Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du mercredi 14 février 2024
Santé publique

Lutte contre les « thérapies alternatives » : un nouveau revers pour le gouvernement

Le gouvernement et la majorité ont essuyé un nouveau revers parlementaire, hier, lors du débat sur le projet de loi pour lutter contre les dérives sectaires. L'article 4 du texte, considéré comme « le cÅ“ur de ce projet de loi » par le gouvernement, a été supprimé. Explications.  

Par Franck Lemarc

En apparence, tout le monde est d’accord : les orateurs de tous les partis, hier à l’Assemblée nationale, se sont exprimés pour dire qu’il faut lutter contre les « charlatans »  et les « gourous »  qui parviennent à convaincre des malades d’interrompre leur traitement et de le remplacer par de la relaxation, des prières, un jeûne ou du jus de légumes. Mais en pratique, les avis divergent sur la manière de traiter ce problème, sujet de l’article 4 du projet de loi visant à « renforcer la lutte contre les dérives sectaires »  (lire Maire info d’hier). 

Cette question devient de plus en prégnante – le nombre de signalements de tels faits auprès de la Miviludes explose –, y compris dans les communes rurales où un certain nombre de charlatans profitent de la désertification médicale pour tendre leurs filets. 

Le Conseil d’État plus que réservé

Rappelons que cet article 4 crée une nouvelle infraction pénale : celle de « provocation à abandonner ou à s’abstenir de suivre un traitement médical thérapeutique ou prophylactique, lorsque cet abandon ou cette abstention est présenté comme bénéfique pour la santé des personnes visées alors qu’il est, en l’état des connaissances médicales, manifestement susceptible d’entraîner pour elles, compte tenu de la pathologie dont elles sont atteintes, des conséquences graves pour leur santé physique ou psychique ». 

Cet article a déjà fait l’objet de multiples débats. Le Conseil d’État, en examinant ce texte, l’avait jugé très négativement, estimant que ces dispositions n’étaient « ni nécessaires ni proportionnelles ». Premièrement, le Conseil d’État a rappelé que l’arsenal juridique existant « couvre d’ores et déjà amplement les faits visés »  (exercice illégal de la médecine, non-assistance à personne en danger, mise en danger de la vie d’autrui, etc.). Deuxièmement, le Conseil d’État a pointé le fait que l’article 4, dans sa rédaction initiale, visait la promotion de traitements « alternatifs », possiblement dangereux, sur les réseaux sociaux, les blogs ou dans la presse, ce qui constituait selon lui une atteinte à la liberté d’expression et à la liberté de la presse. 

Le Conseil d’État estime néanmoins « incontestable la légitimité de l’objectif poursuivi ». Les magistrats auraient souhaité proposer une autre rédaction, mais constatent que le temps qui leur a été imparti pour examiner ce texte ne leur en a pas laissé le loisir. 

Les sénateurs se sont appuyés sur cet avis pour retirer l’article 4, comme le préconisait le Conseil d’État. 

Mais lorsque le texte est arrivé en commission des lois à l’Assemblée nationale, les députés de la majorité ont rétabli l’article 4 – tout en en reconnaissant les limites, et en s’engageant à le récrire ou le modifier d’ici la séance publique pour « tenir compte des critiques ».

Coalisation des oppositions

Mais les amendements de la majorité visant à améliorer la rédaction de l’article 4 ne seront pas discutés, puisque la suppression de cet article a été adoptée, en séance publique, par l’Assemblée nationale. 

Cette suppression a été le fruit, une fois encore, de la coalition des oppositions contre le gouvernement : pas moins de 8 amendements de suppression avaient été déposés, venant des bancs les plus divers, RN, LR et PCF. Les députés d’extrême droite (RN et Nicolas Dupont-Aignan) ont été les plus acharnés, lors des débats, pour faire supprimer cet amendement – mêlant des arguments sur la liberté de conscience, la protection des lanceurs d’alerte, le rejet d’une « science d’État » … Les vieux débats apparus pendant l’épidémie de covid-19 ont refait surface, notamment avec Nicolas Dupont-Aignan, qui a profité de l’occasion pour rappeler ses critiques du vaccin anti-covid. Il a été sèchement rabroué par le président de la commission des lois, Sacha Houlié, qui a rappelé que le député de l’Essonne était un ardent défenseur de l’hydroxychloroquine prônée par le professeur Raoult, et qu’une récente étude a établi que ce traitement aurait provoqué la mort d’au moins 17 000 personnes dans le monde. 

Il est apparu assez clairement, dans les débats, qu’une partie au moins des adversaires de cet article, à l’extrême droite de l’Hémicycle, étaient motivés par leur proximité avec le mouvement « antivax ». 

La rapporteure du texte, Brigitte Liso, et la secrétaire d’État chargée de la Ville et de la Citoyenneté, Sabrina Agresti-Roubache, ont tenté de défendre l’article 4 en insistant sur le fait qu’il constituait « le cœur même du texte », niant que l’arsenal juridique actuel fût suffisant pour lutter contre ces pratiques et adjurant les députés de ne pas supprimer l’article 4 pour permettre un débat en profondeur sur le sujet. 

Peine perdue : les députés de la majorité étaient bien trop peu nombreux dans l’Hémicycle pour contrer la coalition des oppositions. Par 116 voix contre 108, les amendements de suppression ont été adoptés, ce qui a fait mécaniquement tomber tous les amendements visant à récrire cet article. 

Formation des agents publics

Sur les autres articles de ce texte – dont la discussion se poursuivra aujourd’hui –, le débat a été beaucoup plus apaisé. 

Les élus retiendront deux amendements qui ont été adoptés à propos des missions de la Miviludes, dont les députés ont largement approuvé la « consécration législative », c’est-à-dire le fait que son existence soit inscrite dans la loi et non, comme c’était le cas jusqu’à présent, dans un simple décret. 

Les missions de la Miviludes sont décrites dans le texte. Parmi celles-ci, le fait de « contribuer à l’information et à la formation des agents publics »  dans le domaine de la lutte contre les dérives sectaires. Un premier amendement adopté ajoute la mention : « en particulier les personnels de la protection maternelle et infantile et des services de santé scolaire ». Un second, la mention « notamment [les agents] relevant des collectivités locales ».

Signalons toutefois que les moyens humains de la Miviludes sont totalement incompatibles avec la mission de « former l’ensemble des agents publics », comme le souhaitent les auteurs de ce dernier amendement. En 2022, la Miviludes comptait 14 membres. 

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