Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du jeudi 25 mai 2023
Petite enfance

Service public de la petite enfance : des points de blocage qu'il reste à lever

L'article 10 du projet de loi « pour le plein emploi » réorganise la « gouvernance en matière d'accueil du jeune enfant », en confiant aux communes le rôle d'autorité organisatrice. En somme, les bases du futur service public de la petite enfance. Les maires y sont certes favorables, mais pas forcément dans ces conditions. 

Par Emmanuelle Stroesser

« Il convient d’identifier un acteur responsable localement du déploiement de la politique d’accueil du jeune enfant et de lui donner les moyens de garantir à chaque parent qui en exprime le besoin, une place d’accueil de qualité pour son enfant de moins de trois ans. »  C’est pour répondre à ces enjeux que le projet de loi prévoit de préciser « la gouvernance de la politique d’accueil du jeune enfant et de renforcer les leviers du développement des modes d’accueil sur le territoire » , indique l'exposé des motifs du projet de loi France Travail.

Mauvais angle

La commune, autorité organisatrice de l'accueil du jeune enfant, de 0 à 3 ans ? Les maires sont pour. Ils y  travaillent d'ailleurs depuis le début de l'année dans le cadre de la concertation nationale « technique »  mise en place entre les associations d'élus, la Cnaf et la Sécurité sociale, en parallèle de la concertation territoriale sur le service public de la petite enfance (1). « C'est la reconnaissance du rôle joué par le bloc communal et sa place centrale dans l'accueil du jeune enfant » , se félicite Clotilde Robin, co-présidente du groupe de travail Petite enfance de l'AMF.
Mais les maires ne s'attendaient pourtant pas à en trouver la traduction juridique dans le projet de loi « pour le plein emploi »  dévoilé la semaine dernière. C'est un premier motif de regret exprimé par Clotilde Robin : « En posant les bases de ce dispositif dans un projet de loi sur l'emploi, on oriente l'accueil de la petite enfance sous le seul angle du retour à l'emploi et de la conciliation vie familiale et privée, un enjeu important, mais en écartant tous les enjeux liés à l'investissement social et au soutien à la parentalité. » 

Trois points inacceptables et un point de blocage

L'article 10 prévoit, en résumé, que dans le cadre d'une stratégie nationale (pour fixer les objectifs de développement de l'offre d'accueil), une autorité organisatrice (les communes) soit en charge d'informer les familles, recenser les besoins et l'offre existante, et dans les communes de plus de 3 500 habitants, « pilote le développement de l'offre d'accueil et de soutien à la qualité de l'accueil » , dans le cadre d’un relais petite enfance rendu obligatoire dans les communes de plus de 10 000 habitants, avec un « soutien financier »  de la Cnaf en ingénierie, et un suivi supra-communal (par les comités départementaux de services aux familles (pour garantir une réponse sur tout le territoire).

Jusque-là, tout va (presque) bien. Mais dans le détail, trois dispositions de l'article 10 « ne sont pas acceptables pour les maires » , explique Clotilde Robin. L’AMF n’est en effet « pas du tout d'accord »  avec le pouvoir de substitution accordé aux préfets, au titre de leur mandat de président du comité départemental des services aux familles, en cas de défaillance des « autorités organisatrices »  (donc des communes) sur les schémas d'élaboration et les relais petite enfance dans les communes de plus de 10 000 habitants. Ce « d'autant plus que tous les pré-requis ne sont pas réunis pour lever tous les freins au développement de places d'accueil de la petite enfance », remarque Clotilde Robin. La pénurie de personnel, aggravée par le manque d'attractivité des métiers, en est l'un des plus importants, avec le financement. L’AMF estime plus opportun de privilégier un accompagnement par le préfet des autorités organisatrices rencontrant des difficultés à mettre en œuvre leurs obligations.

Deuxième « désaccord majeur »  : le transfert de la compétence aux intercommunalités. Pour l'AMF, « il est essentiel qu’un transfert à la carte soit possible (uniquement une crèche par exemple) » . Le projet de loi ne parle que d'un transfert « en bloc ». ». Une telle rédaction s’inscrit en contradiction avec la position de l’AMF (et la volonté des élus locaux) de disposer davantage de liberté dans l’organisation des relations communes-EPCI.

Le dernier désaccord porte sur le calendrier. Le projet de loi parie sur une mise en œuvre en septembre 2025. Une hypothèse à laquelle les maires s'étaient déjà opposés. L’AMF a demandé « la mise en place d’un calendrier de mise en œuvre progressif et tenant compte du renouvellement des conseils municipaux en 2026, afin de laisser le temps aux communes de s’approprier les nouvelles compétences obligatoires, aux acteurs de s’organiser et enfin de laisser davantage de temps pour lever les freins existants (pénurie de professionnels de la petite enfance, remise à plat des modalités de co-financements des EAJE) ».

Or, le financement, justement, reste l'une des grandes inconnues. Le projet de loi renvoie les modalités de compensations financières des communes ou intercommunalités, autorités organisatrices, à la loi de finances ou à la loi de financement de la Sécurité sociale… Des compensations qui n'interviendraient que sur les « seules compétences supplémentaires ». L'absence d'étude d'impact financier de cet article 10 s'avère donc pour l'heure « le principal point de blocage ». 

Tous ces éléments réunis expliquent – en partie – les réserves de l'AMF, sur ce projet de loi France Travail, qui sera examiné aujourd'hui par le Conseil national d'évaluation des normes. L'association compte maintenant sur le débat parlementaire pour lever ces points de de blocage et construire un service public de la petite enfance conforme aux attentes des élus. 

(1) Concertation dont la conclusion, prévue à l'origine en avril, se fait toujours attendre. 
 

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