masson (élection du conseiller territorial au scrutin proportionnel par département). Pour le ministère, cette solution présente « deux limites » : « En l'absence d'attribution de prime majoritaire, le scrutin de liste à la représentation proportionnelle envisagé ne pouvait garantir de dégager une majorité stable ni à l'échelon départemental, ni à l'échelon régional », ce qui pourrait conduire à « des blocages institutionnels ». Par ailleurs, « l'élection des conseillers territoriaux au scrutin de liste à l'échelle des départements amoindrirait l'ancrage local des conseillers départementaux aujourd'hui garanti par l'élection à l'échelle des cantons », ce qui serait « une régression dommageable ». Le gouvernement est donc clairement défavorable à cette réforme.

Le ministère ne s’en tient pas là, et pointe lui-même les problèmes posés par la mise en place d’un conseiller territorial : la très grande taille des régions, avec des écarts démographiques importants entre départements, « soulève des enjeux d’équilibre démographique ». « En effet, poursuit la place Beauvau, le nombre d'élus devant être défini par le nombre d'habitants d'un territoire au nom du principe d'égalité devant le suffrage, comme le rappelle systématiquement le Conseil constitutionnel, il faudrait soit diminuer le nombre d'élus dans les départements les moins peuplés de manière importante, soit augmenter le nombre d'élus dans les départements les plus peuplés, tout en veillant à éviter d'obtenir des effectifs pléthoriques au sein des nouveaux conseils régionaux. » 

Ce qui ressemble bien, comme le disait Jean-Marie Mizzon, à « une mission impossible ». 

Le ministère de l’Intérieur renvoie donc la question à la « concertation ». Les différentes options vont être examinées par « la commission transpartisane sur les institutions voulue par le président de la République », commission qui n’est, à ce jour, pas créée – elle devrait l’être, a annoncé Emmanuel Macron, « au cours du premier semestre 2023 ». « C’est sur la base des réflexions conduites dans le cadre de cette concertation que les modalités d’une réforme du conseiller territorial pourront être débattues », conclut le ministère. 

Le ministère de l’Intérieur lui-même semblant voir plus d’inconvénients que d’avantages dans la création du conseiller territorial, cette réforme n’est, semble-t-il, pas près de voir le jour. 
 

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