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Édition du vendredi 1er mars 2024
Outre-mer

Chlordécone : les députés reconnaissent la responsabilité de l'État aux Antilles

La dépollution des terres et l'indemnisation des victimes de ce pesticide sont prévues par le texte adopté lors de la niche parlementaire des socialistes. A cette occasion, ces derniers ont également examiné la possible extension des tarifs réglementés de vente d'électricité aux petites communes.

Par A.W.

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L'Assemblée nationale a adopté hier, en première lecture, une proposition de loi visant à reconnaître la responsabilité de l'État et à indemniser les victimes du chlordécone, ce pesticide qui a été massivement utilisé aux Antilles entre les années 1970 et 1993 (pourtant interdit dans l’Hexagone à partir de 1990) pour lutter contre le charançon du bananier. Et ce, malgré sa nocivité reconnue depuis longtemps, les États-Unis l’ayant, par exemple, interdit dès 1975.

Salué comme « historique », ce texte, porté par le député de Guadeloupe, Elie Califer, a été voté à la quasi-unanimité des 101 votants, les groupes de la majorité s'étant toutefois abstenus. « C’est une victoire de la représentation nationale, une victoire de la République de la fraternité (...) Nous avons fait un travail que nos territoires vont regarder », s’est réjoui le député caribéen, à l'issue des débats, se félicitant de la « reconnaissance symbolique de la souffrance des Antillais ».

Indemnisation des victimes et des territoires

De son côté, Christian Baptiste, également député socialiste de Guadeloupe, a estimé que l’adoption de ce texte permettra de reconnaître, « non seulement que les actions passées ont été insuffisantes, mais aussi que nous sommes prêts à rectifier le tir et à déployer des mesures qui répondent véritablement aux besoins des victimes »  de ce « poison »  qui a « imprégné notre terre, nos rivières et la vie de nos concitoyens ».

Ce texte court stipule ainsi que « la République française reconnaît sa responsabilité dans les préjudices sanitaires, écologiques et économiques subis par les territoires de Guadeloupe et de Martinique et par leurs populations » . Elle devra aussi reconnaître les dommages « moraux », comme l’ont souhaité les députés, par amendement

La France devra, en outre, s’assigner pour objectif « la dépollution des terres et des eaux contaminées »  et « l’indemnisation de toutes les victimes de cette contamination, qu’elle ait eu lieu ou non dans le cadre d’une activité professionnelle », mais aussi de « leurs territoires ».

Deux autres autres mesures ont été décidées : la « mise en place d'une campagne de prévention sur l'ensemble du territoire national »  via un amendement LFI et « l’amélioration de la prévention sanitaire de la population, avec la mise en place d’un dépistage systématique du cancer de la prostate à partir de 45 ans pour les populations »  antillaises, via un amendement du groupe Liot. 

Etablir « la responsabilité »  des décideurs politiques

L’adoption d’un amendement, qui n’était pas dans le texte initial, a particulièrement fait grincer des dents : celui des écologistes qui prévoit « d’établir publiquement la responsabilité des décideurs politiques dans ce scandale d'Etat ». « Il ne faut pas vouloir partir dans tous les sens », a ainsi déploré le ministre délégué à la Santé, Frédéric Valletoux, alors que la députée Renaissance Charlotte Parmentier-Lecocq rappelait que les faits remontent à « plus de 30 ans »  en disant craindre une chasse aux sorcières.

Si la ministre chargée des Outre-mer, Marie Guévenoux, a reconnu le « drame »  vécu par les Guadeloupéens et les Martiniquais, le camp présidentiel a toutefois proposé, avant de retirer son amendement, de faire seulement reconnaître une « part de responsabilité »  de l'Etat au profit de la notion de « responsabilités multiples ». La députée Charlotte Parmentier-Lecocq a ainsi souligné que « d'autres responsabilités ont été à l'œuvre », dont celles notamment des propriétaires d'exploitation de l'époque. 

Face à cette tentative de « réécriture »  qui aurait « dénaturé profondément »  la proposition de loi, Elie Califer a rappelé qu’il n’avait « jamais été dit que la responsabilité de l’Etat était exclusive (...) mais première »  et assuré « avoir bien conscience du lobbying des producteurs de bananes qui s'exerçait à l’époque ». 

Eaux contaminés et « sur-incidence »  des cancers

Pour rappel, les préjudices vécus par les Antillais sont nombreux. Dès les années 2010, il est apparu que les sols des deux îles sont massivement contaminés au chlordécone, sur 50 à 60 % de leur surface, non seulement autour des plantations mais bien au-delà, le produit s’étant disséminé, d’une part, par les eaux et, d’autre part, par le déplacement de terres pour les chantiers de travaux publics. Un rapport de 2019 pointait notamment « la dégradation généralisée »  de l'eau en Guadeloupe. 

Selon les études les plus récentes, 92 % des Martiniquais et 97 % des Guadeloupéens présentent des traces de chlordécone dans l’organisme. Avec des conséquences multiples : risques d’atteintes neurologiques, incidence sur la fertilité, risque « fortement accru », selon une étude de l’Inserm, de cancer de la prostate chez les hommes. L’Institut national de veille sanitaire a également pointé, en 2009, « une sur-incidence statistiquement significative »  des cancers du sang dans les deux îles.

On peut aussi rappeler que le tribunal judiciaire de Paris a rendu, début 2023, un « non-lieu définitif »  sur la pollution massive de la Martinique et de la Guadeloupe par le chlordécone. Une décision qui a scandalisé associations et élus locaux. 

La ministre chargée des Outre-mer a, par ailleurs, rappelé que l'Etat a agi depuis en mettant en place le plan Chlordécone avec « 130 millions d’euros consacrés à trois objectifs : informer, protéger et réparer ». La proposition de loi doit désormais passer par le Sénat.

Tarifs réglementés de l'électricité

Lors de cette journée réservée à leur groupe, les socialistes ont également fait adopter, en troisième lecture, une proposition de loi visant à la nationalisation du groupe EDF, qui pourrait permettre d’étendre, à partir du 1er février 2025, le tarif réglementé de vente d’électricité (TRVE) à « près de 10 000 communes », à en croire les évaluations du ministre de l’Industrie et de l’Energie Roland Lescure et du groupe Renaissance.

L'AMF se dit, toutefois, « assez circonspecte »  sur le chiffre avancé par le gouvernement et attend « des éléments complémentaires précis qui l'étayent ».

« Je me réjouis que le rétablissement des tarifs réglementés de l’électricité recueille désormais l’assentiment du gouvernement. Alors qu’en première lecture, il y a un an, cette proposition de loi avait été jugée particulièrement coûteuse : un montant de 20 milliards d’euros avait été évoqué », a rappelé le député de l’Eure Philippe Brun (PS) à l’origine du texte, la gauche regrettant toutefois que « les collectivités locales les plus importantes, qui assurent l’essentiel de la prise en charge de nos concitoyens, avec les piscines, les écoles, les médiathèques, les Ehpad et les bâtiments publics, ne soient pas concernées ».

Le texte a sensiblement évolué au cours des allers-retours avec le Sénat avant que le camp présidentiel et l'exécutif ne s'y rallient. Ce qu’ils refusaient jusqu’à présent. Il est désormais inscrit à l'agenda du Sénat, le 3 avril, en vue d'une adoption définitive.

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