Déchets du bâtiment : des éco-organismes qui piétinent leurs engagements contractuels
Par Franck Lemarc
Après le textile, les déchets du bâtiment. Décidément, il y quelque chose qui ne va pas dans un certain nombre de filières de la REP (responsabilité élargie du producteur).
On se rappelle qu’en juillet, Le Relais avait dû engager une forme de « grève de la collecte » des textiles usagés pour alerter sur sa situation financière catastrophique, accusant l’éco-organisme de la filière, Re-fashion, de pratique une forme de rétention des sommes perçues via l’écocontribution (lire Maire info du 17 juillet).
C’est maintenant au tour de la filière des déchets du bâtiment d’être dans la tourmente.
Lobbying
Rappelons que le secteur du bâtiment représente à lui seul 15 % de la production nationale de déchets, soit environ 42 millions de tonnes. Il s’agit d’un enjeu majeur pour les communes, confrontées à un phénomène récurrent de dépôts sauvages de déchets de construction – 70 % des dépôts sauvages concernent ce type de déchets. On se souvient qu’à l’été 2019, c’est en intervenant face à un maçon qui tentait de larguer dans la nature des gravats de chantier que le maire de Signes, Jean-Mathieu Michel, avait été tué, percuté par la camionnette de l’individu.
En 2020, la loi Agec a étendu au secteur du bâtiment le principe pollueur-payeur, créé une nouvelle filière REP et instauré une écocontribution pour les metteurs en marché. Mais la mise en œuvre de cette REP se heurte à de nombreuses difficultés, en particulier du fait de la mauvaise volonté de certains producteurs à appliquer la loi. Mais aussi du fait que la collecte est en quelque sorte victime de son succès, car elle a donné lieu à des volumes bien plus importants que prévu, dépassant les capacités financières des éco-organismes.
C’est en particulier le cas de la filière bois, qui estime le coût de l’écocontribution insupportable et juge, surtout, sa participation à la filière inutile, puisque le bois est déjà très bien collecté et valorisé, estime-t-elle. La Fédération nationale du bois se livre donc à un lobbying acharné pour faire sortir le bois de la filière PMCB (produits et matériaux de construction du bâtiment) – lobbying qui a par exemple conduit au dépôt d’une proposition de loi sénatoriale, au printemps dernier, pour tenter d’acter le retrait du bois de la filière, mais qui n’a pas trouvé le soutien des sénateurs. La Fédération demande par ailleurs à ses adhérents, depuis le début de l’année, de résilier leurs contrats avec les éco-organismes.
Moratoire surprise
Deuxième acte : l’annonce par le gouvernement, le 20 mars dernier, d’un « moratoire » sur les dispositions « devant entrer en vigueur en 2025 », afin de lancer « la refondation de cette filière REP », avec l’objectif de mettre en place un nouveau cahier des charges de la filière d’ici la fin de l’année. La ministre Agnès Pannier-Runacher, qui a porté cette décision, se montrait alors plutôt sensible aux arguments des metteurs sur le marché : « Cette filière représente une charge significative pour les producteurs de produits et matériaux de construction sans pour autant apporter un service satisfaisant aux artisans », écrivait-elle dans son communiqué. C’est notamment la reprise gratuite des déchets triés qui pose problème aux éco-organismes, estime la ministre. Elle relaye donc les demandes des éco-organismes qui ont demandé ni plus ni moins que l’arrêt, pur et simple, de la reprise gratuite pour les professionnels.
Le moratoire devait être officialisé par un arrêté, initialement prévu avant l’été… mais qui n’a toujours pas été publié au Journal officiel. Ce n’est que le 26 août qu’un projet d’arrêté a été mis en consultation publique (jusqu’à aujourd’hui), plus favorable encore aux producteurs que ce qu’avait annoncé la ministre : alors qu’elle avait évoqué un moratoire d’un an, le projet d’arrêté prévoit de retarder de deux ans, jusqu’en 2027, l’entrée en vigueur de certaines dispositions.
