Partir ou rester : les inégalités éducatives rencontrées par les jeunes des villes et des campagnes
Par Lucile Bonnin
Et si les discours politiques et les études statistiques arrêtaient d’opposer les jeunesses rurales et urbaines ? C’est autour de cette question que s’est tenue mercredi la 18e Journée du refus de l'échec scolaire organisée par l’Association de la fondation étudiante pour la ville (Afev).
« En 2018, avec les Gilets jaunes, deux blocs ont été opposés [dans les discours politiques], a expliqué dans son discours d’ouverture Eurice Mangado-Lunetta, directrice des programmes de l'Afev. On a mis en concurrence parfois deux jeunesses : la jeunesse des tours et la jeunesse de bourgs. À l’Afev, l’instrumentalisation de cette opposition nous interroge. »
Or ces deux jeunesses font face à des inégalités éducatives prégnantes, allant du choix d’orientation aux difficultés de mobilités. Et les maires sont des acteurs essentiels de cette problématique. Une enquête menée auprès de 1 507 lycéens d’établissements scolaires dans les grandes villes et dans les zones rurales a été présentée puis discutée autour de plusieurs tables rondes.
Le milieu social : facteur déterminant dans l’éducation
L’enquête montre clairement que si les lycéens veulent en majorité poursuivre des études supérieures (81 %), « leurs ambitions sont pondérées par des variables sociales et territoriales » . Sans surprise, « les jeunes de milieux favorisés visent des études longues (master / grandes écoles) ». Cependant il est intéressant de noter que « les jeunes ruraux de milieu populaire se projettent davantage vers des filières courtes (BTS, IUT) » que les jeunes urbains qui eux, sont 55 % à vouloir aller en master contre 38 % pour les ruraux, et à milieu social égal.
Car la question de la poursuite des études en soulève une autre : celle du départ. S’il apparaît qu’une part significative des jeunes répondants est très attachée à son lieu de vie, ce sont les jeunes des classes populaires rurales qui se disent à 90 % attachés à leur territoire contre 75 % des jeunes urbains du même milieu. Dans ces campagnes, « moins bien pourvues en services et commodités », les jeunes ruraux s’appuient « sur leurs sociabilités de proximité liées aux sphères familiales et amicales » . Évidemment, d’autres contraintes sont citées par les jeunes comme le manque de moyens financiers, les contraintes familiales et les difficultés dans les déplacements (surtout en zone rurale) pour poursuivre des études ailleurs. Il n’en demeure pas moins que le souhait de partir de chez ses parents est plus prégnant chez les jeunes des classes supérieures. De plus, 17 % des jeunes ruraux ont vécu ce départ comme une contrainte contre 9 % des jeunes citadins.
Autre variable intéressante : la projection des jeunes quant à leur trajectoire sociale. Les jeunes citadins sont plus nombreux à penser qu’ils auront un meilleur destin que leurs parents par rapport aux jeunes habitant dans des communes rurales (36 % contre 25 %). Pour Benoît Coquard, sociologue à l'Inrae, ces résultats ne sont pas sans lien avec les différences de classe sociale et d'origine entre urbains et ruraux : les jeunes urbains plus souvent issus de l’immigration, avec des parents plus pauvres, que les classes populaires des campagnes qui sont davantage stabilisées. « Ces jeunes des quartiers ont de plus grandes aspirations scolaires car il y a un effet de "rattrapage". Les parents ont subi un déclassement en arrivant en France, (...) et surinvestissent l’école ».
Enjeu politique et territorial
« Le drame de Crépol a créé une véritable scission entre les jeunes ruraux et les jeunes qui grandissent dans les quartiers mais il faut que les jeunes comprennent qu’ils rencontrent les mêmes problématiques et qu’il faut avancer ensemble car le problème de la reproduction sociale vaut pour un groupe comme pour l’autre » , défend Yvon Atonga, frère aîné de Wilfried Atonga, assassiné en 2016 à Goussainville (Val-d'Oise) à la suite d’un « règlement de compte ».
« La France qui va mal on la retrouve partout », ajoute Eurice Mangado-Lunetta. Rémi Rouault, professeur émérite de géographie à l'université de Caen Normandie observe des évolutions territoriales à prendre en compte pour aborder les inégalités éducatives. « La pauvreté européenne s’exporte dans les campagnes avec des marchands de sommeil qui rachètent d’anciens pensionnats ruraux » , souligne le géographe. Le constat est partagé par Fabrice Bossuyt, maire de Mesnil-sur-Estrée : « De plus en plus de familles se paupérisent et à la campagne, ils ne veulent pas l’admettre, et cela se voit moins… C’est le boulot des élus d’aller frapper aux portes de ces habitants », notamment pour s’assurer du suivi scolaire des enfants. Le géographe pointe aussi un changement dans les relations au sein des communes rurales : « Certaines rencontres ne se font plus ! » . En effet, les urbains favorisés qui viennent vivre à la campagne continuent de scolariser leurs enfants dans les grandes villes, ce qui a une incidence sur les relations sociales des enfants et les relations de voisinage.
Le maillage territorial des offres de formations est aussi un sujet essentiel lorsque l’on aborde la problématique des inégalités éducatives. Comme l’a souligné Corinne de La Mettrie, directrice générale déléguée à la Politique de la Ville à l’ANCT, le choix des filières est largement influencé par les territoires : « On connaît selon les zones géographiques les choix d'orientation qui faits par les jeunes. Dans les QPV par exemple, ce sont majoritairement des filières professionnelles et des BTS. Ces choix sont liés à l’offre de formation sur le territoire mais c’est aussi une demande des jeunes qui parfois s’autocensurent ».
« Ceux qui restent »
La cartographie de l’offre de formation met aussi en lumière une autre réalité très importante pour les élus locaux. Dans les petites communes rurales, les maires font face à une fuite de la jeunesse. Emmanuel Davidenkoff, journaliste au Monde, rappelle justement qu’il y a quelques années, les maires des villes moyennes s’étaient insurgés contre la décision du gouvernement d’établir des quotas pour les bacheliers professionnels en IUT. « La levée de bouclier des maires a mis en lumière des enjeux territoriaux et le rôle que jouaient les IUT localement pour maintenir une partie de leur jeunesse qui sans cela s’en allait » , résume le journaliste.
Le sociologue Benoît Coquard estime qu'il est primordial de valoriser les diplômes en expliquant « aux jeunes qu’ils peuvent être méritants aux yeux de leurs proches » . « Pourquoi les professeurs ne veulent pas enseigner dans les quartiers populaires ou dans les bourgs du Grand-Est ? Parce qu'ils ne sont pas du coin. À l’inverse, les jeunes ruraux sont envoyés dans des formations qui ne vaudront rien dans l’espace local où ils ont grandi. Si le diplôme protège de la précarité et du chômage, il faut les investir dans les espaces qui correspondent. Des métiers dans la fonction publique par exemple pourraient être occupés par des jeunes qui ont à cœur de rester sur place. » Le sociologue a d’ailleurs publié une enquête intitulée Ceux qui restent, Faire sa vie dans les campagnes en déclin, qui permet d’approfondir cette idée de reconnaissance entre pairs au sein des communes rurales.
Consulter l'enquête de l'Afev.
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