Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du lundi 27 janvier 2025
Fonction publique

Mobilité des agents publics vers le privé : le Conseil constitutionnel abroge certaines sanctions, jugées contraires à la Constitution

Le Conseil constitutionnel s'est prononcé vendredi 24 janvier sur un point de droit concernant la mobilité des agents publics vers le privé et, chose somme toute assez rare,  a déclaré contraires à la Constitution certaines dispositions d'un article du Code général de la fonction publique. Explications. 

Par Franck Lemarc

La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur laquelle les Sages se sont prononcés la semaine dernière concerne l’article L124-20 du Code de la fonction publique, créé par une ordonnance du gouvernement du 24 novembre 2021. 

Ces dispositions touchent à la saisine de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATCP) lorsqu’un agent public souhaite créer ou reprendre une entreprise ou cesser ses fonctions pour entreprendre « une activité lucrative »  dans le privé. Cette saisine est obligatoire dans les trois versants de la fonction publique, pour un certain nombre d’agents. Dans la fonction publique territoriale, cela peut par exemple concerner les membres des cabinets des maires, dans les grandes collectivités, ou encore les directeurs généraux ou directeurs généraux des services. 

Une fois saisie, la HATVP peut émettre trois types d’avis : un avis de compatibilité, d’incompatibilité ou de compatibilité avec réserves. Par exemple, dans son rapport d’activité 2023, la HATVP relate le cas du directeur général des services d’une collectivité, qui souhaitait rejoindre une société d’économie mixte dont sa collectivité était l’actionnaire principal « et à l’égard de laquelle il avait, en approuvant des projets de délibérations relatifs à des opérations réalisées par cette SEM, pris des actes susceptibles d’être considérés comme relevant d’un contrôle ou d’une surveillance ». Dans ce cas, la Haute autorité avait rendu un avis d’incompatibilité. Autre cas : le directeur de cabinet du maire d’une commune de plus de 20 000 habitants souhaitant rejoindre une entreprise privée pour devenir « responsable des affaires publiques ». Ici, la HATVP avait émis un avis de compatibilité avec réserves, interdisant à l’intéressé de réaliser toute démarche auprès des élus et des agents de sa commune d’origine. 

Des dispositions « difficilement applicables » 

L’article L124-20 dont il est question ici liste les sanctions qui s’appliquent si une personne ne respecte pas les avis de la Haute autorité en la matière. Il est notamment prévu que dans ce cas, « l’administration ne peut procéder au recrutement de l’agent contractuel intéressé au cours des trois années suivant la date de la notification de l’avis rendu par la HATVP ». Par ailleurs, l’article dispose que cette sanction s’applique « également en l’absence de saisine préalable de l’autorité hiérarchique ». 

C’est ici que le bât blesse : si l’autorité hiérarchique n’a pas été saisie, celle-ci ne peut saisir à son tour la HATVP, qui ne peut donc rendre d’avis. Ce qui pose évidemment un problème sérieux : comment interdire un recrutement pendant une période de trois « suivant la date de l’avis de la HATVP » … si la HATVP n’a pas rendu d’avis ? De plus, faute d’examen par la Haute autorité, il y aurait alors une sanction – et une sanction grave – « sans que l’administration puisse prendre en compte les circonstances propres à chaque espèce », ce qui constitue une « sanction automatique ». 

Bien avant que ce dossier atterrisse sur la table du Conseil constitutionnel, la HATVP elle-même a exprimé ses doutes sur la rédaction de cet article L124-20, dans son rapport d’activité 2023. 

Dans ce rapport, p. 102, elle écrit que le régime de sanctions prévu par l’article L124-20 est « lacunaire et difficilement applicable en l’état ». Et la HATVP pointe cette fameuse interdiction de recrutement pendant trois ans courant à compter de la publication de l’avis de son avis, qui s’appliquerait « alors même que le défaut de saisine implique par définition une absence d’avis de la Haute Autorité ». « Ce point mériterait d’être clarifié », écrivait en 2023 la Haute autorité.

Abrogation des dispositions concernées

Les Sages ont en effet « clarifié »  ce point de façon radicale, puisqu’ils ont reconnu son caractère inconstitutionnel

En effet, en premier lieu, ils ont relevé que l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen impose que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Et ils rappellent que « le principe d’individualisation des peines implique qu’une sanction administrative ne puisse être appliquée que si l’administration, sous le contrôle du juge, l’a expressément prononcée en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce ». Ce qui n’est manifestement pas le cas ici, la sanction étant automatique et s’appliquant « sans que l’administration ne la prononce en tenant compte des circonstances propres ». Ces dispositions « méconnaissent donc le principe d’individualisation des peines »  et « doivent donc être déclarées contraires à la Constitution ». 

Le 3° de l’article L124-20 du Code général de la fonction publique va donc être abrogé, mais pas tout de suite. Comme c’est souvent le cas dans le traitement des QPC, le Conseil constitutionnel a prononcé un délai pour l’application de sa décision, pour donner le temps au législateur de modifier la loi. En effet, « l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles aurait pour effet de supprimer toute possibilité de sanctionner les manquements au contrôle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique par l’interdiction de recrutement de l’agent contractuel intéressé ». La date d’abrogation de ces dispositions est donc reportée au 31 janvier 2026. D’ici là néanmoins, à moins qu’une nouvelle loi soit adoptée entretemps, l’administration pourra « écarter la sanction prévue par ces dispositions ou en moduler la durée ». 

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