Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mardi 14 janvier 2025
Mayotte

Projet de loi Mayotte : la question de l'immigration s'invite dès le début des débats

Les députés de la commission des affaires économiques ont débuté hier l'examen du projet de loi d'urgence pour Mayotte. Le gouvernement a apporté plusieurs amendements à son propre texte, clarifiant certains points importants notamment sur l'établissement public chargé de la reconstruction de l'île. 

Par Franck Lemarc

Présenté mercredi dernier en Conseil des ministres (lire Maire info de jeudi), le projet de loi d’urgence sur Mayotte a débuté son parcours parlementaire hier après-midi, avec une audition du ministre des Outre-mer, Manuel Valls, et l’examen d’une bonne moitié du texte par la commission des affaires économiques. 

L’Epfam sera bien remplacé par un autre établissement

Premier sujet à venir sur la table : l’établissement public qui sera chargé de coordonner la reconstruction de Mayotte. Ce sujet a fait l’objet d’un certain cafouillage dans la communication gouvernementale : lors de sa visite à Mayotte, le Premier ministre François Bayrou avait insisté sur la nécessité de créer un nouvel établissement public foncier, en lieu et place de l’actuel Epfam (Établissement public foncier d’aménagement de Mayotte). Lors de la présentation du texte, mercredi dernier, après le Conseil des ministres, le ministre Manuel Valls a dit la même chose. Seul problème : ce point ne figurait pas dans le projet de loi lui-même. En effet, l’article 1er du texte autorise le gouvernement à prendre une ordonnance pour « confier à l’Epfam la mission de coordonner les travaux de reconstruction de Mayotte ». On pouvait donc s’attendre à ce que, par amendement, le gouvernement rectifie le tir – ce qui n’explique pas pourquoi il n’a pas directement intégré ces dispositions dans le texte initial, dont il a pourtant retardé la présentation d’une semaine. 

Hier, un amendement gouvernemental a été présenté devant la commission, cette fois très clair : l’ordonnance qui va être prise aura pour but de « transformer l’Epfam en un établissement public chargé de la reconstruction de Mayotte ». Il s’agira bien d’un nouvel établissement, dont la dénomination, la gouvernance et l’organisation seront différentes. Il « se verra investi, a précisé Manuel Valls, d’une mission globale de coordination et de réalisation des travaux ». La députée mahoraise Estelle Youssouffa, rapporteure du texte, a insisté : « L’Epfam a très mauvaise réputation à Mayotte, (…) connu pour avoir des manœuvres qui ne sont pas loin de l’intimidation. »  C’est donc bien « l’ensemble des élus de Mayotte »  qui a « demandé expressément au gouvernement de créer un autre établissement ». 

L’amendement a été adopté. Dans la foulée, d’autres amendements ont été votés, notamment pour assurer, dans ce futur établissement nouveau, « le maintien de l’équilibre entre représentants de l’État et des collectivités territoriales », pour y assurer la présence du Comité de l’eau et de la biodiversité, ainsi que celle des « acteurs sociaux »  – ONG, associations locales et syndicats. 

Derrière l’école, la question de l’immigration

Un long et âpre débat sur la question de l’école a eu lieu pendant cette séance, à partir de l’article 2 du projet de loi. Cet article dispose que pendant deux ans, jusqu’au 31 décembre 2027, l’État va prendre la main sur les communes pour « assurer la construction, la reconstruction, la rénovation, la réhabilitation, l’extension (…) des écoles publiques ». Le dispositif prévoit que les communes seront « consultées », sans plus. 

Plusieurs amendements, notamment défendus par la rapporteure Estelle Youssouffa, ont été déposés pour que les décisions de l’État, en la matière, soient soumises non à une simple consultation mais à un avis conforme des communes. L’un d’eux – qui a été adopté – dispose par exemple que « la construction d’une nouvelle école, son implantation et son nombre de classes sont soumis à l’accord exprès de la commune ». 

En apparence, ces amendements répondent à un simple problème de gestion. Dans l’exposé des motifs de ce dernier amendement, il est indiqué que la construction d’une école « constitue une charge de fonctionnement significative pour les communes », et qu’il est donc « impensable »  que celles-ci ne donnent pas « leur accord implicite ». 

