Maternités de proximité : élus et professionnels vent debout contre les propositions du rapport Ville
Par Franck Lemarc
C’est un rapport qui a fait la une de la presse, mais qui n’est disponible nulle part. « Remis » à l’Académie de médecine par le Pr Yves Ville, chef de service gynécologie obstétrique de l’hôpital Necker, le rapport n’est pas disponible sur le site de l’Académie, mais son auteur l’a présenté dans les colonnes du journal Le Parisien.
Plus de 100 maternités concernées
Le professeur Ville estime, a-t-il expliqué au Parisien, que « la sécurité » des parturientes n’est plus assurée dans les « petites maternités », c’est-à-dire celles qui assurent moins de 1000 accouchements par an, et qui sont au nombre de 111. « On y pratique moins d’accouchements, on y perd en expérience, ce qui est dangereux ». De surcroît, le manque de personnel dans ces structures conduit à l’utilisation massive « d’intérimaires » , moins expérimentés, juge le médecin.
On pourrait croire que ce constat amènerait à proposer un effort massif pour renforcer les effectifs de ces structures… mais non. Le professeur suggère au contraire de ne plus permettre les accouchements dans la centaine de maternités pratiquant moins de 1000 accouchements par an, et de ne les pratiquer que dans les plus grandes. L’auteur du rapport ne préconise pas la fermeture des petites maternités, mais propose qu’elles n’assurent plus que le suivi pré et post-accouchement. Il suggère également que soit pris en charge l’hébergement à l’hôtel des parturientes, quelques jours avant l’accouchement, pour éviter les déplacements en urgence quelques heures avant.
Une situation déjà tendue
Ces propositions ont suscité une levée de bouclier aussi bien chez les maires des petites villes qui seraient concernées que chez les professionnels.
Ceux des « petites maternités », d’abord, qui s’insurgent contre l’affirmation qu’ils ne sont plus capables d’assurer la sécurité des patientes. Ceux, ensuite, des maternités des grandes villes, qui se disent déjà débordés et n’envisagent pas de pouvoir accueillir des patientes supplémentaires, alors qu’ils sont déjà à l’extrême limite de la tension, vu le manque de personnel et de moyens.
Dans un contexte où, il faut le rappeler, 30 % des maternités ont fermé en 20 ans, où les maires ne cessent de s’insurger contre le fait que de plus en plus de territoires sont privés de maternité et que se développent les « déserts obstétricaux » , le rapport suscite l’incompréhension, voire la colère. Dans certains départements, plus d’un quart des communes sont déjà à plus de 45 minutes d’une maternité – c’est le cas par exemple de la Haute-Marne, des Alpes-Maritimes, des deux départements de la Corse. Entre 2000 et 2017, le nombre de femmes vivant à plus de 45 mn d’une maternité a été multiplié par quatre, selon les chiffres du ministère de la Santé lui-même. Qu’en serait-il demain, si les accouchements ne pouvaient plus se dérouler dans les déjà trop rares maternités de proximité ?
Surtout que beaucoup se demandent qui a commandé ce rapport, et dans quel objectif. Est-ce un « ballon d’essai » avant d’éventuelles annonces du gouvernement ? C’est le point du vue par exemple du docteur Christophe Prudhomme, de la CGT, qui s’insurge sur Twitter : « Rapport de commande par un professeur parisien pour permettre au gouvernement de fermer 100 maternités. Non aux accouchements sur la route ! »
Colère de l’APVF
Plusieurs sénateurs ont déjà exprimé leur stupéfaction face à ces annonces, comme Else Joseph (Ardennes), qui demande « quel signal envoie-t-on aux femmes » , et rappelle que si la maternité de Sedan ne pouvait plus procéder à des accouchements, « il ne resterait plus qu’une seule maternité » dans tout le département. Ce qui est déjà le cas dans le Lot, par exemple, où les fermetures des maternités de Figeac, Saint-Céré et Gourdon ont fait de Cahors le seul lieu où il est possible d’accoucher dans le département.
Paul-Toussaint Parigi (Haute-Corse) dénonce une « totale méconnaissance du territoire » et, alors que la maternité de Porto-Vecchio serait condamnée si les propositions du rapport aboutissaient, rappelle que de très nombreuses communes de l’Île de beauté sont déjà à « plus de deux heures » de voiture d’une maternité.
Quant à l’Association des petites villes de France (APVF), elle a publié hier un communiqué courroucé pour dire « stop à l’hémorragie » , rappelant que les maternités des petites villes « constituent un maillon essentiel de l’égalité d’accès aux soins ».
L’association présidée par le maire de Barentin, Christophe Bouillon, estime que la position du professeur Ville n’est « pas tenable » : « Continuer à fermer des maternités, dans les territoires qui manquent déjà globalement de services médicaux, n’aurait pour conséquence qu’une aggravation des inégalités d’accès à la santé. » Les maternités des petites villes « jouent un rôle de centralité essentiel », poursuit l’association, qui affirme : « Plutôt que la prise en charge de cinq nuits d’hôtel à côté d’une maternité de métropole, l’APVF appelle à ce que soit véritablement assurée la sécurité des parturientes et leurs enfants en protégeant le droit d’accoucher à une distance raisonnable de son domicile. » L’association appelle également l’État à entreprendre une action résolue « pour assurer la présence de médecins obstétriciens titulaires » dans les établissements. Sur la même ligne, l’AMF plaide pour que soit stoppée toute fermeture de services publics hospitaliers sur le territoire, sans avis préalable du maire.
Il reste à savoir maintenant quel sera l’avenir des propositions de Yves Ville. Si son rapport était un ballon d’essai, c’est réussi : il a fait l’unanimité contre lui, aucune voix ne s’étant exprimée pour soutenir cette proposition. Il y a fort à parier que cette question sera évoquée, mardi ou mercredi prochain, lors des séances de questions au gouvernement de l’Assemblée nationale et du Sénat. On verra alors quelle est la position du ministre de la Santé, François Braun, dans cette polémique.
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