Nouvelle-Calédonie : la double crise
Par Franck Lemarc
Entre mars 2023 et mars 2024, la Nouvelle-Calédonie avait déjà perdu près de 2 % de ses salariés, du fait de la crise du secteur du nickel, la principale ressource minière de l’archipel. Mais après les émeutes provoquées par la tentative de réforme du corps électoral, la situation s’est très brutalement aggravée : c’est près de 30 % des actifs de Nouvelle-Calédonie qui étaient au chômage partiel à la fin de l’été. L’Isee, l’institut d’études statistiques de Nouvelle-Calédonie, vient de publier une étude (appuyée sur les chiffres disponibles au 31 août) dans laquelle elle estime que les émeutes généreront la perte de quelque 6 000 emplois (sur 66 000 début 2024).
Crise politique sur fond de chômage en hausse
Après avoir culminé à près de 69 000 emplois dans le privé en 2023, l’emploi a commencé à décliner au quatrième trimestre de l’année dernière, à la suite de suppressions d’emploi chez KNS, entreprise d’extraction minière et plus gros employeur de l’île. Puis un deuxième décrochage, encore plus brutal, est constaté au deuxième trimestre.
Si les données concernant les tout derniers mois ne sont pas encore consolidées, l’Isee peut néanmoins s’appuyer sur un indicateur relativement fiable : le nombre de personnes indemnisées au titre du chômage, mois par mois. L’Isee rappelle que deux types d’indemnisations existent désormais en parallèle en Nouvelle-Calédonie : le chômage de droit commun et le chômage « Exactions 2024 », un dispositif spécifique voté par l’exécutif local en juin dernier, permettant d’indemniser les salariés des entreprises mises à l’arrêt ou fermées du fait des émeutes. Ces chiffres montrent que le chômage « de droit commun » a augmenté presque aussi vite que le chômage « Exactions », ce qui confirme qu’il y a bien deux crises conjuguées en Nouvelle-Calédonie – celle du nickel et celle liée aux émeutes.
Par exemple, le nombre de chômeurs indemnisés de droit commun est passé de 2 424 en août 2023 à 3 650 un an plus tard. Le nombre de bénéficiaires du chômage « Exactions » s’élève à 1 300 environ.
En revanche, les graphiques publiés par l’Isee montrent que le nombre d’entreprises ayant fait des demandes de chômage partiel a explosé à partir du mois de mai. Avant les émeutes, un très petit nombre d’entreprises faisait ce type de demandes, ce qui pouvait néanmoins concerner un grand nombre de salariés, parce qu’il s’agissait de gros employeurs. À partir de mai, de très nombreuses entreprises, mais de taille beaucoup plus petite, ont été touchées par les émeutes. Exemple : en janvier 2024, seules 10 entreprises avaient fait des demandes de chômage partiel. En juin 2024, elles ont été 1 505. Fin juillet, plus de 20 000 salariés de Nouvelle-Calédonie ont été indemnisés au titre du chômage partiel.
D’autres chiffres fournis dans le document de l’Isee montrent l’effondrement de la production minière et de la production métallurgique en Nouvelle-Calédonie, effondrement qui s’est produit plusieurs mois avant le début des émeutes : à partir de février 2024, avec l’annonce de la fermeture de KNS, la production métallurgique de l’archipel a été divisée par 4 en moins de 6 mois. Les exportations minières, qui dépassaient les 6 000 tonnes en mars 2023, sont tombées à 767 tonnes en juillet 2024.
Si l’annonce du dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie par le gouvernement a donc certainement été l’étincelle qui a mis le feu aux poudres, la poudre était bien là auparavant : cette décision est intervenue dans un contexte hautement explosif du fait de la crise du nickel et de ses implications sur l’économie de l’archipel. Avec le recul, avoir pris une telle décision dans ce contexte semble d’autant plus contestable.
Les assureurs menacent de partir
On a par ailleurs appris hier que les deux principaux assureurs exerçant en Nouvelle-Calédonie, Allianz et Generali, vont déposer des recours contre l’État français pour obtenir le remboursement d’une partie des sommes qu’ils ont versées aux assurés. Generali assure avoir dû rembourser sur ses fonds propres 50 millions d’euros, et Allianz 260 millions d’euros (sur une facture totale, rappelons-le, qui devrait s’élever à quelque 2,2 milliards d’euros).
Les assureurs estiment que l’État a failli à sa mission de maintien de l’ordre, et que ce n’est pas à eux d’en payer les conséquences. Une telle situation s’était déjà posée après les émeutes contre la vie chère à La Réunion, en 2012 – sur des montants toutefois moins élevés d’environ trois millions d’euros. Les assureurs avaient réussi à obtenir en justice que l’État leur rembourse une partie des sommes engagées.
Devant la situation sociale plus que tendue aujourd’hui non seulement en Nouvelle-Calédonie mais, également, aux Antilles, les assureurs demandent aujourd’hui à l’État de mettre en place des dispositifs de réassurance, faute de quoi, ils menacent tout simplement de partir. Il reste à savoir comment le gouvernement réagira face à ce qu’il est difficile d’appeler autrement qu’un chantage, de la part de groupes qui ne sont pas franchement en difficulté. Pour mémoire, le groupe Allianz a réalisé un bénéfice de 7,9 milliards d’euros pour le seul premier semestre 2024.
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