Augmentation préoccupante du trafic de drogues en France : les communes rurales ne sont pas épargnées
Par Lucile Bonnin
Le trafic de drogues n’est plus uniquement l’affaire des grandes villes. Le phénomène touche les villes moyennes, mais aussi les zones rurales. C’est notamment ce qu’observent les maires ruraux dans leurs communes respectives. Du littoral normand, au département des Bouches-du-Rhône, en passant par la campagne vosgienne : les élus locaux peuvent témoigner à leur échelle de l'ampleur du narcotrafic en France.
Hier, sous forme de table-ronde consacrée aux retours de terrain des maires ruraux, la commission d’enquête du Sénat sur le narcotrafic a notamment auditionné l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF), l’Association de petites villes de France (APVF) et Association des maires ruraux de France (AMRF).
« Il n’y a plus de territoire qui soit exclu du potentiel de trafic »
Sur les côtes normandes, dans la petite commune de Réville (1 000 habs), près de trente sacs remplis de cocaïne pour un poids total d'environ 800 kg se sont échoués sur la plage en février 2023. C’est ce qu’a rapporté le maire de la commune Yves Asseline, représentant de l’AMF à cette table-ronde. Un épisode exceptionnel qui témoigne néanmoins de la montée en puissance de ce type de trafics à l’échelle mondiale.
Pour Michel Fournier, maire des Voivres et président de l’AMRF, « il n'y a plus de territoire qui soit exclu du potentiel de trafic » . Ce qu’il observe en tant que maire d’une commune de l’Est, ce sont des circuits venant de Hollande qui « prennent l'itinéraire habituel Hollande-Belgique pour descendre dans la vallée du Rhône ».
Hervé Chérubini, maire de Saint-Rémy-de-Provence, représentant de l'APVF, estime que « les communes les plus touchées sont essentiellement celles sur les grands axes fontaliers mais sont aussi celles qui accueillent de grandes infrastructures type aéroport ou encore beaucoup de touristes l’été » . À Saint-Rémy-de-Provence, « on passe de 10 000 à 40 000 habitants l’été ».
Aucun territoire ne semble être épargné et pour cause : le trafic de drogue explose à l’échelle nationale. Les zones rurales sont directement confrontées à ce marché qui se développe rapidement. Frédéric Sanchez, commandant la compagnie de gendarmerie de Saint-Quentin, auditionné en janvier dernier explique constater deux types de trafics dans les communes rurales : « l’usager revendeur, qui peut se professionnaliser, et des réseaux structurés, venus de grandes agglomérations ».
Inquiétudes sur la consommation
Les réseaux de narcotrafic se font discrets, évidemment. Ce qui l’est moins en revanche c’est la consommation de drogues vendues aux habitants des communes. Pour les maires, au-delà de l’enjeu de sécurité que les trafics peuvent soulever, c’est la santé publique qui est mise à mal.
Le président des maires ruraux craint que la consommation de drogues ne soit en train de devenir « une banalité locale » . De plus, le maire observe que « ces nouvelles consommations très coûteuses appauvrissent la population » . Yves Asseline s’inquiète lui d’une consommation permanente de la drogue, « été comme hiver » : « Les gens consomment du cannabis à 80 %, et pour le reste de l'héroïne. Dans mon territoire, j’observe une montée de la cocaïne qui provient essentiellement d'Amérique latine. Selon la gendarmerie son prix baisse : on est passé de 60 euros le gramme à 45 euros, ce qui explique qu’il y ait davantage de consommateurs. »
Hervé Chérubini dénonce, non sans amertume, une consommation récréative dans les milieux mondains : « Les gens se font livrer par Uber pour une consommation à domicile lors de soirées festives qui a fortement augmenté sur les dernières années. Certains s'affichent avec la farine sur la table. » Il a rappelé enfin que les assassinats liés au trafic de stupéfiants ont coûté la vie à 49 personnes au total dans les Bouches-du-Rhône en 2023. « La base du trafic ce sont les consommateurs » , a insisté l’élu avant d’ajouter d’un ton grave : « nous sommes tous responsables ».
Des outils pour les maires
« La lutte contre le trafic n’est pas le job des élus » , a rappelé Denis Mottier, chargé de mission sécurité et prévention de la délinquance à l’AMF. Cependant, le partenariat maire/gendarme peut permettre la mise en place d’une lutte plus efficace contre les trafics de drogue – « et cela fonctionne bien » , témoigne Yves Asseline. « Les maires ont avant tout un rôle de prévention et d’accompagnement à jouer. Ils ne peuvent pas agir directement mais indirectement », indique Denis Mottier.
La commission sécurité et prévention de la délinquance de l’AMF travaille en partenariat avec la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) qui mène des projets à l’attention des maires. « Ils sont cependant très mal connus de certains élus ruraux » , regrette Denis Mottier qui plaide pour une meilleure accessibilité de ces outils et formations à destination des maires. Rappelons que la MILDECA a réalisé avec l'AMF un guide pratique « Le maire face aux conduites addictives » .
La médecine scolaire a aussi été évoquée lors des échanges d’hier. En effet, les plus jeunes sont particulièrement concernés par les addictions aux drogues et ce, « dès le collège », selon Hervé Chérubini. Les maires interrogés sont favorables à donner davantage de moyens à la médecine scolaire, qui souffre actuellement d’une pénurie de personnel inquiétante.
Du côté de l’AMF on identifie notamment une priorité à accompagner les maires dans les mesures de prévention en cas d’évènements exceptionnels notamment dans le cadre d’évènements festifs comme les teufs ou rave party. Le lieutenant-colonel Denis Mottier souligne aussi une montée en puissance de la consommation de drogues chez les marins pêcheurs et la nécessité de mettre en place une prévention « dont les maires peuvent se faire le relais » . Des campagnes de prévention adaptées au milieu rural – et non pas uniquement nationales – pourraient aussi être déployées.
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