Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 7 octobre 2024
Patrimoine

Préservation du patrimoine : comment réduire les « frictions » entre élus locaux et architectes des Bâtiments de France ?

Application « disparate » des règles patrimoniales, manque de dialogue, coût des travaux… Afin de pacifier les relations entre élus locaux et architectes des Bâtiments de France, des sénateurs font une série de propositions et recommandent le recours méconnu aux médiateurs. 

Par A.W.

Comment rabibocher élus locaux et architectes des Bâtiments de France (ABF) ? C’est l’objectif que s’est fixé une mission d’information sénatoriale - sur « le périmètre d’intervention et les compétences »  de ces ABF - qui vient de présenter ses solutions.

Alors que la préservation du patrimoine bâti fait généralement l’unanimité, les décisions prises par les architectes des Bâtiments de France sont pourtant régulièrement source « d’incompréhension »  et de « frustrations »  qui entraînent des « frictions importantes »  avec les élus locaux. 

Près de 1 500 contributions de maires

Afin de tenter de « créer les conditions d’un dialogue renouvelé entre les ABF et les acteurs locaux », la présidente et le rapporteur de la mission sénatoriale, Marie-Pierre Monier et Pierre-Jean Verzelen, viennent donc de formuler 24 propositions qui doivent également permettre « une meilleure conciliation des enjeux patrimoniaux, économiques et environnementaux à l’échelle de chaque territoire ». 

Un travail de six mois qui a suscité un « très grand intérêt »  aux quatre coins de la France puisque sa consultation en ligne a recueilli, en moins d’un mois, « près de 1 500 contributions »  de la part des maires et « 600 témoignages directs ».

« Le succès de cette consultation ainsi que l’analyse des contributions recueillies a confirmé le constat d’une forme d’incompréhension entre les ABF et certains élus locaux et porteurs de projet, qui tend à s’exacerber sous l’effet de la montée en puissance de la rénovation énergétique du bâti ancien patrimonial ou situé en zone protégée », constatent ainsi les auteurs du rapport qui rappellent que cela peut donner lieu à « des frictions importantes sur le terrain ».

Que ce soit la « variabilité et le manque de prévisibilité des avis », les « prescriptions trop coûteuses »  ou encore un « certain manque de pédagogie et d’accompagnement »  et une « insuffisante prise en compte des enjeux de la transition énergétique », les élus locaux et les porteurs de projets pointent la série de difficultés majeures qu’ils rencontrent et les « crispations récurrentes »  qu’elle génèrent. 

Ils déplorent ainsi une « application parfois disparate »  des règles patrimoniales et un « manque de dialogue »  avec les 189 ABF répartis sur l’ensemble du territoire et qui ont sous leur protection près d’un tiers (31,7 %) des logements du pays. Certaines villes sont même presque intégralement incluses dans un périmètre de protection comme c’est le cas avec Paris (94 %), Nancy (89 %) ou Rouen (83 %).

Surcharge administrative

« Loin de ne représenter qu’un hommage au passé », la mission réaffirme le rôle « central et indispensable »  des ABF dans la protection du patrimoine paysagère et rappelle que sa préservation participe « très directement de l’attrait touristique de nombreux territoires, de la qualité de vie de ses habitants et du développement économique ».

Seulement, les architectes des Bâtiments de France sont devenus un « rempart fragilisé du patrimoine paysagé »  du fait d’une « surcharge administrative ». 

La mission pointe « la dégradation les conditions des conditions d’exercice de la profession ». Alors que, depuis 2013, les effectifs des ABF sont en quasi-stagnation, le nombre d’avis rendus a progressé de plus de 60 %. 

« La situation peut s’avérer problématique dans les 40 % de départements, souvent ruraux, qui ne disposent que d’un seul ABF », constatent les auteurs du rapport qui expliquent que, « en dépit de renforts techniques, ce dernier peut avoir plus de difficultés à se déplacer et à prendre le temps d’un dialogue avec les porteurs de projets et les élus dans chaque dossier ». Les ABF manquent donc de temps pour exercer cette « mission fondamentale ».

Recours à un médiateur

Concrètement, si les refus des ABF restent « rares »  (14 %) pour chaque demande d’urbanisme, les accords avec prescriptions représentent la moitié des avis qu’elle émet, ceux-là même qui peuvent déboucher sur des travaux « significativement plus coûteux que le budget initial ». In fine, seules 36 % des demandes reçoivent un « avis conforme ».

Or, si le refus est « souvent compris », l’ampleur des prescriptions ainsi que leurs coûts sont « les sujets qui posent le plus de difficultés sur le terrain ». D’autant que les recours – qui représentent seulement 0,2 % des avis émis (bien qu’en forte progression ces dix dernières années) – ne peuvent être sollicités que pour les refus et non les accords avec prescriptions.

Pour améliorer la situation, la mission recommande donc de développer l’intervention de médiateur en la faisant mieux connaître auprès des élus, celle-ci étant trop peu connu. « La médiation permet en effet d’ouvrir un espace de dialogue apaisé, et peut désamorcer des situations en apparence compromises », explique la mission qui propose de créer des commissions de médiation au niveau départemental pour faciliter le dialogue entre élus et ABF.

Adaptation aux spécificités locales

A noter également qu’elle recommande de faire passer de sept jours à un mois le délai du recours qui peut être exercé contre une décision de l’ABF. Jugé « largement insuffisant », ce délai entraîne des « difficultés »  pour les maires de petites communes pour saisir le préfet de région.

Le rapport propose, en outre, d’encourager le développement de périmètres délimités des abords (PDA) pour adapter la protection patrimoniale aux spécificités locales et de recruter au moins un ABF supplémentaire par département pour renforcer le secteur.

Les auteurs du rapport souhaitent également améliorer la lisibilité et la prévisibilité des avis rendus par les ABF, notamment « en assurant des permanences accessibles à tous les citoyens, en rendant leurs décisions publiques et en développant des guides nationaux de bonnes pratiques en matière patrimoniale ». Ils réclament aussi l’amélioration du niveau d’information général des citoyens et des élus sur les problématiques patrimoniales.

Par ailleurs, le rapport suggère de renforcer la formation continue des ABF afin de faire face aux enjeux patrimoniaux et environnementaux.

Télécharger le rapport.
 

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