Le Sénat va se prononcer aujourd'hui sur le droit du sol à Mayotte
Par Franck Lemarc
La proposition de loi LR « visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte » sera débattue aujourd’hui en séance publique au Sénat. Ce texte a pour objectif de durcir le droit du sol pour répondre à la problématique de l’immigration irrégulière sur ce territoire.
Le droit du sol
Rappelons que ce n’est pas la première fois qu’un texte spécifique est pris sur la question du droit du sol à Mayotte : en 2018 déjà, une première réforme a durci les conditions en vigueur dans le reste du territoire.
Pour mémoire, le droit du sol permet à un enfant né en France de parents étrangers et nés à l’étranger d’acquérir automatiquement la nationalité française à 18 ans (si, toutefois, il a résidé au moins 5 ans en France depuis l’âge de 11 ans). La seule situation dans laquelle un enfant acquiert automatiquement la nationalité dès sa naissance est celle du « double droit du sol » : il s’agit du cas où un enfant est né en France de parents étrangers dont au moins l’un d’entre est lui-même né en France.
Ces dispositions, valables en général, ont donc été durcies une première fois en 2018 pour le seul territoire de Mayotte : un enfant né de parents étrangers à Mayotte ne peut prétendre à la nationalité française à ses 18 ans que si l’un de ses parents résidait déjà en France au moment de la naissance, de façon régulière et depuis au moins trois mois.
Durcissement du texte initial
Ce sont ces dispositions spécifiques que la proposition de loi signée par le député Philippe Gosselin et ses collègues du groupe LR entend durcir. Le texte déposé en décembre dernier proposait deux modifications : d’une part, imposer le fait que non pas un, mais les deux parents résident en France de façon régulière ; et, d’autre part, que cette résidence soit « d’au moins un an » et non de trois mois.
Mais en séance publique, début février, à l’initiative notamment des députés ciottistes et RN, la proposition a été considérablement durcie : d’un an, le temps de résidence minimale des deux parents a été porté à trois ans. Et par ailleurs, les députés ont décidé, sur proposition de la députée mahoraise Estelle Youssouffa, que le droit du sol ne s’appliquerait que si les parents pouvaient présenter à l’officier d’état civil « un passeport biométrique ».
Ces amendements, notons-le, ont été proposés par ces députés à titre de « repli », puisqu’ils sont davantage favorables, pour leur part, à une suppression pure et simple du droit du sol à Mayotte – position que partage d’ailleurs le ministre de la Justice, Gérald Darmanin.
Problèmes de constitutionnalité
Arrivée en commission des lois au Sénat, la proposition de loi a été de nouveau amendée, mais cette fois pour revenir à l’esprit du texte initial, les sénateurs estimant que les dispositions adoptées à l’Assemblée nationale faisaient planer une « insécurité juridique », et tout particulièrement un risque d’inconstitutionnalité. La commission des lois est même revenue sur des mesures qui figuraient dans le texte initial, au même motif.
Stéphane Le Rudulier (LR), rapporteur de la commission des lois du Sénat, explique que le Conseil constitutionnel a validé le principe de règles particulières pour Mayotte, dans la mesure où l’immigration irrégulière y est un problème spécifique, mais seulement « dans une certaine mesure » et de façon « proportionnée ».
La commission a d’abord estimé que l’extension aux deux parents de l’obligation de résider en France de façon régulière – qui figurait dans le texte initial – pose plusieurs problèmes : notamment, elle créerait « une rupture d’égalité », puisqu’elle priverait de facto les familles monoparentales de l’accès à la nationalité française pour leur enfant. La commission a donc supprimé ce point, revenant au droit en vigueur, à savoir la nécessité pour un seul parent de résider en France de façon régulière.
Depuis combien de temps ? Là encore, la commission a jugé excessive la décision des députés de porter cette durée à trois ans, persuadée que le Conseil constitutionnel n’admettrait une telle durée et l’estimerait « disproportionnée ».
Enfin, l’obligation de présenter un passeport biométrique a également été retoquée par la commission des lois, rappelant que tous les pays ne délivrent pas de tels passeports, et que cette disposition créerait donc une rupture d’égalité. « Ces dispositions auraient ainsi (…) procédé à une discrimination selon l'origine ou la nationalité, contraire à la Constitution », conclut le rapporteur.
Le texte issu des travaux de la commission, et qui sera débattu cet après-midi en séance, ne contient donc plus qu’une seule mesure : porter à un an la durée minimum de résidence régulière d’un parent pour que le droit du sol s’applique.
Âpres débats en perspective
Comme cela a été le cas à l’Assemblée nationale, il ne fait pas de doute que ce texte donnera lieu à de très âpres débats. Il suffit de regarder les amendements déposés sur ce texte pour voir le gouffre qui sépare les différentes familles politiques sur ce sujet. Du côté de l’extrême droite, on estime que ce texte n’a aucune portée et on réclame l’abolition pure et simple du droit du sol non seulement à Mayotte mais « sur l’intégralité du territoire national », car « la nationalité française s’hérite ou se mérite ». Du côté du Parti communiste, on propose tout simplement de ne pas débattre de cette proposition de loi, au motif de son « irrecevabilité constitutionnelle ».
Entre ces deux positions, toutes les nuances s’expriment dans les amendements : depuis ceux qui souhaitent revenir au texte initial de Philippe Gosselin, jusqu’à ceux qui souhaitent voir rétablies les dispositions durcies en séance à l’Assemblée nationale. Les débats s’annoncent animés.
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