En réalité, le débat qui s’est déroulé a montré que le problème est ailleurs, et c’est à nouveau la question de l’immigration qui a ressurgi : Estelle Youssouffa a indiqué que les maires de Mayotte, dans leur majorité, sont contre la construction de nouvelles écoles parce que celles-ci constitueraient « un appel d’air »  pour l’immigration irrégulière. Elle a rappelé qu’à Mayotte, « 80 % des enfants sont étrangers et il y a 10 000 naissances par an. On ne peut pas suivre. »  Estelle Youssouffa a évoqué les « kwassas scolaires », des bateaux venus des Comores transportant des enfants seuls « venus à Mayotte pour y être scolarisés ». 

L’amendement adopté revient donc, pour une partie des députés du moins, à permettre aux maires d’empêcher la construction de nouvelles écoles. 

En face, une logique totalement inverse a été prônée par les députés de gauche, notamment ceux de la France insoumise, qui ont mis aux voix un amendement rigoureusement contraire, proposant que l’État prenne la main non seulement pour réparer les dégâts du cyclone, « mais aussi pour lutter contre la déscolarisation qui touche l’île ».

Aurélien Taché, pour LFI, a rappelé que le droit à l’éducation était un « principe constitutionnel »  avec lequel on ne peut « tergiverser ». Davy Rimane, député de la Guyane, visiblement en colère, a rappelé que les enfants étrangers qui ne sont pas scolarisés sont « livrés à eux-mêmes »  et tombent dans la délinquance et la violence : « On en fait quoi ? On les met où ? », a-t-il lancé à Manuel Valls, demandant si celui-ci comptait « tous les mettre dans des charters pour les renvoyer d’où ils viennent ». Le ministre a répondu sans ciller que « oui » : « Ces personnes n’ont pas vocation à rester sur le territoire national ». Manuel Valls a indiqué qu’une opération consistant à interpeler plusieurs dizaines de milliers de personnes pour les expulser était « extraordinairement compliqué et difficile », mais que l’intention du gouvernement est bien de procéder à cette opération. 

Achat de tôles

La question de l’immigration s’est introduite dans presque tout le débat, bien que le gouvernement ait choisi de ne pas la faire figurer dans son texte, mais dans un texte ultérieur. On peut noter, par exemple, l’amendement qu’a fait voter Estelle Youssouffa, imposant la présentation « d’un titre d’identité et d’un justificatif de domicile »  pour pouvoir acheter des tôles.  Justification de cette disposition : les habitations de fortune construites avec des tôles représentent « un danger pour la population, les tôles arrachées par le vent devenant des projectiles ». Cet argument a provoqué la colère de la députée écologiste Dominique Voynet, entre autres, qui a demandé si « les tôles vendues à des Français risquent moins de s'envoler et de blesser »  que celles achetées par des étrangers sans papiers. 

De façon un peu plus apaisée, des débats ont également eu lieu sur les mesures de simplification proposées dans le projet de loi, avec notamment la proposition de procéder aux consultations du public que par voie électronique. Eu égard à l’état du réseau internet dans l’archipel, des députés ont veillé à ce que les documents soient systématiquement mis à disposition du public au format papier.

Téléphonie mobile

Notons enfin un autre amendement du gouvernement, visant à restaurer le plus vite possible un réseau téléphonique de téléphonie mobile digne de ce nom à Mayotte. Rappelant que selon les règles ordinaires, l’installation d’une antenne de téléphonie mobile « dure deux ans », le gouvernement a fait adopter une série de mesures de simplification des procédures d’urbanisme en la matière : les délais de réponses aux permissions de voirie seraient raccourcis, le maire ne serait pas de nouveau consulté lorsqu’une antenne serait reconstruite à l’identique. Enfin, pendant deux ans, les décisions d’urbanisme « autorisant ou ne s’opposant pas à l’implantation d’antennes de téléphonie mobile »  ne pourraient être retirées. 

Le débat sur ce texte s’achèvera aujourd’hui en commission des affaires économiques. Le projet de loi doit être examiné en séance publique lundi prochain, avant un passage devant le Sénat le 3 février. Une fois adopté, il faudra encore publier les trois ordonnances que ce texte autorise le gouvernement à prendre, avant, enfin, un autre projet de loi, promis pour le printemps, censé être consacré non à la reconstruction d’urgence mais « aux questions de fond ». 

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