Maire-info
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Édition du vendredi 12 janvier 2024
Environnement

Protection des riverains contre les pesticides : un tribunal administratif dénonce des chartes locales non conformes

Le tribunal administratif d'Orléans a récemment annulé cinq arrêtés préfectoraux approuvant des chartes locales d'utilisation de produits phytopharmaceutiques dans cinq départements. Les associations de défense de l'environnement et des riverains espèrent un effet « boule de neige ».

Par Lucile Bonnin

Le 7 janvier dernier, le tribunal administratif d’Orléans, saisi par l’association Générations futures et l’union syndicale Solidaires, les UFC-Que choisir du Cher et d’Orléans, la société d’étude de protection et d’aménagement de la nature en Touraine (Sepant) et une habitante du Loiret, a annulé en totalité les arrêtés préfectoraux approuvant les chartes départementales d’engagements des utilisateurs agricoles de produits phytopharmaceutiques.

Ces annulations concernent plus spécifiquement les arrêtés des préfets des départements du Cher, d’Eure-et-Loir, d’Indre-et-Loire et de Loir-et-Cher et de la préfète du Loiret. 

Ces décisions du tribunal administratif constitue une belle avancée pour les ONG qui « considèrent que ces textes ne sont pas à la hauteur des enjeux sanitaires posés par l’exposition des riverains aux pesticides et sont entachés d’illégalités sur plusieurs points ».

Chartes locales 

Pour rappel, l’article 83 de la loi « EGAlim »  du 30 octobre 2018 prévoit que les utilisateurs de produits phytosanitaires formalisent leurs utilisations « dans une charte d'engagements à l'échelle départementale, après concertation avec les personnes, ou leurs représentants, habitant à proximité des zones susceptibles d'être traitées avec un produit phytopharmaceutique ». 

La loi prévoit également que l’usage de produits phytosanitaires à proximité de zones d’habitation soit subordonné à la mise en place de mesures de protection des personnes qui y vivent (Zones de non-traitement (ZNT)), depuis le 1er janvier 2020.

Deux textes réglementaires ont été publiés fin 2019 (lire Maire info du 6 janvier 2020) notamment pour déterminer la distance minimale définie entre les champs traités avec des produits phytosanitaires et les habitations (10 mètres pour les cultures hautes, 5 m pour les cultures basses, et 20 m incompressibles dans le cas de l’usage de certaines substances « préoccupantes »  définies par arrêté). 

L’arrêté et le décret du 25 janvier 2022 relatifs aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation des pesticides prévoient que les chartes d’engagement soient modifiées en comprenant par exemple l’élargissement des ZNT aux lieux accueillant des travailleurs mais aussi en rendant obligatoire une information préalable des riverains.

Ainsi, de nouveaux projets de chartes ont donc été mis en consultation à l’été 2022.

« Règles nouvelles »  et « erreur de droit » 

Après que les chartes ont été révisées et soumises à consultation publique par le préfet, elles ont été approuvées par les préfets des départements mais contestées localement. Ces chartes, aussi appelées chartes de bon voisinage, ont finalement été dénoncées par le tribunal administratif d’Orléans pour plusieurs raisons. 

D’abord, selon l’UFC-Que choisir, la notion de « zones attenantes aux bâtiments habités et aux parties non bâties à usage d’agrément contiguës à ces bâtiments », qui incluent les bâtiments d’habitation et de vie, ainsi que les cours et jardins a été restreinte. En effet, les chartes comprenaient des conditions liées à la durée et la fréquence de présence des personnes dans les zones, ainsi qu’à la taille des propriétés. « Pour le juge, « en précisant cette notion », les représentants de l’État dans le Loiret, le Cher, l’Indre-et-Loire, l’Eure-et-Loir et le Loir-et-Cher ont ajouté aux critères légaux, d’une part, la condition illégale du caractère irrégulier ou discontinu de l’occupation d’un bâtiment, et, d’autre part, les notions, incertaines et sujettes à interprétation, de « très grande propriété »  et de « lieu très étendu »  » . Le tribunal administratif indique dans ces décisions que ces arrêtés sont donc « entachés d’incompétence en ce que le préfet a fixé des règles nouvelles ». 

Autre problème : les chartes locales n’ont pas pris en compte l’information des riverains, obligatoire depuis janvier 2022. Le juge estime que « les modalités fixées par la charte sont imprécises et ne permettent donc pas d’atteindre l’objectif d’information préalable ».

Vers des chartes plus rigoureuses ? 

Ces décisions feront jurisprudence, sauf si les préfets décident de les attaquer devant le Conseil d'État et que celui-ci les annule. Pour le moment, c’est une victoire pour les ONG et associations « qui se battent depuis des années contre ces chartes et les textes nationaux qui ne sont clairement pas assez protecteurs pour les populations riveraines de zones d’épandages exposées aux pesticides. » 

« Reste à savoir si ces décisions vont désormais s’étendre aux autres départements où de telles chartes ont été adoptées et attaquées par nos soins, peut-on lire sur le site de l’UFC-Que choisir. Gageons que l’effet domino va se produire et que nous pourrons enfin espérer la fin de cette mascarade et la mise en place de règles et mesures vraiment protectrices pour ces populations vulnérables. » 

Du côté de l'AMF, on estime que s'il est vrai que ces chartes n'ont pas à définir de nouvelles règles réglementaires, leur premier objectif est de mettre en place un dialogue entre les agriculteurs et les habitants. Il serait dommage qu'un contentieux juridique condamne en même temps les efforts de concertation qui sont leur raison d'être.

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