Crise de l'eau à Mayotte : les élus dénoncent « un enfer », le gouvernement intensifie enfin son aide
Par Franck Lemarc
C’est avec une colère froide qu’Estelle Youssouffa, députée de Mayotte, a pris la parole hier lors de la première séance de questions au gouvernement de la rentrée parlementaire : « Demain, Mayotte sera dans la rue pour hurler de soif. Mayotte est en train de basculer en enfer. »
Situation chaotique
Jeudi dernier, ce sont cinq collèges et deux lycées qui ont été fermés après que l’Agence régionale de santé eut déclaré l’eau « impropre à la consommation » . De l’aveu même du ministre délégué chargé des Outre-mer, Philippe Vigier, hier à l’Assemblée, « 31 écoles (communales) n’ont pas d’eau » .
L’eau est à présent coupée la plupart du temps dans les villes : « Nous n’avons l’eau courante que quelques heures tous les deux ou trois jours », a décrit Estelle Youssouffa, et encore, « il faut la faire bouillir avant de la consommer ».
Face à cette pénurie, les Mahorais n’ont d’autre solution que d’acheter de l’eau en bouteille. Pour tenter d’éviter la spéculation, le gouvernement, en juillet, a fait jouer l’article L410-2 du Code du commerce, qui permet de bloquer les prix d’un produit en cas de « situation de crise, de situation exceptionnelle ou de calamité publique ». Depuis le 18 juillet donc, et jusqu’au 15 décembre prochain, il est interdit de vendre de l’eau en bouteille à Mayotte au-dessus du prix qui était en vigueur le 3 juillet. Ce qui n’empêche pas totalement la spéculation : dès le mois d’août, les services de l’État à Mayotte ont annoncé avoir dressé plusieurs contraventions contre des commerçants ne respectant pas le décret.
Le blocage des prix, pour bienvenu qu’il soit, ne résout de toute façon pas le problème, car les prix étaient déjà très élevés au moment où il est intervenu (jusqu’à quatre fois plus qu’en métropole) : comme l’a expliqué la députée mahoraise, « Le pack d’eau se vend entre 5 et 12 euros à Mayotte, et une famille de quatre personnes a besoin au minimum de six bouteilles par jour, soit un budget d’environ 300 euros par mois. » Le gouvernement a certes distribué 600 000 bouteilles d’eau « pour les plus vulnérables » – mais même si le chiffre semble élevé, il est dérisoire, puisque ramené à la population de l’île – estimée à 300 000 habitants en 2023 – il ne représente que deux bouteilles d’eau par personne.
Le manque d’eau, en particulier dans les bidonvilles que compte encore l’île, fait craindre aux autorités sanitaires le retour de la typhoïde et du choléra. L’unique hôpital de l’île « s’effondre » , selon Estelle Youssouffa, « une centaine de soignants manquant à l’appel ».
Face à cette situation chaotique, dans un territoire qui, faut-il le rappeler, est un département français, on peut comprendre le cri de colère lancé par la députée : « Sommes-nous, nous, Mahorais, sortis de la République ? »
Les annonces gouvernementales
Cela fait des mois que les élus de l’île demandent à l’État des mesures d’urgence, réellement à la hauteur de cette crise, c’est-à-dire des mesures comparables à ce qui serait déployé en cas de catastrophe majeure. Ainsi, le député Mansour Kamardine demande depuis l’été le déclenchement du plan Orsec sur l’île. Ce qui serait sans doute plus utile que de pointer du doigt les élus locaux, comme l’a fait le ministre Christophe Béchu hier, sur Franceinfo : « Il faut regarder les choses en face, a déclaré le ministre. La compétence [de l'eau] telle qu'elle a été exercée, y compris par les élus locaux sur l'île, n'a pas été à la hauteur des besoins. » Mais que dire de « la compétence » de l’État qui est, entre autres, d’assurer « la prévention et la gestion des menaces sanitaires graves » ?
L’État semble, néanmoins, commencer à réagir à la hauteur de la crise. Le ministre Philippe Vigier, qui a reconnu hier que la situation est « gravissime » à Mayotte, a annoncé hier plusieurs mesures enfin sérieuses. Le nombre de bouteilles livrées sur l’île va passer de 600 000 à « 5,4 millions » . Des citernes de 1000 litres sont en train d’être acheminées dans les 31 écoles privées d’eau, « afin que les enfants aient accès à de l’eau sanitaire ». En outre, le ministère de l’Intérieur, a annoncé Philippe Vigier, a décidé hier « de mobiliser la sécurité civile » À plus long terme, le gouvernement a engagé « 35 millions d’euros immédiatement » dans un « schéma de connexion d’eau potable » pour tenter de colmater le plus vite possible les fuites dans le réseau d’approvisionnement. Enfin, le ministre a affirmé que les deux usines de dessalement d’eau de mer actuellement en construction « verront le jour fin 2024 ».
Autre signe du fait que le gouvernement semble déterminé à prendre désormais la crise à bras le corps : Philippe Vigier se rend aujourd’hui à Mayotte, accompagné de la Directrice de l’eau et de la biodiversité. L’objectif est « d’être aux côtés » des autorités locales et de faire en sorte que, a expliqué Christophe Béchu hier, « une fois la crise passée on soit capable d’aller entreprendre des travaux massifs ».
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