Mayotte : deuil national lundi 23 décembre et loi spéciale pour la reconstruction
Par Franck Lemarc
Emmanuel Macron, hier, a dû faire face à la colère d’une partie des Mahorais exaspérés de ne pas voir les vivres arriver suffisamment rapidement. Sans hésiter à aller au contact, le chef de l’État a parfois haussé le ton face à des comportements qu’il a jugé « irrespectueux », et tenté de rassurer les victimes tout en les assurant qu’elles avaient de la chance d’être en France, car « il n’y a pas un endroit dans l’océan Indien où on aide autant les gens ».
Deuil national
Lors d’un point presse organisé hier, le chef de l’État a annoncé que le deuil national qu’il avait décidé aurait lieu lundi 23 décembre, avec une minute de silence « à midi », a-t-il déclaré dans un premier temps. Dans la foulée, un Journal officiel exceptionnel était publié, hier vers 16 heures, contenant trois textes : un décret du président de la République officialisant cette date du 23 décembre, un autre du Premier ministre demandant l’organisation d’un « recueillement » à midi et la mise en berne des drapeaux sur les bâtiments et édifices publics », et un arrêté de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle.
Mais, ce matin, dans le Journal officiel quotidien, un autre décret est venu remplacer le précédent, fixant le moment de recueillement non à midi mais à 11 heures. Aucune communication n’a été faite sur les raisons de ce cafouillage, dont on ne peut que supposer qu’il doit s’agir d’un problème d’agenda du chef de l’État. Quoi qu’il en soit, les maires devront donc, lundi, mettre les drapeaux en berne toute la journée.
L’arrêté de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle a, lui, été pris avec une extrême célérité, moins d’une semaine après la catastrophe. Il donne une idée de l’étendue des dégâts, puisque ce sont bien 100 % des communes de l’île, au nombre de 17, qui sont reconnues en état de catastrophe naturelle, chacune pour trois aléas (vent cyclonique, inondations et coulées de boue, inondations par choc mécanique des vagues). La reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, si elle était indispensable, ne concernera cependant qu’une faible partie des victimes, puisque le Premier ministre a rappelé hier que seules environ « 10 % » des habitations sont assurées. Le chef de l’État a néanmoins assuré hier qu’un « fonds d’indemnisation » allait être ouvert pour accompagner les habitants qui ne sont pas assurés.
Approvisionnement et hôpital de campagne
Emmanuel Macron, lors de son périple dans l’île, hier, a par ailleurs donné plusieurs informations.
Pour ce qui concerne l’approvisionnement en nourriture et en eau, il a assuré qu’il atteindra « toutes les communes » de l’île d’ici dimanche au plus tard. Les denrées seront acheminées dans les mairies, qui auront la charge de les répartir. Emmanuel Macron a déclaré formellement qu’aucun document d’identité ne serait demandé aux personnes venant chercher à manger ou se faire soigner. « C’est notre devoir », a-t-il assuré, dans une situation où de nombreux habitants en situation irrégulière hésitent à demander des secours aux autorités par crainte d’une expulsion.
Le chef de l’État a par ailleurs annoncé une montée en puissance de la présence des forces de l’ordre à Mayotte, avec un seuil de « 1 200 gendarmes » sur place qui sera atteint dimanche. Un hôpital de campagne sera également acheminé aujourd’hui par avion-cargo et mis en œuvre dans les jours prochains.
Signalons enfin que la ministre démissionnaire de l’Éducation nationale a annoncé aujourd’hui que l’exécutif vise une rentrée scolaire à Mayotte « le 13 janvier ».
Loi spéciale
Au-delà de l’urgence – rétablir les réseaux, approvisionner les populations en eau, en nourriture et en essence – commence à émerger la question de la reconstruction. Le maire de Mamoudzou, Ambdilwahedou Soumaila, a demandé que cette reconstruction soit assortie d’une « interdiction de reconstruire des bidonvilles ».
Pour accélérer la reconstruction, Emmanuel Macron a confirmé qu’une « loi spéciale » allait être présentée devant le Parlement, comme cela avait été le cas pour Notre-Dame-de-Paris et après les émeutes de l’été 2023. Ce type de loi permet, notamment, de simplifier les procédures d’autorisation ou de réduire les délais légaux de droit commun. Emmanuel Macron a estimé que dans la mesure où « on a été capables de rebâtir notre cathédrale en cinq ans, ce serait quand même un drame qu’on n’arrive pas à rebâtir Mayotte ». La comparaison vaut ce qu’elle vaut, dans la mesure où, qu’elles qu’aient été les difficultés techniques à la réparation de Notre-Dame, elles ne peuvent que difficilement être comparées à la reconstruction d’un département de 320 000 habitants totalement ravagé.
François Bayrou, hier sur France 2, a lancé le chiffre de « deux ans » pour faire aboutir la reconstruction, sans que l’on puisse être sûr que cette estimation est étayée par des experts. Il s’est également livré à une estimation du coût de la reconstruction avec des arguments qui ont de quoi surprendre : après s’être renseigné auprès « d’entreprises [qu’il] connaît des Pyrénées », qui lui ont expliqué que la réparation d’un toit se facture « entre 60 000 et 80 000 euros », il a multiplié ce chiffre par « au moins 80 000 maisons atteintes », pour aboutir à un total de « 4 ou 5 milliards d’euros ». On peut penser toutefois que l’estimation du coût de la reconstruction se fera, à l’avenir, avec des outils un peu plus précis.
Toujours l’incertitude sur le bilan
Ni le chef de l’État ni le Premier ministre n’ont voulu se prononcer, en revanche, sur la question du bilan humain, estimant qu’il est encore bien trop tôt pour cela. Tous deux s’accordent à penser qu’il sera beaucoup plus lourd que la trentaine de morts déjà recensés. Des chiffres effroyables ont circulé pendant la journée d’hier, après que la chaîne La Réunion la 1ère eut évoqué un bilan de « 60 000 morts » – chiffre qui, d’après la chaîne, « circulerait parmi les secouristes ». La chaîne a rapidement supprimé ce reportage et le ministère de l’Intérieur a qualifié ce chiffre de « rumeur ». Emmanuel Macron a lui aussi mis en garde contre ces chiffres infondés, estimant simplement qu’il est « vraisemblable » qu’il y ait bien plus de morts que les 31 recensés.
Le ministère de l’Intérieur a chargé le préfet de monter une mission de « recherches des morts ». Des questionnaires seront envoyés à chacun des 17 maires pour tenter de recenser les victimes, et une enquête va être diligentée notamment auprès des responsables de la communauté musulmane.
Mais des secteurs entiers de l’île, notamment le sud de Grande-Terre, sont à l’heure actuelle toujours coupés du monde, ce qui rend d’autant plus impossible l’établissement d’un bilan sérieux. Néanmoins, le Premier ministre lui-même a parlé hier sur France 2 d’une catastrophe qui est probablement la pire qui soit survenue en France « depuis des siècles », à l’exception, a-t-il dit, de l’éruption du volcan de la Montagne-Pelée, en Martinique, en 1902, qui avait fait 40 000 morts.
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