Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mardi 7 janvier 2025
Mayotte

Mayotte : la catastrophe, vue par les maires

Après le passage dévastateur de Chido, l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité a maintenu un contact régulier avec les élus mahorais. Ils racontent les défis auxquels ils ont dû faire face juste après la catastrophe et font remonter à l'AMF les besoins urgents des communes

Par Lucile Bonnin

Après la catastrophe, le président de l’Association des maires de France, David Lisnard, a demandé aux services de l’AMF de prendre contact avec les maires mahorais. Ces échanges n’étaient pas aisés du fait de l’absence de réseau sur l’archipel, les maires devant se déplacer pour téléphoner. 

Dès les premiers échanges, les élus confient se sentir seuls face à l’ampleur des dégâts constatés dans leurs communes. Madi Madi Souf, président de l’association des maires de Mayotte a pu faire part à l’AMF du décalage entre les bilans officiels et la réalité de terrain des travaux de réhabilitation des réseaux et sur l’organisation des distributions de vivres. 

Gestion de crise : les maires démunis 

Dès le 20 décembre, les maires déplorent de graves dégâts matériels notamment des forêts dévastées, des équipements ravagés, des toitures arrachées, des habitations légères emportées, des voitures cassées, des cultures rayées de la carte… À court terme, les maires se sont organisés « comme ils pouvaient »  avec les agents et les habitants constatait Marib Hanaffimaire d’Acoua. L’association des maires de Mayotte a mis en place, dès le 19 décembre une cellule de crise avec les élus du conseil départemental et les parlementaires pour organiser les remontées de terrains auprès de la préfecture mais la coordination est restée et reste encore difficile devant l’ampleur des défis à relever.  Nouriati Mohamed, adjointe au maire de Bouéni, raconte par exemple que ce sont les élus eux-mêmes qui ont commencé à déblayer les routes, et ce « sans aide de la direction de l’environnement, de l’aménagement, du logement et de la mer (DEAL)». 

De manière générale, c’est un sentiment d’abandon qui est exprimé par les maires. Dans les tout premiers jours après le passage du cyclone, Houssamoudine Abdallah, maire de Sada, rapportait qu’il n’y avait pas ou peu de présence visible des forces de l'ordre, renforçant ainsi ce sentiment d'abandon chez les élus mais aussi chez les habitants. Une semaine après le passage de Chido, aucune évolution dans l’aide aux communes n’a été constatée par les maires interrogés par l’AMF. Élus et habitants ne comptent que sur eux-mêmes et agissent avec les moyens du bord. Ali Moussa Moussa Ben, maire de Bandrélé, a par exemple organisé une réunion avec les associations locales pour trouver des volontaires.

Le sentiment d’injustice s’est d’autant plus renforcé que les aides se sont d’abord concentrées sur Mamoudzou et Petite-Terre. L’adjointe au maire de Bouéni raconte que, six jours après le drame, seuls 39 packs d'eau sans denrées alimentaires ont été envoyés à la commune : « Nous avons besoin de main-forte, nos équipes techniques administratives sont épuisées » , confiait-elle aux services de l’AMF. Marib Hanaffi, maire d’Acoua, s’est lui retrouvé à devoir batailler toute une journée en démarchant la préfecture et le service d’électricité afin d’avoir un groupe électrogène pour alimenter le forage de sa commune.

La veille du réveillon de Noël, Mohamadi Madi Ousseni, maire de Chiconi, indiquait à l’AMF que les besoins ne sont pas uniformes dans les communes en fonction des degrés d’urgence et que bien que la situation soit toujours très tendue, les renforts commencent à se déployer de manière plus opérationnelle. Cependant, les maires dénoncent très largement la lenteur d'action après la catastrophe et indiquent que « les habitants sont à bout de souffle ». 

