Violences dans les hôpitaux : prendre le mal à la racine
Par Franck Lemarc
La mort de Carène Mezino, infirmière de 38 ans poignardée par un déséquilibré lundi, a suscité une immense émotion dans le milieu hospitalier – palpable lors de la minute de silence qui a été très largement suivie, hier, dans tous les établissements du pays.
Ce drame relance à la fois encore le débat sur les violences dans le milieu médical et celui, plus général et plus politique, d’une banalisation de la violence dans la société – ces derniers jours ayant été marqués par les conséquences des attaques contre le maire de Saint-Brévin-les-Pins et la mort de trois jeunes policiers après une collision avec un chauffard alcoolisé. La multiplication de tels drames a conduit, hier, le chef de l’État à dénoncer en Conseil des ministres un phénomène de « décivilisation » .
Données objectives
La violence en milieu médical fait l’objet, depuis plusieurs années, d’une tentative d’objectivation, avec la mise en place en 2005 de l’Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS). Le dernier rapport de cet observatoire a été publié en novembre dernier, et donne une idée de la quantité de faits qui se produisent, chaque année, dans les établissements de santé. Avec une nuance : les données de ce dernier rapport concernent les années 2020 et 2021, c’est-à-dire celles de l’épidémie de covid-19. Elles sont en baisse significative par rapport aux années précédentes, mais cette baisse ne reflète hélas pas une tendance générale : elle est due au fait que les confinements, le report des consultations, la déprogrammation des opérations et la diminution des soins non urgents, du fait de la pandémie, ont conduit à une baisse de la fréquentation des hôpitaux.
Même dans ce contexte, le nombre de déclarations est considérable : 19 579 signalements d’atteintes aux personnes et aux biens en 2020, et 19 328 en 2021. La majorité (80 %) de ces signalements concernent des atteintes aux personnes, et la moitié de celles-ci sont des violences physiques.
Selon l’Observatoire, les principaux éléments déclencheurs de ces violences sont la prise en charge du patient, notamment le temps d’attente.
Les services les plus exposés à la violence sont, sans surprise, les services psychiatrie (presque un quart des déclarations), les services de gériatrie et les urgences.
En incise, on ne peut que saluer la précision et l’exhaustivité des données présentées dans le rapport de près de 200 pages de l’ONVS. Les rédacteurs de ce rapport s’appuient sur une plate-forme nationale d’enregistrement des violences commises contre les personnels de santé, où ceux-ci sont invités à remplir un questionnaire extrêmement précis des atteintes subies. C’est très exactement ce type de plate-forme nationale que l’AMF souhaite voir mise en place sur le sujet des violences faites aux élus, et la qualité des travaux de l’ONVS montre que c’est parfaitement possible.
25 millions pour la sécurité
Reste la question essentielle : comment mieux sécuriser les hôpitaux ? Ce sera le sujet de la rencontre organisée aujourd’hui autour de François Braun. Pour les professionnels, toute la difficulté est de trouver le bon équilibre entre, d’une part, la sécurité des personnels et, d’autre part, la nécessité de laisser l’hôpital « ouvert » . Comme l’expliquait ce matin dans les médias Rémi Salomon, président de la Conférence des présidents de commission médicale des CHU, l’hôpital ne peut être bunkerisé, il doit rester « un lieu d’accueil ouvert à tous » . Des solutions sont déjà mises en œuvre dans certains hôpitaux, notamment avec la présence de vigiles et le fait de doter les soignants de « systèmes d’alarme leur permettant de prévenir lorsqu’un patient devient agressif » . Mais il paraît, par exemple, difficile à tout point de vue – et pas seulement financièrement – d’installer des portiques à l’entrée de chaque établissement.
Pour Rémi Salomon, un travail de « formation » doit également être mené pour « apprendre les bonnes attitudes » face à une situation qui dégénère.
François Braun a, en attendant, annoncé hier qu’un « audit de sécurité » serait mené la semaine prochaine dans tous les établissements : « Tout ce qui ne fonctionne plus en termes de sécurité, les portes magnétiques qui ne marchent plus, les badges (…), je veux que l’on vérifie tout ça, tout de suite, et que l’on répare ». Il a également annoncé qu’une enveloppe de 25 millions d’euros allait être débloquée pour sécuriser les hôpitaux. « S’il faut plus, nous mettrons plus », a affirmé le ministre.
Désertification médicale et « délabrement » de la psychiatrie
Au-delà de la question de la sécurisation matérielle des établissements, se pose celle des conditions de travail, du manque de personnel, de la désertification médicale, des temps d’attente. Tous ces sujets sont liés – le fait qu’une majorité de faits de violence trouvent leur origine dans la prise en charge des patients le montre. Le manque cruel de médecins, dans de nombreuses communes, amène à la saturation des services d’urgence, ce qui conduit à faire exploser les temps d’attente et donc l’exaspération des patients et leurs proches, sans parler de l’épuisement des soignants. Traiter le problème des violences à la source devrait donc commencer par traiter la question de la désertification.
Le dernier aspect de ce douloureux dossier est celui de la psychiatrie – qui a été posé par le maire de Reims, Arnaud Robinet, par ailleurs président de la Fédération hospitalière de France. L’assassin de Carène Mezino a en effet, comme l’a expliqué hier le procureur de la République de Reims, de lourds antécédents psychiatriques, avait déjà agressé des soignants par le passé et avait dit publiquement, plus récemment, son intention de « planter des blouses blanches » .
« Comment une personne qui a été jugée irresponsable au vu de son état mental se retrouve dans la nature, en toute liberté, avec une rupture – peut-être – de traitement ? La solution je ne la connais pas, c'est toute une chaîne qu'il faut revoir » , a déclaré, avant-hier, Arnaud Robinet. « La psychiatrie a toujours été le parent pauvre de la médecine en France, a ajouté le maire de Reims. On va vivre des moments tendus en termes de psychiatrie ».
Les syndicats de médecins comme de soignants dénoncent depuis des années l’état de « délabrement avancé » de la psychiatrie en France. Dans les vingt dernières années, le nombre de lits de psychiatrie a diminué en France de 20 %.
Partageant ces constats, l’AMF avait saisi le ministre de la Santé en 2021, à la suite de nombreuses remontées de maires concernant des fermetures de lits en psychiatrie, lors du forum dédié à l’accès aux soins au Congrès des maires.
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