Valobat suspend la collecte
Dans ce contexte incertain, certains éco-organismes ont sauté sur l’occasion et ont, unilatéralement, décidé de stopper la collecte de certains types de déchets, avant de rétropédaler, devant le tollé. C’est notamment le cas de Valobat, l’un des quatre éco-organismes agréés, qui a tranquillement annoncé le 29 août sa décision « d’interrompre provisoirement la collecte de plâtre dans l’ensemble des déchèteries publiques à partir du 1er octobre ». Prétexte : « Une dérive de la qualité des flux de déchets et une volumétrie en forte hausse des apports (…) engendrant des surcoûts logistiques ». Mais surtout, Valobat prend prétexte du moratoire, se disant « dans l’attente de la définition » des nouvelles règles.
Un exemple des conséquences de cette décision unilatérale – et, selon les juristes, parfaitement illégale : le Symtoma (Syndicat mixte de traitement des ordures ménagères et assimilés) Aigoual-Cévennes-Vidourle, qui regroupe 75 communes entre le Gard et l’Hérault, va voir la collecte de plâtre effectuée par Valobat interrompue dans ses huit déchèteries. Alors que le syndicat avait signé, en 2024, un contrat qui devait courir jusqu’au 31 décembre 2027.
Furieux, les élus de ce territoire expliquent que si le syndicat devait reprendre à sa charge la collecte de plâtre, cela lui coûterait 20 000 euros par mois, ce qui est impossible, et savent par avance que cette décision de Valobat se traduira par une explosion des déchets sauvages : les déchèteries vont rapidement se trouver saturées de déchets plâtre, et se verront alors obligées de les refuser. Par voie d’avocat, ils ont mis en demeure Valobat, le 15 septembre, de respecter ses engagements contractuels – le courrier de l’avocat rappelant à l’éco-organisme que « aucune disposition législative ou réglementaire ni aucune stipulation contractuelle ne (l’) autorise à suspendre l'exécution de (ses) relations contractuelles ».
La Fédération française du bâtiment et la Capeb, de leur côté, envisagent également un recours en justice, les entreprises du bâtiment allant être lourdement pénalisées par cette décision.
Hier, face aux réactions suscitées par sa décision, Valobat a finalement fait savoir à l’AMF qu’il renonçait à interrompre la collecte de plâtre, ce qu’il devrait rapidement officialiser en s’adressant aux collectivités concernées.
« Situation inadmissible » pour l’AMF
Un recul de Valobat qui n’est sans doute pas sans lien avec le fait que l’AMF est montée au créneau, hier, dans un communiqué publié à la suite de la réunion du Bureau de l’association. L’AMF rappelle que les éco-organismes « continuent à percevoir l’écocontribution » alors qu’ils « désertent leurs missions ». Il en résulte « une situation inadmissible » : « Les collectivités continuent d’assurer la collecte et le tri des déchets sans percevoir les contributions qui leur sont dues », certains déchets s’accumulent dans les déchèteries, et « un nombre croissant de collectivités se voient refuser l’accès au dispositif, les éco-organismes ne délivrant plus d’accord préalable ».
L’AMF estime que les collectivités se retrouvent « prises en otage d’un système où l’État et les éco-organismes se déresponsabilisent » et fustige « des engagements contractuels ignorés et des textes réglementaires méprisés ». Le Bureau de l’association exige solennellement des éco-organismes qu’ils « honorent leurs engagements contractuels », et « appelle l’État à faire respecter les textes réglementaires qu’il a lui-même édictés ». L’association, qui refuse que les collectivités se trouvent obligées « d’assumer les défaillances » des éco-organismes, dit n’exclure « aucun recours, y compris juridique », pour faire valoir les droits de celles-ci.
Il reste maintenant à savoir les positions que prendra le futur gouvernement dans ce dossier. Si l’arrêté instituant le moratoire peut légalement être publié une semaine après la fin de la consultation publique, soit dans une semaine, il est peu probable que ce soit le cas, alors que la ministre qui le signera est démissionnaire.
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