L’AMF qui a pu engager un partenariat avec la Protection Civile a relayé au fur et à mesure les besoins exprimés par les maires auprès de ses interlocuteurs présents localement pour que des interventions puissent se déployer sur le terrain malgré les moyens limités au regard de l’ampleur de la situation. Le 24 décembre la Protection Civile indiquait à l’AMF la présence de 50 bénévoles médecins et infirmiers au travail à Mayotte qui avaient pu effectuer dans la journée des premières prises de contact avec les maires et organiser les interventions dans les jours qui ont suivis. Par exemple, à M’Tsangamouji, ils avaient pu faire une première opération de tronçonnage le 26 décembre. Les équipes ont aussi pris contact avec la mairie de Koungou pour la mise en place d’un dispensaire dans une école….

Déchets, école, reconstruction… 

Manque de moyens humains, distributions de nourriture et d’eau insuffisantes, remises en route difficile des réseaux d’eau et d’électricité… Trois semaines après le cyclone, des renforts supplémentaires ont été déployés mais la situation reste critique et les besoins nombreux (lire Maire info d’hier). 

Très rapidement, la problématique des déchets a été en première ligne pour les maires, notamment pour des questions de santé publique. Certains déchets, selon les maires, n’ont pas encore pu être triés et ont été entassés sur les bas-côtés des routes pour les dégager au plus vite, ce qui représente un risque sanitaire pour la population. Quelques jours après la catastrophe, le maire d’Acoua raconte que « des odeurs pestilentielles »  émanaient de ces tas d’ordures. De son côté, la mairie de Bouéni s’est organisée avec le conseil départemental pour avoir un terrain de stockage dans l’attente de la reprise du syndicat de déchets. 

Le maire de Sada et président du Sidevam (syndicat des déchets) a alerté l’AMF sur les conséquences sanitaires des déchets non ramassés. Le syndicat gère la collecte pour 15 communes. Il est déjà sous-dimensionné en temps normal, il l'est encore plus avec la perte de matériel et la quantité de déchets qui s'accumulent. . L’AMF avait pu faire remonter cette problématique et la préfecture avait réquisitionné des camions bennes auprès d’entreprises pour les mettre a disposition du syndicat. Aujourd’hui, selon les informations de Mayotte Hebdo, la collecte des déchets a pu reprendre petit à petit, grâce notamment à la mise en place de zones tampon dans chaque commune comme à Sada par exemple où le terrain de pétanque en tient lieu.

D’autres sujets un peu moins relayés dans les médias préoccupent les maires. Ces derniers s’interrogent – à l’instar de Bihaki Daouda, maire de Chirongui – quant à la reprise de la reconstruction des communes alors que le tissu économique local est abîmé. La rentrée scolaire, prévue le 20 janvier pour les élèves, préoccupe aussi beaucoup les maires, alors que de nombreuses écoles servent encore de centre d’hébergement ou ont été entièrement détruites.  À Koungou, l'école maternelle accueille aussi un dispensaire de la sécurité civile, ouvert quotidiennement, selon Mayotte la Première. De manière générale, les maires craignent aussi le départ de « forces vives »  de Mayotte notamment dans les domaines de l’éducation et de la santé. 

Projet de loi d’urgence : les attentes des maires 

Le projet de loi d’urgence pour Mayotte sera présenté cette semaine, le 8 janvier, avant d’être examiné par le Parlement dès le 13 janvier prochain. Les maires mahorais ont exprimé leurs attentes vis-à-vis de ce texte à l’occasion d’une réunion le 28 décembre dernier. Ils souhaitent que ce projet de loi porte des ambitions en matière de « construction »  et non uniquement en termes de « réparation ». Ils insistent sur la nécessité de faire figurer dans le projet de loi les enjeux suivants : améliorer l’aide aux femmes et aux hommes de Mayotte ; structurer le territoire par des aménagements structurants ; faciliter les réparations de la nature et l’agriculture dévastée et créer un fonds spécial pour aider les communes. 

En ce qui concerne le plan Mayotte debout, les élus souhaitent notamment qu’un accompagnement soit mis en place à hauteur de 95 % pour tous les investissements du bloc communal déjà lancés, sous forme d’avance de crédits de paiement et de trésorerie. Ils espèrent aussi qu’une aide soit débloquée pour mettre en place des bureaux provisoires pour les collectivités territoriales dont le parc immobilier a été détruit à 70 %.

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