Ce que contient le projet de loi d'urgence pour Mayotte
Par Franck Lemarc
L’action du gouvernement pour Mayotte doit se dérouler en trois temps, a expliqué Manuel Valls lors du compte rendu du Conseil des ministres, hier en milieu de journée. Le premier temps est celui de « l’urgence immédiate », face à « la plus grave crise de sécurité civile que le pays ait connu depuis la Seconde Guerre mondiale ». Il a donc fallu – et cette phase se poursuit – « répondre aux urgences vitales », pour alimenter la population en nourriture et en eau, rétablir les réseaux, préparer la rentrée scolaire (« 70 % des salles de classes devraient être disponibles pour la rentrée », a assuré le ministre), traiter les déchets, permettre de rétablir l’accès aux soins.
Le deuxième temps de l’action gouvernementale, c’est le projet de loi d’urgence qui a été présenté hier, dont la « philosophie générale » est de permettre de déroger aux règles de droit en matière d’urbanisme, de marchés publics, d’autorisations, etc., pour permettre d’engager rapidement la reconstruction.
Enfin, le ministre a annoncé qu’un deuxième projet de loi verrait le jour « d’ici trois mois », portant des mesures plus « structurelles » pour « la refondation de Mayotte » et pour « permettre le développement économique et social [de l’île] sur de nouvelles bases ».
Un établissement public pour la reconstruction, mais lequel ?
Le projet de loi d’urgence présenté hier comporte une vingtaine d’articles divisés en sept chapitres. À l’instar d’un certain nombre de textes adoptés ces dernières années, comme celui sur la reconstruction de Notre-Dame, sur la construction des infrastructures des JO ou encore celui qui a été adopté à l’été 2023 après les émeutes, il vise à permettre de déroger aux normes en vigueur notamment en matière de construction.
Première mesure : le projet de loi prévoit d’autoriser le gouvernement à prendre une ordonnance pour disposer d’un « opérateur puissant », un établissement public chargé de coordonner les travaux de reconstruction. Le contour de cet établissement n’est pas clair, c'est le moins que l'on puisse dire : dans le texte, il est indiqué que cette mission reviendra à l’Epfam (Établissement public fonction d’aménagement de Mayotte). Sauf que le Premuer ministre, en visite à Mayotte, avait parlé de la création d'un nouvel établissement, et que Manuel Valls, dans sa présentation, a lui aussi parlé d’un nouvel établissement qui aurait vocation à « absorber l’Epfam ». Or, selon la rédaction actuelle du texte, c'est impossible. On peut se demander pour le gouvernement , qui a retardé d'une semaine la parution de son texte, n'en a pas profité pour modifier cette partie, puisque c'est semble-t-il la volonté du Premier ministre – d'autant plus que cela correspond à la volonté des élus. On peut donc supposer qu'un amendement gouvernemental sera déposé en ce sens.
Quoi qu’il en soit, le gouvernement a décidé – comme cela avait déjà été le cas pour la reconstruction de Notre-Dame – de confier la direction de cet établissement à un militaire, le général de corps d’armée Pascal Facon. Manuel Valls a précisé que le général serait « directeur général » de l'établissement, ce qui laisse espérer que sa présidence puisse revenir à un élu, mahorais de préférence...
L’article 2 du texte va permettre de déroger à la loi qui prévoit qu’il revient aux conseils municipaux de décider « de la création et de l’implantation des écoles ». Jusqu’au 31 décembre 2027, c’est l’État qui va prendre la main en la matière à Mayotte, pour assurer, à ses frais, « la construction, la reconstruction, la rénovation, la réhabilitation, l’extension, les grosses réparations et l’équipement des écoles publiques » dans les communes de l’île. Si, à la fin de l’année 2027, les travaux ne sont pas terminés, les communes et l’État pourront signer une convention pour prolonger le délai.
Urbanisme
Le deuxième chapitre du texte a trait aux règles d’urbanisme. Il prévoit de « dispenser de toute formalité au titre de Code de l’urbanisme » les constructions à usage d’hébergement d’urgence. Par ailleurs, le gouvernement serait habilité à prendre une ordonnance pour adapter le droit aux « caractéristiques et contraintes propres au territoire mahorais ». Notamment, cette ordonnance pourra modifier « les règles techniques auxquelles sont soumis les constructions et les travaux qui y sont assimilés ».
