Prime Ségur dans les métiers du secteur médico-social : le cri d'alerte des départements
Par Franck Lemarc
Entre 2021 et 2024, les départements ont perdu 8 milliards d’euros de ressources, c’est-à-dire environ 10 % de celles-ci. Et pendant ce temps, l’État ne cesse de leur imposer des dépenses supplémentaires, que les départements se voient aujourd’hui incapables de financer. Face à cette situation, Départements de France appelle ses membres à ne pas appliquer la revalorisation du traitement des agents du secteur médico-social, qui représenterait quelque 170 millions d’euros de dépenses supplémentaires cette année.
Décision unilatérale
La décision a été prise en juin dernier et annoncée par le gouvernement sans la moindre concertation avec les départements. Il s’agit de l’extension des accords dits du Ségur de la santé aux salariés du secteur médico-social – extension réclamée à cor et à cri par les organisations syndicales depuis deux ans. Un accord a été trouvé le 4 juin dernier entre les employeurs privés représentés par la fédération patronale Axess et les organisations syndicales, actant une indemnité de 183 euros net par mois aux salariés du secteurs, rétroactive au 1er janvier 2024.
Cet accord a presque immédiatement été validé par le gouvernement, validation officialisée par la publication d’un arrêté au JO du 26 juin. Une célérité inhabituelle, qui n’était peut-être pas tout à fait sans rapport avec l’approche des élections législatives anticipées du 30 juin.
Le gouvernement se félicitait alors que « 600 millions d’euros soient mobilisés par l’État, la Sécurité sociale et les départements » pour financer cet accord. Problème : il a omis de demander l’avis des départements sur ce point.
Dès la parution de cet arrêté, Départements de France (DF) publiait un communiqué pour dénoncer une attitude « faisant fi de la libre administration des collectivités territoriales » et des départements « placés devant le fait accompli » – sans interlocuteurs pour en discuter, qui plus est, depuis la démission du gouvernement. L’association reconnaît certes l’absolue nécessité de rendre attractifs les métiers du secteur médico-social, mais estime que les départements sont dans l’incapacité, « dans l’état actuel de leurs finances », de supporter sans compensation de l’État une telle revalorisation qui toucherait quelque 112 000 salariés. « Que devra-t-on sacrifier ? », demandait alors François Sauvadet, le président de DF. « L’aide sociale aux plus démunis ? [Devra-t-on] abandonner nos communes à leur sort, sans soutien pour leurs projets ? Laisser nos routes se dégrader et isoler ainsi des pans entiers de notre territoire ? Renoncer à accompagner les enfants de l’ASE ? Stopper le développement de la fibre optique en creusant la fracture numérique ? ». « Il n’est plus possible de faire plus avec moins », concluait DF qui redoutait alors que « nombre de départements ne puissent honorer cet engagement unilatéral du gouvernement » et appelait au « gel » de la mesure.
Effet ciseau
Presque trois mois plus tard, la situation reste bloquée – faute de gouvernement, notamment – et DF hausse le ton d’un cran, en demandant maintenant à ses membres de « ne pas mettre en œuvre l’extension de la prime "Ségur", tant que ses conséquences budgétaires n’auront pas été compensées par l’État ». L’association exige du gouvernement qu’il « assume sa décision et compense intégralement les impacts financiers de l’extension du Ségur, sans quoi les départements refuseront de la mettre en œuvre. »
La décision est grave, mais selon DF, elle est à la hauteur de la catastrophe financière qui menace les départements, confrontés à un « effet ciseau » de plus en plus prononcé entre dépenses contraintes en hausse constantes et ressources en baisse.
Côtés recettes, les départements sont en effet soumis à une véritable double peine : d’une part, la non-indexation de la DGF sur l’inflation, comme c’est également le cas pour les communes et les intercommunalités ; mais en plus, l’une des recettes essentielles des départements sont les DMTO (droit de mutation à titre onéreux, communément appelés « frais de notaire » ), et celles-ci s’effondrent du fait de la crise immobilière. Le produit des DMTO a baissé de 5 % en juillet 2024, et la baisse, en cumulé, atteint plus de 20 % sur les sept derniers mois. Ces facteurs cumulés expliquent la diminution de plus 8 milliards des recettes des départements entre 2021 et 2024.
En face, les dépenses flambent, non pour cause de mauvaise gestion mais pour des raisons indépendantes de la volonté des départements : outre la hausse des prix de l’énergie et des matières premières, ce sont surtout les dépenses imposées par l’État qui ont explosé. DF en dresse une liste « non exhaustive » : la hausse du point d’indice leur a coûté « 390 millions d’euros en 2022 et 330 millions en 2023 », l’augmentation du RSA, « 900 millions d’euros depuis 2023 », l’obligation d’installer des casiers dans les collèges, « plus de 125 millions ». Entre 2012 et 2024, le reste à charge des allocations de solidarité (APA, PCH et RSA) a doublé, passant de 6,3 à 12 milliards d’euros. Dans ces conditions, le discours de Bruno Le Maire, l’ex-ministre de l’Économie, sur les collectivités « trop dépensières » et responsables du déficit de l’État, passe particulièrement mal. Avec une ironie amère, DF explique dans son communiqué que les départements peuvent parfaitement participer au redressent des comptes publics « à hauteur de 900 millions d’euros », en n’appliquant pas la hausse du RSA de 4,6 % décidée par le gouvernement, ni les mesures sur le numérique, ni celles sur le Ségur.
Choix cornéliens
Plusieurs départements sont déjà confrontés à des choix cornéliens, faute de moyens, et se trouvent confrontés à l’obligation de devoir déshabiller Pierre pour habiller Paul : DF mentionne un département qui a été « contraint de supprimer l’aide aux transports scolaires pour financer le RSA », un autre qui a fortement réduit ses investissements dans les infrastructures culturelles et sportives, un autre encore qui a « dû réallouer des fonds de son budget consacré aux infrastructures routières vers le secteur des aides à domicile pour les personnes âgées ».
La situation des départements devient financièrement intenable, et l’on voit mal comment le prochain gouvernement pourrait continuer indéfiniment à regarder ailleurs. Les communes elles-mêmes, si la situation continue de se dégrader, seront tôt au tard affectées par les difficultés financières des départements : il faut rappeler, en effet, que ceux-ci sont parmi les principaux soutiens aux projets d’investissement des communes, qu’ils subventionnent à hauteur de plus de 1,5 milliard d’euros par an.
Sans compter que les communes et intercommunalités elles-mêmes sont directement concernées par l'arrêté du 26 juin, pour leurs propres établissements médico-sociaux. Même si leur situation financière n'est pas aussi tendue que celle des départements, elles doivent elles aussi subir les conséquences d'une décision qui leur a été imposée, sans concertation ni compensation.
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