Nouvelle-Calédonie : le nouveau gouvernement prend ses distances avec la politique du précédent
Par Franck Lemarc
La situation en Nouvelle-Calédonie a été par deux fois évoquée lors la première séance de questions au gouvernement, hier après-midi à l’Assemblée nationale, plusieurs députés ayant tenu à faire en sorte que cette question ne soit pas occultée par les débats en cours sur le budget et les finances publiques. Mais les échanges de questions et de réponses sur la Nouvelle-Calédonie ont pris des allures de règlement de compte entre le nouveau gouvernement et l’ancien, au point qu’une bonne partie des députés macronistes, emmenés par l’ancien ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, ont démonstrativement quitté l’Hémicycle après l’intervention de Michel Barnier.
Rappelons que la veille, lors de son discours de politique générale, le Premier ministre, Michel Barnier, avait annoncé l’abandon, pour le moment du moins, du projet de loi constitutionnel de dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie, qui avait mis le feu aux poudres en mai dernier : ce projet, adopté par les deux chambres, « ne sera pas soumis au Congrès », a affirmé le Premier ministre, et les élections provinciales seront reportées « jusqu’à fin 2025 ». Ces élections devaient initialement se tenir avant le 15 décembre prochain, mais le Conseil d’État a autorisé un éventuel report, au plus tard en novembre 2025. Michel Barnier a annoncé que le Parlement allait rapidement se voir soumettre un projet de loi organique pour acter ce report.
Dans son discours, le Premier ministre a également fait part de sa volonté de d’impliquer « personnellement » sur ce sujet de la Nouvelle-Calédonie – rappelons que le ministre chargé des Outre-mer, François-Noël Buffet, a été placé directement sous l’autorité du Premier ministre et non, comme il est d’usage, sous celle du ministre de l’Intérieur. Une « délégation interministérielle » consacrée à la Nouvelle-Calédonie va être créée, a annoncé en outre le Premier ministre. « Une nouvelle période doit maintenant s’ouvrir, consacrée à la reconstruction économique et sociale de la Nouvelle-Calédonie, à la recherche d'un consensus politique sur son avenir institutionnel. »
Prise de distance
Ces déclarations marquent une certaine prise de distance de Michel Barnier par rapport à la politique menée par le gouvernement précédent, qui avait envoyé des signes clairs de soutien au camp loyaliste et adopté une attitude jugée « provocatrice » par les indépendantistes. Notamment, l’entrée au gouvernement de Sonia Backès, présidente de la région Sud et farouche loyaliste, avait été très mal vécue par les indépendantistes même les plus modérés. Toute comme avait été mal vécu le fait de nommer le député calédonien indépendantiste Nicolas Metzdorf rapporteur du projet de loi sur le dégel du corps électoral. Après le discours de politique générale, Nicolas Metzdorf a qualifié ses propos, devant la presse, de « barniaiseries ».
Il n’y a donc rien d’anodin à ce que le groupe macroniste à l’Assemblée nationale ait choisi ce même Nicolas Metzdorf pour poser la première question au gouvernement sur la Nouvelle-Calédonie : cela ne peut apparaître que comme une marque de défiance vis-à-vis des prises de position de Michel Barnier. Le député a fait ce qui était attendu de lui, avec une question particulièrement hostile,sur un ton provoquant. Il a expliqué qu’en annonçant l’abandon du projet de loi sur le dégel du corps électoral, Michel Barnier avait « humilié les Calédoniens », effaçant au passage les Kanaks qui sont pourtant, eux aussi, « Calédoniens ». Nicolas Metzdorf a également reproché au Premier ministre de « ne pas avoir eu un mot » sur « les aides économiques nécessaires à la relance au maintien des emplois ».
Le Premier ministre a choisi de ne pas répondre à cette question, qui pourtant s’adressait à lui, et a laissé le micro à son ministre François-Noël Buffet. Celui-ci a recadré le député en déclarant que le gouvernement était attentif à la situation de « tous les Calédoniens, tous les Calédoniens sans exception ». Il a confirmé qu’une aide économique « immédiate » serait apportée à la Nouvelle-Calédonie, mais qu’il allait s’engager « une démarche beaucoup plus profonde » sur « l’avenir de la Nouvelle-Calédonie en tant que telle et au projet qu’il faut définir la concernant ».
« Retrouver l’apaisement »
Un peu plus tard, le député indépendantiste Emmanuel Tjibaou – fils du leader du FLNKS assassiné en 1989 –a lui aussi pris la parole pour interpeller le gouvernement. Sans surprise, il a salué les annonces de Michel Barnier faites la veille, qui selon lui « amorcent certainement une démarche constructive ». Et d’enfoncer le clou : « J’espère que ces annonces sonnent également le glas d’une méthode appliquée par vos prédécesseurs (…). Cette méthode suscitait des risques de déstabilisation de la poursuite du processus de décolonisation et de paix que nous menons ensemble depuis trente ans. » Cette fois, c’est bien le Premier ministre lui-même qui a répondu, ce qui est en soi un choix politique. Michel Barnier a confirmé un changement de pied par rapport à l’équipe gouvernementale de Gabriel Attal (qui a d’ailleurs également quitté l’Hémicycle à ce moment), insistant sur sa volonté de « retrouver l’apaisement », de « consulter tous les élus », de travailler « dans le respect de toutes les communautés et de toutes les forces politiques ». On est loin des déclarations de Gérald Darmanin qualifiant les membres de la CCAT, en juin, de « terroristes ». Celui-ci a semble-t-il bien compris le message, en quittant alors l’hémicycle, manifestement ulcéré, en compagnie des anciens ministres Marie Lebec, et Roland Lescure et d’une bonne partie des députés de son groupe.
Quant à Nicolas Metzdorf, lui aussi membre du groupe macroniste, il a annnoncé qu'il voterait la motion de censure que la gauche s'apprête à déposer.
Au-delà de la question calédonienne, les relations paraissent déjà de plus en plus tendues entre le Premier ministre et le parti présidentiel, pourtant fortement représenté au gouvernement, ce qui promet des situations compliquées. Témoin, les échanges d’amabilités entre le nouveau Premier ministre et l’ancien, Gabriel Attal. Après que ce dernier eut clairement critiqué les hausses d’impôts pour les plus riches annoncées par Michel Barnier, celui-ci lui a répondu, patelin : « Si le résultat des élections n’a pas été au rendez-vous, c’est qu’il y a des raisons, et il faut les comprendre. (…) Je serai très attentif à vos propositions d’économies supplémentaires… pour faire face au déficit que j’ai trouvé en arrivant. »
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