Ordonnance littoral : le gouvernement ne manque pas sa dernière occasion de ne pas écouter les élus
Par Franck Lemarc
La loi Climat et résilience du 22 août 2021 autorise le gouvernement à légiférer par ordonnance en matière d’urbanisme sur le sujet de l’adaptation au recul du trait de côte. Cette habilitation (article 248 de la loi) porte en particulier sur la création d’un « nouveau contrat de bail réel immobilier de longue durée, par lequel un bailleur consent à un preneur des droits réels en contrepartie d'une redevance foncière, en vue d'occuper ou de louer, d'exploiter, d'aménager, de construire ou de réhabiliter des installations, ouvrages et bâtiments situés dans des zones exposées au recul du trait de côte ou à des risques naturels aggravés par le changement climatique ». Elle porte également sur l’articulation entre ce nouveau bail « et les obligations de démolition et de remise en état » prévues par le Code de l’urbanisme.
Renaturation aux frais des communes
L’ordonnance en elle-même est composée d’une dizaine d’articles techniques et complexes, difficiles à résumer. Dans la présentation de ce texte faite devant le Conseil national d’évaluation des normes (Cnen), le ministère de la Transition écologique a expliqué qu’elle s’articulait en quatre axes : d’abord « la définition d’une nouvelle méthode d’évaluation des biens exposés au recul du trait de côte » ; puis, « les adaptations relatives au nouveau droit de préemption et des réserves foncières ». Deuxièmement, l’instauration du nouveau « bail de longue durée pour l’adaptation à l’érosion du littoral ». Cette partie de l’ordonnance précise notamment que les opérations de « renaturation » du terrain à l’issue du bail seront aux frais du bailleur.
Le troisième axe concerne des dérogations à la loi Littoral : « Le projet d’ordonnance ouvre la possibilité, pour les communes incluses dans le régime spécifique au recul du trait de côte, de déroger à certaines dispositions législatives, notamment à l’obligation de construire en continuité de l’urbanisation existante, lorsque ces dispositions empêchent la mise en œuvre d’une opération de relocalisation de biens ou d’activités menacés dans des espaces plus éloignés du rivage. » Ces dérogations seront « strictement encadrées », via la conclusion d’un contrat baptisé « projet partenarial d’aménagement » (PPA) entre les communes et l’État.
Enfin, le quatrième axe concerne les dispositions particulières d’adaptation en Outre-mer pour la zone littorale dite des cinquante pas géométriques.
Les élus plus que réservés
Lors de l’examen de ce texte devant le Cnen, en procédure « d’extrême urgence », les représentants des maires ont une fois de plus protesté contre les conditions même de cet examen, dans des délais intenables et sans la moindre étude d’impact financier– ce qui est semble-t-il en train de devenir une habitude de la part du gouvernement. Ils ont relevé que le texte n’a même pas été présenté devant une autre instance consultative pourtant concernée au premier chef, le Conseil national de la mer et des littoraux.
Sur le fond du texte, les représentants des élus ne sont pas montrés plus satisfaits, estimant notamment qu’il existe un écart important entre « la volonté du législateur » (c’est-à-dire ce qui figure dans la loi Climat et résilience) et le contenu de l’ordonnance.
Ils ont surtout « unanimement déploré » l’article 5 de l’ordonnance, qui prévoit la prise en charge par le bailleur (potentiellement une commune) des travaux de démolition et de dépollution du terrain à l’issue du bail. Cette disposition, relèvent les élus, n’était absolument pas prévue par l’article 248 de la loi Climat et résilience et procède donc « d’un choix du gouvernement ». Les représentants du ministère ont répondu que ce choix n’avait rien de déséquilibré, puisqu’il est précisé dans l’ordonnance que le bailleur recevra une « contrepartie de cette charge » sous forme d’une redevance payée par le preneur pendant toute la durée du bail.
Enfin, les élus ont vivement critiqué les dispositions de l’ordonnance prévoyant que les dérogations prévues à la loi Littoral soient conditionnées à la conclusion d’un PPA (projet partenarial d’engagement), qu’ils voient comme « de simples contrats d’adhésion à la main de l’État ». Les élus redoutent que ce choix conduise « in fine à annihiler les marges de manœuvre que le législateur a souhaité donner aux collectivités pour la mise en œuvre de projets de relocalisation durable des constructions » menacées par le recul du trait de côte. En conclusion, les représentants des élus ont déploré que continue de s’opérer une forme de « transfert de charges et de responsabilités de l’État vers les communes en matière de gestion du risque lié au recul du trait de côte ». Et ce, dans une situation où de nombreux maires de communes littorales sont extrêmement inquiets, puisque dans certaines communes, ce sont « des quartiers entiers (qui) sont concernés ».
Tous les membres du Cnen représentant les élus ont émis un avis défavorable à ce texte, le 25 mars. Ce qui n’a pas empêché le gouvernement de présenter son ordonnance en Conseil des ministres hier et de la publier aujourd’hui, sans tenir le moindre compte des observations et craintes des élus. Tout un symbole, pour ce qui sera manifestement le dernier texte législatif d’un quinquennat marqué par un manque d’écoute certain vis-à-vis des élus locaux.
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