Pendant deux ans, les travaux de reconstruction ou de réfection, à l’identique ou avec adaptations, pourront se faire sans que les dispositions des PLU puissent y être opposables. Les demandes d’autorisation d’urbanisme seront drastiquement simplifiées et les délais d’instruction raccourcis.
Une troisième ordonnance est prévue, permettant « des adaptations ou dérogations aux règles relatives à l’expropriation pour cause d’utilité publique » ainsi qu’une « occupation provisoire et réversible, moyennant indemnisation, d’emprises appartenant à des propriétaires privés, nécessaires à la réalisation des ouvrages, opérations et travaux ».
Commande publique
Tous les marchés de travaux, fournitures et services liés à la reconstruction pourront être négociés sans publicité ni mise en concurrence dès lors qu’ils sont inférieurs à 100 000 euros HT. Les marchés de travaux de moins de 2 millions d’euros HT pourront être négociés sans publicité, mais avec mise en concurrence.
Les règles d’allotissement seront également ignorées : les marchés liés à la reconstruction n’auront pas à faire l’objet de lots séparés mais pourront « faire l’objet d’un marché unique ».
Dons des collectivités et des particuliers
L’article 15 du projet de loi spéciale autorise les collectivités et EPCI à « verser des subventions à toute association s’engageant à utiliser ces fonds pour financer les secours d’urgence au profit des victimes du cyclone Chido », entre le 14 décembre 2024 et le 14 mars 2025. Il s’agit donc d’une mesure rétroactive, puisqu’elle sécurise juridiquement des versements effectués préalablement à la publication de la loi. Interrogé sur ce point, le Conseil d’État a jugé que « une telle autorisation législative rétroactive peut être admise, compte tenu de l’intérêt général qui s’y attache, pour le financement des mesures les plus urgentes d’aide aux victimes ».
Les collectivités pourront également – sans limitation de temps – verser des subventions à l’établissement public foncier qui sera créé pour reconstruire Mayotte. Il s'agit, répétons-le, de dons à des associations ou à un établissement public. Il n'existe donc toujours pas de disposition permettant de verser des dons à une autre collectivité située sur le territoire national.
Par ailleurs, le texte officialise la réduction d’impôt portée à 75 % pour les dons aux profits des associations humanitaires portant assistance aux habitants de Mayotte, dès lors qu’il s’agit d’associations reconnues d’utilité publique.
Droits sociaux
Enfin, tout le dernier chapitre du texte est consacré aux questions de prestations sociales. Le recouvrement forcé des dettes fiscales est suspendu pendant trois mois. Le versement des cotisations sociales par les entreprises et les travailleurs indépendants est suspendu jusqu’au 31 mars prochain, voire jusqu’au 31 décembre cas par cas. Les chômeurs arrivés en fin de droit au 1er décembre dernier bénéficieront d’une prolongation du versement de leurs allocation jusqu’au 31 mars. Idem pour les assurés sociaux : les personnes qui ne bénéficieraient plus de la Sécurité sociale depuis le 14 décembre 2024 verront leurs droits maintenus jusqu’au 31 mars 2025.
Un texte à compléter
Manuel Valls a reconnu hier que ce texte est incomplet – peut-être parce que le gouvernement n’a pas eu le temps d’y ajouter certaines dispositions, ayant déjà retardé sa parution d’une semaine. Il faudra donc le compléter « au cours du débat parlementaire », ce qui laisse supposer que le gouvernement présentera des amendements à son propre texte, sur « deux questions très urgentes » : la « lutte contre l’habitat illégal » et « le blocage temporaire des loyers ». Sur le premier point, Manuel Valls a martelé : « Nous ne laisserons pas Mayotte redevenir une île bidonville. »
Enfin, le ministre a clairement indiqué que le gouvernement ne souhaite pas – comme l’a réclamé notamment Marine Le Pen – aborder dans ce texte la question de la lutte contre l’immigration illégale. Sans méconnaître cette question, qualifiée de « fléau qui pèse sur tous les aspects de la vie quotidienne des Mahorais », Manuel Valls a indiqué qu’elle serait au centre du deuxième projet de loi, qui sera présenté au printemps.
Le texte du premier projet de loi a été déposé à l’Assemblée nationale, et il sera examiné dès lundi par la commission des affaires économiques.
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