Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 9 septembre 2019
Environnement

Pesticides : des maires pris entre le marteau et l'enclume

C’est aujourd’hui que le gouvernement lance sa « consultation citoyenne »  sur la distance à respecter entre les habitations et champs traités aux pesticides. Après un été marqué par de vifs débats sur l’opportunité, pour les maires, de prendre des arrêtés municipaux sur ce sujet, l’État souhaite se diriger vers la mise en place d’une distance minimale de 5 à 10 m.
C’est un arrêté du maire de Langouët, en Ille-et-Vilaine, puis son rejet par le tribunal administratif de Rennes, qui ont alimenté la chronique cet été : ce maire, Daniel Cueff, avait pris le 18 mai dernier un arrêté interdisant l’épandage de pesticides « à une distance inférieure à 150 m de toute parcelle cadastrale comprenant un bâtiment à usage d’habitation ou professionnel ». 
Le 27 août, le tribunal administratif de Rennes, saisi par le préfet, a décidé de suspendre l’application de cet arrêté, le jugeant manifestement illégal. Cette décision a soulevé l’incompréhension, voire l’indignation de nombreux citoyens et élus locaux – quelques-uns de ces derniers décidant, dans la foulée, de prendre également de tels arrêtés pour marquer leur solidarité avec Daniel Cueff. À ce jour, quelque 45 maires ont pris des arrêtés anti-pesticides, avec des distances variables – 100 mètres ici, 500 mètres là – voire interdisant totalement ces produits sur le périmètre de la commune – comme à Sceaux et Antony, dans les Hauts-de-Seine. Les maires signataires de tels arrêtés sont de toutes tendances politiques, et aussi bien maires de villages que de grandes villes comme Dijon. 

Questions de compétences
Deux problèmes distincts se posent dans cette affaire : celui de la forme – la légalité, ou non, de tels arrêtés – et celui du fond – la dangerosité des pesticides et la « bonne distance »  à respecter entre zones d’épandage et habitations. 
Jusqu’à présent, c’est sur la forme que préfets et tribunal administratif ont tranché pour casser les arrêtés incriminés. Leur argument : les maires ne sont pas compétents sur cette question. La loi fixe en effet clairement qu’il existe une police spéciale des produits phytopharmaceutiques, et qu’elle relève directement de l’État, en particulier des ministres de l’Agriculture et de la Santé. Dans son arrêt, le tribunal administratif de Rennes est formel : « S’il appartient au maire (…) de prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, il ne saurait en aucun cas s’immiscer, par l’édiction d’une réglementation locale, dans l’exercice d’une police spéciale que le législateur (…) a confiée à l’État. » 
Ce point de droit n’en finit pas, depuis des mois, de diviser. Dans un courrier adressé au préfet des Hauts-de-Seine, le 29 août, les maires de Sceaux et de Gennevilliers, Philippe Laurent et Patrice Leclerc, qui ont vu eux aussi leurs arrêtés municipaux « censurés », écrivent que « le maire peut édicter des dispositions particulières en vue d’assurer la protection de la santé publique dans la commune »  et ce notamment « en cas de carence de l’État ». Les deux maires estiment en l’espèce qu’il y a bien « carence de l’État », puisque, comme le Conseil d’État lui-même l’a reconnu, « la réglementation française n’est pas conforme aux textes européens », plus restrictifs. 
En conclusion, les deux élus annoncent au préfet qu’ils refusent de retirer leurs arrêtés. 

Le gouvernement plaide pour 5 à 10 m
Au-delà de la question de la compétence des maires, il y a celle de la dangerosité des produits incriminés – en particulier le glyphosate – et de la distance à respecter entre épandages et lieux de vie. Les maires qui ont pris de tels arrêtés estiment qu’il est de leur rôle de faire jouer le principe (constitutionnel) de précaution. La question se pose aussi bien dans les communes rurales, où les habitations jouxtent les champs, que dans des communes urbaines où, à ce jour, aucune réglementation n’existe, par exemple, pour les espaces verts des copropriétés ou les emprises de chemin de fer. 
C’est tout l’objet de la consultation lancée ce matin, avant la publication d’un décret, prévu pour le 1er janvier prochain, qui devrait fixer une distance minimale. Le gouvernement a tranché pour l’instauration de deux distances minimales, cinq et dix mètres, selon le type de produits et le type de cultures, s’appuyant sur les recommandations de l’Anses (l’agence nationale de sécurité sanitaire). Dans certains cas et « après échanges entre les agriculteurs, les riverains et les élus », ces distances pourraient être ramenées à 3 mètres.
La publication de ces chiffres a fait bondir les écologistes qui les estiment « insuffisants », « dérisoires », voire « ridicules ». 
De son côté, le principal syndicat agricole, la FNSEA, salue au contraire une décision qu’elle juge « raisonnable ». Interviewée ce matin sur France info, et très en colère, la patronne de la FNSEA, Christiane Lambert, a rappelé qu’instaurer une distance minimale de 150 m reviendrait à neutraliser « 15 % à 20 % de la surface agricole du pays ». Estimant que les écologistes « délirent »  et qu’ils « méprisent et insultent les agriculteurs », Christiane Lambert a rappelé que la législation interdit déjà l’épandage lorsqu’il y a du vent, ce qui d’après elle limite les risques de contamination des alentours. Pour la représentante des agriculteurs, il faut maintenant « dépassionner »  ce débat et « écouter la parole des scientifiques ». 

L’AMF favorable à une évolution des textes
La solution que semble privilégier le gouvernement est celle d’un « dialogue au niveau local », avec des « chartes départementales », plutôt qu’une réglementation unique sur tout le territoire. 
Du côté de l’AMF, on rappelle ce matin à Maire info que « depuis toujours les maires ont un rôle indispensable de lanceurs d’alerte. Les maires qui édictent des arrêtés jouent leur rôle. Mais les tribunaux sont aussi dans leur rôle en faisant appliquer le droit positif ! Ce qui se passe en ce moment démontre la nécessité de faire évoluer les textes, en tenant compte de tous les éléments de ce dossier. » 
Il faudra en particulier trouver un compromis entre le principe de précaution, les exigences de santé publique et le maintien de l’activité des agriculteurs. Voilà la difficile équation que va devoir résoudre le gouvernement. La consultation va durer trois semaines, et le gouvernement promet de trancher définitivement entre octobre et novembre.

Franck Lemarc


 

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