Une commission d'enquête parlementaire appelle à « réformer le modèle économique des crèches »
Par Lucile Bonnin
Après le décès par empoisonnement d’un bébé dans une crèche privée à Lyon et la publication d’un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) qui a mis en lumière plus de 2 000 témoignages de situations de maltraitance (lire Maire info du 12 avril 2023), une commission d’enquête parlementaire sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants a été lancée.
C’est lundi que les membres de la commission ont adopté le rapport signé par la rapporteure Sarah Tanzilli, députée Renaissance du Rhône. Composé de 276 pages, il sera publié officiellement dans quelques jours. Pas moins de 73 recommandations ont été formulées « pour transformer le modèle économique des crèches, afin de garantir une meilleure qualité d’accueil pour les enfants ».
La commune au cœur des réflexions
Les communes et leur intercommunalité sont gestionnaires de près de 70 % des établissements d’accueil du jeune enfant et soutiennent les acteurs associatifs et les acteurs privés à but lucratif par des subventions ou des réservations de places qui sécurisent l’équilibre financier des structures. L’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité a logiquement été auditionnée par la commission d’enquête au cours de ses six mois de travaux.
Le rôle historique des communes est menacé du fait des difficultés rencontrées par les collectivités territoriales pour financer ces établissements. « Aujourd’hui, alors même que la solvabilisation d’une large partie des EAJE [établissements d'accueil du jeune enfant - ndlr] repose sur les communes et les intercommunalités, ces dernières alertent sur leurs difficultés croissantes à financer les crèches municipales – en régie et en délégation de service public » , peut-on lire dans le rapport. Clotilde Robin, coprésidente du groupe de travail sur la petite enfance au sein de l’AMF expliquait alors que les élus demandaient « à être accompagnés pour sécuriser l’existant » en précisant que beaucoup « d’annonces portent sur le financement de nouvelles places » mais que cela « ne répond pas forcément à notre besoin, qui est de réussir à maintenir celles qui existent ».
Le rapport de la commission d’enquête met un point d’honneur à « replacer les communes et les intercommunalités au cœur du financement et de l’accès aux places en crèche, en tant qu’autorités organisatrices du service public de la petite enfance » . Dans ce cadre, la rapporteure recommande « de mettre fin aux réservations de berceaux, au bénéfice d’un service public plus universel » en supprimant le crédit d’impôt famille (Cifam) et « d’instaurer une plateforme nationale de recensement des demandes de places en crèches, permettant aux familles d’établir un ordre de préférence, tout en laissant aux communes la compétence en matière d’attribution des places, en fonction de priorités principalement fixées au niveau local ».
Comme l’indique la députée, « au regard des difficultés financières rencontrées par une partie des collectivités territoriales et de la suppression du Cifam préconisée, il convient de créer une nouvelle source de financement » et donc d’instaurer à la place une taxe sur les entreprises prenant la forme d’un prélèvement « petite enfance » affecté aux communes et intercommunalités.
Le rapport adopté par la commission propose aussi de mettre en place des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM), à l’instar de ceux conclus entre les conseils départementaux et les gestionnaires d’établissements ou de services sociaux et médico-sociaux (ESSMS). « Ainsi, tout gestionnaire de crèche – associatif comme privé lucratif – devra contractualiser avec la commune sur le territoire de laquelle il est implanté ».
Exigences de qualité
Concernant plus spécifiquement la qualité de l’accueil des plus jeunes, une réforme de la Prestation de service unique (PSU) est considérée comme indispensable. Concrètement, la rapporteure propose de simplifier les règles de financement avec une PSU généralisée et forfaitisée. Ce financement forfaitaire proposé par la rapporteure entraînerait « une augmentation d’au minimum 10 % des financements aujourd’hui versés par les Caf aux EAJE, soit entre 500 millions et 1 milliard d’euros supplémentaires, en tenant compte de l’intégration des micro-crèches aujourd’hui financées par la Paje au nouveau dispositif de financement PSU ». Rappelons que l’AMF dénonce depuis plusieurs années les règles de la PSU qui sont défavorables aux gestionnaires et impactent la qualité de l’accueil dans la mesure où, ce modèle de co-financement pousse les gestionnaires à une optimisation excessive des places et pèse sur le travail des professionnels
Le rapport estime également qu’il faut mettre fin à la réglementation différenciée pour les micro-crèches, qui a conduit à une baisse de la qualité d'accueil et constitue un mode d’accueil coûteux pour les familles.
Du côté du personnel, Sarah Tanzilli considère enfin qu’il faut augmenter le nombre de personnels présents dans les structures par enfant avec « un adulte pour 5 enfants d’ici 2027 et un adulte pour 4 enfants d’ici 2030 » (contre 1 pour 6 enfants actuellement), ce qui de facto devrait améliorer, selon elle, les conditions de travail des professionnels de la petite enfance et l’attractivité des postes. Cette révision du taux d’encadrement pose cependant des difficultés pratiques en termes d’impact financier pour les gestionnaires et de mise en pratique au regard de la pénurie de professionnels.
En plus du renforcement des contrôles, le rapport préconise de rendre obligatoire la réalisation d’un entretien individuel avec chaque personnel de la crèche, en l’absence de sa hiérarchie. La PSU rénovée devrait aussi encourager les gestionnaires à augmenter les salaires. Enfin, le rapport propose d’encourager « les communes à affecter, en priorité, des logements sociaux aux personnels occupant des postes opérationnels au sein des crèches ».
Des propositions qui font débat
Les réactions ne se sont pas faites attendre du côté des professionnels de la petite enfance. La proposition de mettre en œuvre une carte professionnelle a par exemple fait réagir les syndicats comme le SNPPE qui considère cette mesure « inutile et potentiellement nuisible » . Ce dernier propose plutôt de « réorganiser la validation des acquis de l'expérience pour garantir une formation de qualité et que les compétences du candidat soient vérifiées ».
La taxe « Versement petite Enfance » pour les entreprises ferait peser la menace « d’une disparition des 150 000 places de crèches privées, la mise en danger d’une part importante des crèches associatives et, à terme, 550 000 enfants privés de solutions d’accueil » , selon la Fédération française des entreprises de crèches qui se dit davantage favorable à une loi de programmation pour la Petite Enfance.
Du côté du gouvernement, il faut rappeler que dans le cadre de la commission d’enquête, la ministre de la Santé, du Travail et des Solidarités, Catherine Vautrin, et la ministre déléguée chargée de l’Enfance, de la Jeunesse et des Familles, Sarah El Haïry, ont indiqué ne pas être favorables à la suppression du crédit d'impôt famille (Cifam) pourtant jugé par l'Igas et l'IGF comme « inégalitaire », selon Aef Info.
Un contre-rapport d’une soixantaine de pages a été publié par les députés La France insoumise (LFI) de la commission d’enquête. Ce dernier dénonce fermement les dérives de « la marchandisation » des crèches privées. Il appelle notamment au « gel des ouvertures de places du secteur privé lucratif et la réorientation des financements vers l’ouverture de places dans le public », et propose de faire de l’accueil des jeunes enfants « une compétence obligatoire des communes, financées par une dotation de l’État à la hauteur des besoins » constatés sur le territoire, estimant que le « système dit du "tiers-financeur" qui existe aujourd’hui est dans l’impasse ».
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